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On peut reconstituer les paléoaltitudes par des méthodes variées. Utiliser

l’enregistrement sédimentaire pour préciser le passage de sédiments marins à continentaux permet de caler dans le temps le début d’une émersion, et donc de connaître l’âge

correspondant à l’altitude zéro. Cependant, il n’existe pas d’enregistrement sédimentaire continu au Tibet et on connaît mal le passage d’un environnement marin à un environnement continental franc. Au NE Tibet, des argiles alluviales et lacustres se sont déposées de 52 Ma à 17 Ma (bassin de Xining, Dai et al., 2006, et Dupont-Nivet et al., 2007). Au centre du plateau, des sédiments détritiques continentaux se sont déposés entre le milieu du Crétacé (116 +/- 2 Ma, Kapp et al. 2005) au début de l’Oligocène (30 +/-1 Ma, Ding et al., 2003), mais sans continuité sédimentaire, avec un hiatus qui va de la fin du Crétacé au début du Tertiaire (DeCelles et al., 2007).

Une méthode d’estimation de la paléoaltitude repose sur l’analyse de restes végétaux, dont l’analyse du pollen fossile qui sera développée dans le chapitre 2, et l’étude de la

morphologie des végétaux (Climate Leaf Analysis Multivariate Program, Wolfe, 1993). L’incertitude peut atteindre +/- 900 m (Jacques et al., 2014).

On utilise également l’enregistrement fossile, et les isotopes stables (δ 18O) des sédiments carbonatés (calcrètes, sédiments lacustres).

Le δ 18O correspond à la valeur suivante :

δ 𝑂18 = ( 𝑂 18 𝑂 16 𝑒𝑐ℎ 𝑂 18 𝑂 16 𝑠𝑡𝑑 − 1) ∗ 1000

L’utilisation de ce paramètre en paléoaltimétrie repose sur la relation entre l’altitude (qui contrôle la température de condensation de l’eau de pluie) et la composition isotopique des précipitations (Poage et Chamberlain, 2001) : plus l’altitude augmente, plus les eaux météoriques sont relativement pauvres en 18O. Cette méthode implique de connaître la composition de la masse d’eau de départ (océan Indien, par exemple), la relation locale actuelle entre altitude et δ 18O des eaux météoriques. Il faut également connaître la paléotempérature de formation des carbonates et les éventuels changements climatiques depuis le dépôt (Quade et al., 2011). L’incertitude associée à la paléoaltitude fondée sur le δ

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35 Figure I.22. Localisation des données disponibles sur la paléoaltitude du plateau.

Topographie d’après Strobl et al., (2012).

Il semble que le nord-est et le centre du Tibet atteignait déjà des niveaux proches de leur altitude actuelle à la fin de l’Eocène (revue de Quade et al., 2011). En particulier, Dupont-Nivet et al., (2008) montrent le passage à de végétaux d’altitude (Pinacées) vers 38 Ma, dans des sédiments lacustres de la marge nord-est du plateau. D’après une étude de Currie et al., (2005), le δ 18O de carbonates provenant de paléosols et de sédiments lacustres indique que l’altitude du Sud du Tibet (bloc de Lhassa) était de 5200 m (incertitude : +1730, - 605 m) il y a 15 Ma. Ceci est confirmé par la flore fossile qui donne une altitude de 4650 +/- 875 m au Miocène (Spicer et al., 2003) . Au centre du plateau, Rowley et al., (2007) indiquent également de altitudes supérieures à 4000 m à l’Eocène supérieur. Cependant, une étude récente (Sun et al., 2014), fondée sur la comparaison entre l’enregistrement du pollen fossile et la distribution des mêmes espèces aujourd’hui, propose que l’alitude à la fin de l’Oligocène du bassin de Lunpola, (Tibet central, figure I.10) ne serait que de ~3200 +/- 100 m. Ce résultat indiquerait que la surrection majoritairement eut lieu avant l’Oligocène mais que celle-ci continue par la suite. En résumé, la plupart des données de paléoaltimétrie contredisent les modèles de soulèvement récent du plateau, et suggèrent plutôt une surrection précoce en un seul bloc. Ces données sont à utiliser toutefois avec précaution à cause des incertitudes de plus ou moins un kilomètre sur l’altitude et le climat, et proviennent d’études limitées à des zones ponctuelles du Tibet (figure I.22). Elles montrent que la surrection avait commencé à l’Oligocène .

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1.6. Evolution du relief

L’origine de la planéité du Tibet demeure énigmatique. S’agit-il d’une ancienne surface déjà aplanie, puis surélevée au cours de la phase himalayenne ? Ou bien la pénéplanation est-elle postérieure à la collision et à la surrection ?

Plusieurs phénomènes naturels peuvent former des surfaces planes. En particulier, l’érosion aurait pu adoucir de potentiels reliefs préexistants. Dans la zone de drainage interne, on pourrait imaginer un système d’érosion suivie, à proximité du relief érodé, du dépôt sédimentaire des produits d’érosion, ce qui reviendrait à aplanir le relief en érodant les sommets et en comblant les bassins dans une même zone. Cette hypothèse est présentée sur la figure 22. D’autres phénomènes peuvent conduire à la pénéplénation d’un relief.comme l’abrasion marine. L’hypothèse d’un ancien domaine océanique est très peu probable, car la majorité des sédiments tertiaires sont d’origine continentale détritique. Les glaciers sont connus pour leur action érosive ; il a été postulé que, au cours de la dernière glaciation, une calotte de glace aurait recouvert la totalité du Tibet (Kuhle, 1991). Cette hypothèse a donné lieu à de vifs débats, dont l’issue a clairement infirmé cette hypothèse (Owen et al., 2008). En effet, les sédiments glaciaires, bien qu’existant, sont trop rares pour être en accord avec l’hypothèse d’une calotte de glace étendue.

L’âge de la pénéplanation est mal connu sur l’ensemble du plateau. Au Tibet central, d’après des données de thermochronologie, Rohrmann et al., (2012) estime que la

pénéplénation était effective à 45 Ma, Haider et al., (2009) place le processus de

pénéplénation entre 55 et 45 Ma. Dans l’Est Tibet, Clark et al., (2004) a repéré des surface de faible relief séparées par des gorges (figure I.5d) pouvant correspondre à une relique de plateau, mais sans contrainte sur l’âge de cette surface. Sur le plateau du Deosai, van Melle (2008) et van der Beek et al., (2009) ont montré, à partir de données morphologiques et

thermochronolgiques, que la formation des zones de faibles reliefs a eu lieu entre 30 et 40 Ma, et qu’il s’agit d’un reste d’un ancien plateau du Tibet, alors plus étendu vers l’Ouest.

L’origine des hétérogénéités de reliefs au sein du plateau est partiellement expliquée, comme la montre la figure I.23. Les reliefs du nord du plateau (Kunlun, Altun Shan) s’expliquent par une tectonique active. Le très faible relief au centre peut être dû à l’existence du drainage interne. Au Sud-Est, l’érosion régressive par un réseau hydrographique développé et l’érosion générée par les précipitations de la mousson explique la diminution de l’altitude et le fort relief. Par ailleurs, l’ensemble des données relatives à l’évolution du système de mousson, au retrait de la Parathétys et à la place du plateau dans le forçage tectonique du climat ne permettent pas pour l’instant d’avoir une compréhension globale des rétroactions surrection-climat depuis le Cénozoïque. Enfin, il n’existe actuellement pas d’explication au fort relief présent dans l’Ouest Tibet, qui appartient à la zone de drainage interne et où la tectonique active est limitée.

37 Figure I.23. Mécanismes expliquant l’hétérogénéité du relief au sein du plateau tibétain.

Modifié d’après Liu-Zeng et al., (2000).

Fortes pentes et fort relief à haute altitude + pentes modérées avec relief plus faible dans les bassins intermontagneux

Faille active

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