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Euchromatine et hétérochromatine

Chapitre II Centromères & Péricentromères

II.1 Euchromatine et hétérochromatine

II.1.A Les différences

Depuis la première description par Emile Heitz des deux grands domaines de la chromatine, d’autres études utilisant des colorants de l’ADN, tels que le DAPI ou l’iodure de propidium, ont confirmé la présence d’une chromatine lâche, peu colorée, et d’une chromatine condensée, fortement colorée. Ces caractéristiques histologiques qui ont permis de différencier l’euchromatine de l’hétérochromatine s’expliquent par des propriétés structurales distinctes qui ont des conséquences importantes sur la fonction de ces deux compartiments (Figure 22).

1. Caractéristiques épigénétiques

La grande différence entre l’euchromatine et l’hétérochromatine réside dans le degré de compaction de l’ADN. Cette distinction a pu être faite, non seulement par l’utilisation de colorants de l’ADN, mais également par des études biochimiques. Ainsi, la résistance importante qu’offre l’hétérochromatine aux nucléases (Elgin 1996; Grewal and Elgin 2002) ainsi que la présence au sein de celle-ci d’une longueur internucléosomale réduite (Wallrath and Elgin 1995) attestent en faveur d’un haut degré de compaction de l’hétérochromatine comparativement à l’euchromatine. De plus, les modifications épigénétiques, qui sont impliquées dans le degré de compaction de la chromatine, permettent aisément de discriminer les deux domaines. En effet, l’euchromatine présente une hyperacétylation des histones (H3K9, H3K14, H4K5, H4K8, H4K12 et H4K16) et un ADN hypométhylé au niveau des îlots CpG, résultant en une chromatine peu compacte et donc faiblement marquée par les colorants nucléaires. Au contraire, le caractère chromophile de l’hétérochromatine est lié à son haut degré de compaction, impliquant une hyperméthylation de l’ADN ainsi qu’une hypoacétylation globale des histones (Miller, Schnedl et al. 1974; Jeppesen, Mitchell et al. 1992).

L’implication de la méthylation de l’ADN dans la compaction de la chromatine est mise en évidence par l’utilisation d’un analogue de la cytidine qui empêche la méthylation de l’ADN, la 5 Aza-Cytidine. Un traitement des cellules à la 5 Aza-Cytidine conduit à une hypométhylation de l’ADN particulièrement visible au sein des régions hétérochromatiques qui perdent alors leur haut degré de compaction et se décondensent (de Capoa, Menendez et al. 1996; Haaf and Schmid 2000). D’autre

part, des mutations dans les gènes codant pour les DNMT, les enzymes responsables de la méthylation de l’ADN, ont pour conséquence une hypométhylation et une décondensation de l’ADN qui affecte en premier lieu les régions hétérochromatiques. C’est en effet les caractéristiques histologiques observées dans les cellules en culture issues de patients atteints par le syndrome ICF (Ehrlich, Sanchez et al. 2008).

La relation entre l’hypoacétylation des histones et la compaction de l’ADN est également bien documentée. En effet, décrite au cours du chapitre précédent, l’acétylation des histones conduit à la neutralisation des charges positives des lysines ayant pour conséquence une configuration moins compacte de la chromatine. Ainsi, la déacétylation des histones favorise la formation d’une structure chromatinienne plus compacte (Annunziato, Frado et al. 1988; Tse, Sera et al. 1998; Walia, Chen et al. 1998). En particulier, il a été récemment montré que l’acétylation de la lysine 16 de H4 réduit la capacité des nucléosomes à former des structures compactes in vitro et que certaines HDAC sont directement impliquées dans la condensation de la chromatine (Shogren-Knaak, Ishii et al. 2006; Parker, Maxson et al. 2007).

EUCHROMATINE HETEROCHROMATINE

Ac FT

Peu condensée Sur les bras des chromosomes Répliquée pendant la phase S Histones hyper-acétylées, H3mK4

Transcription active

Très condensée

Au niveau des centromères, péricentromères et télomères Répliquée en phase S tardive

Histones hypo-acétylées, H3mK9, H3mK27, H4mK20, ADN méthylé Répression de la transcription

Figure 22 : Euchromatine et Hétérochromatine (d’après (Grewal and Elgin 2007)). Les

différentes caractéristiques de l’euchromatine et de l’hétérochromatine sont indiquées. FT=Facteur de Transcription ; Ac=histone acétylée ; Me=histone méthylée ; HP1= Heterochromatin Protein 1 ; rond rouge= méthylation de l’ADN.

En plus d’être globalement hypoacétylée, l’hétérochromatine constitutive présente un schéma de méthylation des histones assez caractéristique: la trimethylation d’ H3 sur la lysine 9 (H3K9), la trimethylation d’ H4 sur la lysine 20 (H4K20) et la monomethylation d’ H3 sur la lysine 27 (H3K27) (Peters, Kubicek et al. 2003; Kourmouli, Jeppesen et al. 2004). L’euchromatine est quant à elle méthylée sur H3K4. Certaines protéines non histones reconnaissent spécifiquement les marques hétérochromatiques et sont donc retrouvées dans ce domaine. La plus connue de ces

protéines est HP1 (Heterochromatin Protein 1) qui se lie de manière spécifique à H3K9 tri-méthylée. Cette protéine est essentielle à la formation d’une structure compacte de la chromatine (Strahl and Allis 2000; Jenuwein and Allis 2001; Lachner, O'Sullivan et al. 2003). Les détails concernant la fonction de cette protéine sont abordés dans la suite de ce chapitre.

Enfin, certains variants d’histones sont spécifiquement localisés au niveau de régions hétérochromatiques. C’est en effet le cas de CENPA, le variant de l’histone H3, qui est exclusivement présent au niveau des centromères. La fonction de ce variant d’histone est également discutée dans la suite de ce chapitre.

2. Transcription

Le cycle cellulaire se décompose en 4 phases distinctes : la phase G1, la phase S (Synthèse de l’ADN), la phase G2 et la phase M (Mitose). Comme son nom l’indique, c’est au cours de la phase S qu’a lieu la synthèse de l’ADN, c'est à dire sa réplication, avant sa répartition homogène lors de la phase M entre les deux cellules filles. Le moment de la réplication de l’ADN diffère selon la chromatine considérée. En effet, au cours de la phase S, l’euchromatine se réplique avant l’hétérochromatine (Schubeler, Scalzo et al. 2002; Woodfine, Fiegler et al. 2004). Cette différence peut s’expliquer par le fort degré de compaction de l’hétérochromatine qui serait un frein à l’accès de la machinerie de réplication. Cependant, la machinerie de réplication n’est pas la seule à avoir quelques difficultés à se frayer un chemin vers l’hétérochromatine. En effet, un des aspects les plus importants concernant l’hétérochromatine réside dans le fait qu’elle a été longtemps considérée comme une région transcriptionnellement inerte. Historiquement, cette caractérisation est liée à plusieurs observations.

Il existe en effet une corrélation entre l’état de la chromatine et l’activité génétique. L’euchromatine, qui est constituée de chromatine peu compacte, est facilement accessible par la machinerie de transcription. Elle est donc considérée comme permissive à la transcription. Au contraire, le haut degré de condensation de l’hétérochromatine suggère qu’elle demeure relativement inaccessible aux facteurs de transcription. Plusieurs exemples attestent du fait qu’une chromatine condensée est transcriptionnellement inactive. En effet, en règle générale, l’ADN est condensé en anaphase et en métaphase, étapes du cycle cellulaire où la transcription n’a pas lieu. Par contre, la décondensation progressive de l’ADN au cours de la télophase est associée à une reprise de la transcription (Taylor 1960; Prescott and Bender 1962). D’autre part, la condensation de l’ADN peut être observée suite à un traitement des cellules à l’actinomycine D, un inhibiteur de la transcription (Izawa, Allefrey et al.

1963). D’autres observations, en particulier sur les chromosomes polyténiques de drosophile, révèlent que l’hétérochromatine n’est jamais présente dans les régions où se trouvent les bandes caractéristiques des gènes mendéliens. Par autoradiographie après marquage à l’uridine tritiée, Frenster et al montrent que l’hétérochromatine n’est pas le site d’une transcription active dans des lymphocytes de veau (Frenster, Allfrey et al. 1963). Des observations similaires ont été par la suite réalisées chez le campagnol et la caille (Sieger, Pera et al. 1970; Mirre and Stahl 1978). D’autre part, contrairement à l’euchromatine, les délétions de l’hétérochromatine ne sont généralement pas létales et la duplication de telles régions n’engendre pas de dérégulation génétique, suggérant que l’hétérochromatine ne contient pas de gènes importants. Enfin, un dernier aspect de l’hétérochromatine atteste en faveur de son hostilité à la transcription : l’effet PEV (Position Effet Variegation). C’est un mécanisme par lequel l’hétérochromatine impose une répression transcriptionnelle aux gènes qui y sont relocalisés (Zhimulev, Belyaeva et al. 1988; Henikoff and Dreesen 1989; Talbert, LeCiel et al. 1994; Henikoff, Jackson et al. 1995; Sun, Cuaycong et al. 2001). Il est maintenant connu que cette inactivation, provoquée par l’hétérochromatine, implique des mécanismes épigénétiques (Ebert, Lein et al. 2006).

L’hétérochromatine a ainsi longtemps été considérée comme réfractaire à la transcription. Dans les années 70, le « Dogme Central » de la génétique, selon lequel un gène code pour un ARN, lui-même traduit en protéine qui elle seule assure une fonction, était bien établi (Figure 2). Ainsi, l’hétérochromatine qui n’est pas transcrite ni traduite est considérée comme inutile. L’hétérochromatine a alors été surnommée dès 1970 « garbage DNA » ou « junk DNA » qualifiant ainsi cet ADN délesté de fonction éventuelle de déchet génomique (Ohno 1972; Dover 1980; Orgel and Crick 1980).