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Etudes sur les interactions modes de déformation – modes de rupture

I. Bibliographie

I.3. Couplage Mécanique–Oxydation dans l’alliage 718

I.3.1. Etat de l’Art

I.3.1.2. Etudes sur les interactions modes de déformation – modes de rupture

L’alliage 718 est un alliage qui présente une sensibilité à la fissuration assistée par l’oxydation (FAO) pour des températures appartenant à la gamme [500 -700°C]. La sensibilité à la fissuration assistée par l’oxydation est caractérisée par la présence des zones intergranulaires fragiles sur le faciès de rupture. En 2001, Fournier et al. [Fournier 2001] mettent en évidence un phénomène notable : en menant des campagnes d’essais de caractérisation de la sensibilité à la F.A.O. sur l’alliage 718 dans la gamme de températures [400-600°C] et pour une vitesse de déformation de 5.10-7s-1, il apparaît que l’occurrence du phénomène de PLC est concomitante de la disparition d’un mode de rupture Intergranulaire Fragile (IGF) sur le faciès des éprouvettes. Selon ces auteurs, la forte localisation de la déformation dans des bandes macroscopiques lors de l’apparition du phénomène de PLC peut générer une vitesse de déformation locale en pointe de fissure trop importante pour être compatible avec la cinétique d’un phénomène de fissuration assistée par l’oxydation : ainsi, la rupture observée sur le faciès prend un caractère totalement ductile.

Cette interaction entre l’effet PLC et le mode de rupture d’un matériau sollicité en traction uniaxiale a été étudiée durant les travaux de thèse de Garat, Deleume et Ter-Ovanessian dans le but de mieux comprendre les mécanismes de couplage impliqués dans ces phénomènes et de les contrôler via des évolutions de microstructure [Deleume 2007, Garat 2008, Ter-Ovanessian 2008]. Lors de ses travaux de thèse, Garat [Garat 2008] explore la gamme de températures [150°C-700°C] et la gamme de vitesses de déformation [10-5s-1-10-1s-1] sur une coulée d’alliage 718 dans le but de déterminer le domaine d’existence de fissuration intergranulaire à caractère fragile. Lors d’essais sous air et pour des températures supérieures à 400°C, elle établit une correspondance entre disparition du mode de rupture fragile sur le faciès de rupture et occurrence du phénomène de PLC. Lorsque les essais sont menés sous atmosphère inerte ou sous vide secondaire, la rupture est transgranulaire, qu’il y ait ou non occurrence du phénomène de PLC.

Selon Garat, le déclenchement d’instabilités plastiques de type PLC diminue la contrainte locale au niveau des joints de grains, limitant l’amorçage, ou en pointe de défaut, empêchant la propagation : cet effet inhibe le développement d’un mode de rupture à caractère IGF. Les bandes de PLC dans un alliage comme le 718, réputé pour localiser considérablement la déformation, s’initieraient dans ces zones de forte contrainte / déformation. Ainsi, il existe une taille limite de la zone plastique en fond de fissure au-delà de laquelle l’effet PLC peut se propager sur plusieurs grains, modifiant par là même le mode de propagation du défaut créé : la taille de la zone plastique doit, en effet, être de dimension suffisante (plusieurs grains) afin de permettre une ré- homogénéisation de la déformation plastique entre grains adjacents.

En superposant ses résultats avec ceux de Fournier [Fournier 2001] et de Spilmont [Spilmont 1999], Garat établit une carte mode de rupture / mode d’écoulement apparaissant sur la Figure I-37 ci-après :

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Figure I-37 Carte des modes de rupture et d’occurrence du phénomène de PLC d’une coulée d’alliage 718, d’après [Garat 2008]

Lorsque l’on représente sur un plan température-vitesse de déformation les essais de traction en distinguant selon qu’ils présentent ou non des instabilités de l’écoulement de type PLC, on peut mettre en évidence qu’il existe une transition nette entre les domaines ainsi définis qui peut se matérialiser sous forme d’une droite. Si l’on s’intéresse aux faciès de rupture des éprouvettes testées dans ces différentes conditions de sollicitation thermomécaniques (Figure I-38), on se rend compte que lorsque les essais sont pratiqués sous vide secondaire le faciès de rupture est systématiquement transgranulaire ductile. Par contre, lorsque l’on pratique ces essais sous air laboratoire, on constate que les essais pratiqués dans le domaine d’occurrence des instabilités de l’écoulement plastique de type PLC présentent un faciès transgranulaire ductile, alors que les essais pratiqués dans le domaine d’écoulement non saccadé, domaine de trainage des solutés, présente des zones de rupture à caractère intergranulaire.

Figure I-38 Frontières entre les différents modes de rupture associés aux modes de déformation plastique (occurrence ou absence d’écoulement saccadé) en fonction de l’atmosphère d’essai de traction : sous air

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Les essais pratiqués sous air montrent que, lorsque, pour une température donnée, on se place à une vitesse de déformation telle que l’on se situe à limite de la frontière qui existe entre PLC et DSA, le faciès de rupture post-mortem de l’éprouvette est totalement Transgranulaire Ductile (TGD). Si l’on pratique un essai à la même température, mais à une vitesse très légèrement inférieure, en mode DSA sans PLC, on observe un faciès de rupture présentant des zones IGF. Or, la variation de vitesse de déformation entre les deux essais est très faible.

Un grand nombre d’essais a été pratiqué qui mettent en évidence la parfaite répétabilité de ce phénomène. Ainsi on peut superposer aux cartes des modes de déformation (DSA ou PLC) la carte des modes de rupture (IG ou TGD) lors d’essai réalisés sous air laboratoire : les frontières entre les domaines sont superposées.

Dans la lignée des travaux de Fournier et de Garat, Deleume [Deleume 2007] réalise pour différentes coulées de l’alliage 718, présentant des indices de sensibilité à la fissuration assistée par l’oxydation différents, des tracés présentant de manière superposée les domaines de rupture TG / IG et les domaines d’occurrence ou non du phénomène de PLC. Les trois coulées A, B et C présentent toutes un domaine d’instabilité plastique type PLC qui est inclus dans le domaine exploré. Deleume montre que pour les coulées A et B le comportement est similaire à celui de la coulée sur laquelle avait travaillé Garat, à savoir que l’occurrence du phénomène de PLC lors de l’essai de traction est systématiquement associée à la disparition du mode IGF sur le faciès de rupture. La différence est que la frontière d’existence des instabilités plastiques est déplacée vers les plus basses vitesses de déformation d’environ une décade pour la coulée B. La coulée C présente quant à elle un faciès qui est systématiquement TGD, indépendamment de l’occurrence ou non du phénomène de PLC. De plus la frontière d’apparition du phénomène de PLC est déplacée vers les plus basses vitesses de déformation d’une décade par rapport à B et il semblerait que la pente soit modifiée, ce qui suggère un changement de mécanisme. Selon Deleume, c’est la forte localisation de la déformation à laquelle est sujet l’alliage 718 qui génère lors de la déformation plastique des zones de concentration de contrainte constituant des sites d’initiation des instabilités plastiques : le passage des bandes de PLC va tendre à décharger ces zones d’incompatibilité de déformation et de concentration de contrainte prévenant de fait l’amorçage de fissures à caractère intergranulaire. Cette idée est confortée par le fait que la coulée C présente quant à elle moins de zone de concentration de contraintes et présente un comportement polycristallin plus homogène que la coulée A.

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Coulée Carbone Azote Oxygène Soufre ppm mass. ppm mass. ppm mass. ppm mass.

A 581 87 39 3.3

B 340 69 24 2.4

C 261 42 12 2.6

Figure I-39 Déplacement des domaines de modes de rupture et d’occurrence du phénomène de PLC en fonction de la teneur en interstitiels du matériau, et composition nominale de différentes coulées d’alliage

718, d’après [Deleume 2007, Ter-Ovanessian 2008]

Le problème peut être considéré sous un autre angle : lors de l’apparition de bande de déformation localisée de type PLC, la vitesse de déformation locale dans les bandes est nettement plus élevée que la vitesse de déformation globale à laquelle se déroule l’essai de caractérisation. Cette bande est en fait une bande de striction, formant un angle d’environ 55° avec l’axe de sollicitation. Mais ce phénomène de striction, bien qu’intervenant dans une gamme de sollicitation telle que la sensibilité de la contrainte d’écoulement à la vitesse de déformation soit nulle ou légèrement négative, ne se traduit pas par une rupture immédiate de l’éprouvette. La bande de striction écrouit localement le matériau et se propage de proche en proche vers la zone la moins écrouie. La rupture IG nécessite d’une part un endommagement intergranulaire par oxydation (que l’on sait être relativement réduit puisque dans les conditions standard d’essais, quelques centaines de nanomètres sont affectés au niveau du joint de grains lors de la mise en

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tension) ainsi qu’une déformation lente qui soit compatible avec la cinétique d’oxydation IG en cours d’essai. Or la vitesse de déformation locale générée par le passage d’une bande PLC s’avère incompatible avec la cinétique du phénomène d’oxydation IG de l’environnement ; elle est de plusieurs ordres de grandeur supérieure à la vitesse de déformation imposée lors de l’essai. Par ailleurs, on peut également envisager que les chutes successives de contrainte caractéristiques de l’effet PLC lors de l’essai de traction peuvent avoir pour effet une mise en compression des zones plastiques générées en pointe de fissure IG s’étant développées dans les premiers pourcents de déformation plastique de l’essai. La mise en compression de ces zones rendrait alors inopérante le phénomène de propagation IG assistée par l’oxydation des amorces, ce qui expliquerait le caractère TGD de la rupture pour un essai dans le domaine d’occurrence de l’effet PLC.

Il apparaît donc que l’effet mécanique du mode de déformation généré par l’effet PLC rend impossible la propagation de fissures à caractère IG dans l’alliage 718. Par ailleurs, dans le domaine DSA, mais en l’absence d’effet PLC, on peut s’interroger sur la nature purement mécanique du phénomène d’endommagement IG dans l’alliage. En effet, une approche plus récente semble mettre en lumière la possibilité d’une origine chimique à la sensibilité du joint de grains à l’oxydation sous contrainte.

Les travaux de Ter-Ovanessian et al [Ter-Ovanessian 2008] ont porté sur l’effet de la teneur en interstitiels (C, N, O) dans l’alliage et sur la réponse en traction en termes de modes de déformation et de modes de rupture. La diminution de la teneur en interstitiels est en correspondance avec la diminution de l’indice de sensibilité et tend à déplacer la frontière d’occurrence du phénomène d’instabilités plastiques type PLC vers les plus basses vitesses de déformation. Ce comportement est mis en évidence par la Figure I-39. Le mécanisme suggéré repose sur la ségrégation aux joints de grains induite par le mouvement des dislocations. Lors du DSA, en l’absence de PLC, les dislocations mises en mouvement par la déformation plastique transportent leurs nuages d’interstitiels jusqu’aux joints de grains, enrichissant ainsi ces derniers. L’interaction entre ces éléments interstitiels et les pénétrations intergranulaires d’oxygène favorise les réactions de décohésion au niveau des joints de grains ce qui, sous l’effet de la forte localisation de la déformation à laquelle est sujet l’alliage 718, favorise la fissuration intergranulaire. A l’inverse, l’occurrence du phénomène de PLC génère un enrichissement moindre des joints de grains en espèces interstitielles, qui est incompatible avec l’endommagement lié au milieu. Cet enrichissement moindre intervient aussi pour l’alliage 718 présentant une teneur en interstitiels inférieure à une valeur seuil, c’est pourquoi pour la coulée C la rupture serait TGD et ce quel que soit le mode de déformation plastique.

Bien sûr, d’autres facteurs peuvent être pris en compte, en particulier le fait que le traitement appliqué pour abaisser la teneur en interstitiels de l’alliage fait évoluer la microstructure de l’alliage. En effet, ce traitement consiste en un maintien prolongé sous un gaz réducteur à une température suffisamment élevée pour faire précipiter de la phase delta. L’effet de ce changement microstructural avant traitement de vieillissement de l’alliage ne peut être négligé dans la réponse de l’alliage en termes de mode de rupture. Néanmoins, il reste que la frontière DSA / PLC se déplace vers les fortes températures et les faibles vitesses de déformation : ce fait expérimental n’est a priori pas imputable à la précipitation de phase delta car il a été montré, dans les travaux

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de Nalawade et al. [Nalawade 2008], que la précipitation massive de phase delta ne modifie pas la position de la frontière d’occurrence et d’absence de l’effet PLC.

Si dans l’approche que nous proposons d’avoir dans ce manuscrit, l’effet PLC semble inhiber la rupture à caractère IG bien plus par des considérations mécaniques que par son incapacité à générer un enrichissement suffisant des joints grains, il n’en reste pas moins que dans le domaine DSA et en l’absence de PLC, l’importance prise par les phénomènes de ségrégation induite par la déformation ne peut pas être écartée. En effet, en l’absence d’écoulement saccadé et à haute température, on se situe dans un domaine de traînage des solutés par les dislocations mobiles lors de la déformation plastique. Ainsi, lors de la déformation, l’enrichissement progressif des joints de grains par des espèces en solution est plus que probable. Néanmoins, la nature exacte de ces espèces de solutés n’est pas connue avec certitude.

I.3.2. Résumé

Les phénomènes de CSC et de fissuration IG assistée par l’oxydation résultent d’un phénomène de couplage dynamique entre la sollicitation mécanique appliquée au matériau et la dégradation produite par un environnement agressif. L’action synergique de ces deux phénomènes peut conduire à un endommagement important et à la ruine prématurée du matériau.

Selon les modes de sollicitation dans le domaine de déformation plastique de l’alliage 718, les modes de déformation vécus par l’alliage peuvent être différents (écoulement classique, ou saccadé). L’étude des interactions qui existent entre mode de déformation et mode de rupture dans cet alliage est donc un moyen d’identifier les variables mécaniques ou métallurgiques ayant une influence sur la sensibilité de l’alliage à ce type de mécanismes d’endommagement.

Deux approches principales peuvent être considérées pour expliquer ces mécanismes d’endommagement, qui sont soit d’origine mécanique, soit d’origine chimique. Si jusqu’ici la nature essentiellement mécanique de l’interaction entre plasticité et oxydation a été considérée comme cruciale, la piste chimique n’est pas à exclure. En particulier les phénomènes de ségrégation au niveau des joints de grains semblent revêtir une grande importance. Si les joints de grains dans l’alliage 718 sont de façon inhérente le siège d’une ségrégation héritée de la gamme de fabrication, il n’en reste pas moins que les conditions de service des pièces de structure sont à même de générer un enrichissement de ces interfaces en divers solutés. Lors des essais de caractérisation des propriétés mécaniques et de tenue à l’oxydation et à la corrosion de l’alliage dans les gammes de température de service (300-650°C) l’interaction entre dislocations mobiles et solutés diffusant est susceptible de permettre un transport à grande distance, depuis le grain vers les joints favorablement orientés. Un enrichissement de certains joints de grains en espèces transportées est donc susceptible d’intervenir lorsque le matériau est sollicité thermo- mécaniquement. Cette modification de la chimie du joint de grains peut le rendre plus sensible aux phénomènes de fissuration IG sous l’effet de l’oxydation.

La détermination de la nature des espèces enrichissant les joints de grains, que ce soit de façon statique ou bien dynamique, revêt donc une importance particulière dans l’objectif de mieux comprendre quels sont les paramètres chimiques présidant à l’endommagement IG dans un mode

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de dégradation de type CSC ou FAO et par là même proposer des modifications des procédés de fabrication afin de diminuer sa sensibilité à la FAO.

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