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IV. Discussion

IV.2. Aspects chimiques et métallurgiques des interactions

Au cours des travaux présentés ici, il a pu être établi qu’il existe deux domaines distincts d’instabilités de l’écoulement plastique, distingués par une modification de l’évolution de la déformation critique d’apparition de la première instabilité plastique, . Un domaine basse température, qualifié de normal, au sein duquel diminue lorsque T augmente (ou lorsque diminue), et un domaine dit inverse, dans lequel augmente lorsque T augmente (ou lorsque diminue). Ces deux domaines d’évolution de ont été caractérisés et présentent des énergies d’activation apparentes différentes qui ont été comparées aux énergies d’activation associées à la diffusion de différents éléments présents dans l’alliage. Pour les plus basses températures, dans le domaine normal, les résultats semblent confirmer l’idée que le mécanisme à l’origine de l’apparition de l’écoulement saccadé est le résultat d’une interaction dynamique entre le carbone et les dislocations mobiles. Dans le domaine inverse, pour les températures les plus élevées, les résultats des calculs d’énergies d’activation apparentes suggèrent l’interaction d’un substitutionnel avec les dislocations mobiles, sans pour autant permettre de conclure définitivement quant à sa nature.

IV.2.1. Existence d’un comportement inverse d’évolution de

L’explication la plus crédible de l’origine du comportement réside dans l’existence d’un phénomène de formation de complexes entre substitutionnels et interstitiels transportés par les dislocations mobiles au cours de la déformation plastique.

L’interaction entre substitutionnels et interstitiels n’a rien de surprenant dans la mesure où l’alliage est bien connu pour former naturellement des carbures avec le Cr, le Nb et le Mo mais également des nitrures. L’interaction qui existe en particulier entre C et Nb ou C et Mo dans des gammes de température plus basses peut être confirmée par différentes études : en effet, la teneur en C dans l’alliage 718 a un effet direct sur la cinétique de précipitation de la phase δ [Andrieu 2009], mais également sur la cinétique de diffusion du Mo [Heijwegen 1973]. On peut ainsi légitimement envisager que, dans la zone en traction du champ de déformation des dislocations mobiles, l’environnement rassemble plusieurs espèces susceptibles de réagir les unes avec les autres : à savoir un substitutionnel et le carbone.

Dans la mesure où ces espèces sont amenées dans la zone en traction à proximité de la dislocation, et qu’il s’agit d’une zone présentant un réseau localement expansé, les phénomènes de diffusion y sont exacerbés et les espèces en solution sont très proches les unes des autres si bien qu’elles peuvent former des complexes, ou de très fins clusters qui tendent à les rendre moins mobiles. Ces espèces complexées ne sont alors plus en mesure de suivre la dislocation dans son déplacement et ne contribuent plus au phénomène de vieillissement dynamique.

Ainsi dans le domaine de comportement inverse de l’évolution de on se trouve en mode de traînage pour le carbone et en mode de désancrage dynamique pour le substitutionnel. Le carbone tend à saturer rapidement la zone de traction des dislocations du fait de sa plus grande

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mobilité. Le substitutionnel tente de faire sa place dans la zone de transport en traction autour de la dislocation. Il tend à former des complexes avec le carbone, qui eux ne sont pas assez mobiles pour suivre la dislocation dans son déplacement. Or, il est nécessaire d’atteindre une concentration critique en substitutionnel dans le voisinage des dislocations afin de déclencher des instabilités de l’écoulement plastique. Ainsi, la dislocation se charge progressivement en espèce substitutionnelle, mais cette espèce tend à se complexer avec le carbone, perdant par là même en mobilité. Ainsi, peut-on envisager une compétition entre la cinétique d’enrichissement en substitutionnel de l’atmosphère et la cinétique de déplétion par formation de complexes. La cinétique de formation de complexes est d’autant plus importante que la température augmente alors que la cinétique d’enrichissement de la dislocation en substitutionnels dépend statistiquement de la distance parcourue par les dislocations mobiles et de leur temps d’attente au niveau des obstacles qu’elles ont à franchir dans leur plan de glissement. Cette concurrence entre mécanismes peut constituer une explication de l’existence du comportement inverse de , caractérisé par le fait qu’il faut, à mesure que la température augmente, cumuler une déformation plastique de plus en plus importante avant de voir apparaître les instabilités de l’écoulement plastique.

IV.2.2. Sur la position de la frontière IV.2.2.1. Déplacement du domaine

La position du domaine d’existence de l’effet PLC est liée à la composition de l’alliage. Il existe des interactions entre éléments d’alliages qui ont pour effet de déplacer les domaines d’instabilités selon la composition de l’alliage. Ce fait peut être illustré par la représentation de l’extension du domaine d’occurrence de l’effet PLC lorsque l’on compare par exemple un binaire Ni-C [Nakada 1970] et un alliage à base de nickel comportant des substitutionnels, par exemple Ni-Cr-Fe-C [Mulford 1979] tel que l’illustrent les domaines d’instabilité plastique représentés sur la Figure IV-2. Ainsi, le fait de trouver simultanément dans l’alliage du carbone et des éléments substitutionnels tend à modifier l’extension du domaine d’occurrence de l’effet PLC.

(a) (b)

Figure IV-2 Mise en évidence du déplacement du domaine d’occurrence des instabilités de type PLC dans le cas de deux alliages à base de Nickel : (a) un binaire Ni-C, d’après [Nakada 1970], et (b) un alliage 600 (Ni-Cr-

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De même l’augmentation de la teneur en C d’un alliage présentant un effet PLC dû à un substitutionnel modifie la position de ce domaine. Les travaux de Jenkins [Jenkins 1969] sur des austénites Fe-Ni additionnées de Cr, de C, ou bien de Cr et de C, mettent bien en évidence le fait que si deux éléments d’alliage générant chacun un effet PLC dans des domaines de températures et de vitesses de déformation sont présents en même temps, le domaine d’effet PLC résultant n’est pas la somme des effets de chacun des éléments pris séparément. Ces observations sont résumées par le graphique de la Figure IV-3. Le domaine PLC de ce type d’alliage plus complexe est un domaine continu et déplacé par rapport aux domaines de différents solutés pris indépendamment. Ceci confirme clairement l’interaction entre espèces responsables d’effets PLC dans des gammes de sollicitations thermomécaniques distinctes.

Figure IV-3 Domaines d’existence du phénomène PLC et énergies d’activation associées (en kcal/mol) pour trois aciers austénitiques, d’après [Jenkins 1969]

IV.2.2.2. Déplacement de la frontière entre désancrage dynamique et traînage des solutés

Les travaux de Deleume et de Ter-Ovanessian [Deleume 2007, Ter-Ovanessian 2008] qui ont mis en évidence le déplacement de la frontière vers les plus hautes températures et les plus basses vitesses de déformation lorsque la teneur en interstitiels diminue fournissent des éléments d’interprétation importants. En effet, si la frontière se déplace vers les plus hautes températures ou vers les plus basses vitesses, cela signifie que lorsque l’on diminue la teneur en éléments interstitiels, les dislocations mises en mouvement lors de la déformation plastique voient une

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atmosphère moins mobile. La frontière entre DSA et PLC à haute température est la frontière entre les domaines de traînage et de désancrage dynamique des solutés depuis les atmosphères des dislocations. Cela signifie que les dislocations décrochent de leurs atmosphères pour des températures plus élevées ou des vitesses plus basses.

Comprendre ce phénomène requiert de considérer que l’atmosphère n’est pas formée d’une unique sorte d’espèce de soluté. Ainsi, si on considère un substitutionnel et un interstitiel dans le champ de contrainte des dislocations mobiles, dans le domaine de traînage des deux espèces, l’écoulement ne présente pas d’instabilité plastique. Lorsque l’on atteint le domaine de désancrage dynamique de l’espèce la moins mobile, le substitutionnel, l’écoulement devient saccadé et on se trouve dans le domaine d’évolution inverse de . La transition entre traînage et désancrage dynamique intervient lorsque le substitutionnel responsable de l’effet PLC à haute température n’a plus assez de mobilité pour diffuser suffisamment rapidement de manière à suivre de façon permanente les dislocations en mouvement.

C’est la mobilité globale de l’atmosphère qui va définir les couples température et vitesse de déformation pour lesquels les dislocations vont être capables de décrocher.

Ainsi, lorsque la teneur en carbone est élevée les dislocations sont rapidement saturées par cet interstitiel. De plus, la distribution du carbone dans le matériau, par hypothèse homogène, contribue au « piégeage » des substitutionnels via la formation de complexes de mobilité réduite. L’atmosphère est donc constituée majoritairement de carbone et de peu de substitutionnels, si bien que l’atmosphère est « légère » et mobile. En d’autres termes, le carbone induit un phénomène d’écrantage des sites disponibles dans la zone en traction du champ de déformation des dislocations qui limite la présence de substitutionnels transportés et interagissant avec les dislocations mobiles.

A l’inverse, dans le cas où le carbone est en très faible quantité, les dislocations ne sont pas saturées par cet interstitiel, et leur champ de contrainte dispose de place pour constituer une atmosphère comportant une part importante de substitutionnels : cette atmosphère est alors « lourde » et peu mobile. Ainsi, les dislocations vont s’en libérer pour des températures plus élevées et des vitesses de déformation plus faibles. La frontière entre désancrage dynamique et traînage des solutés est alors déplacée vers les vitesses plus faibles et les plus hautes températures. Suivant ces considérations, on comprend bien que dans l’alliage de composition standard en carbone, de l’ordre de quelques centaines de ppm massiques, la déformation plastique dans le domaine de DSA met en mouvement des dislocations qui forment des atmosphères largement composées de carbone et sont capables de les transporter sur de grandes distances. Le carbone est en effet extrêmement mobile dans la gamme de températures où le domaine de traînage se développe. Si le substitutionnel responsable de l’effet PLC est également dans son domaine de traînage, il peut être transporté jusqu’aux joints de grains. Néanmoins, il est peu probable que ce substitutionnel soit à lui seul responsable de la sensibilité du joint de grains vis-à-vis de la fissuration assistée par l’oxydation : en effet, un certain nombre de substitutionnels ségrègent naturellement au niveau des joints de grains lors des étapes d’élaboration de l’alliage et ce malgré les traitements d’homogénéisation.

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Ainsi, l’origine chimique de la plus ou moins forte sensibilité des joints de grains vis-à-vis de la fissuration assistée par l’oxydation tiendrait plutôt de leur enrichissement en carbone plutôt qu’en substitutionnel. Sa concentration au niveau de certains joints de grains peut localement devenir nettement plus élevée (d’un ordre de grandeur) qu’au sein de la matrice [Ping 2007].

IV.3.

Interactions entre modes de déformation et modes