• Aucun résultat trouvé

4 Etude d’une tumeur artificielle

O

ncherche ici à construire un système expérimental capable de simuler de manière simple les aspects mécaniques du développement des tumeurs. Pour cela on utilise des hy-drogels superabsorbants dont les propriétés mécaniques sont modulables et comparables à celles des tissus biologiques. On montre que le modèle que nous venons d’introduire dans le troisième chapitre permet de comprendre qualitativement les résultats. Une interprétation quantitative des données nécessite néanmoins de prendre en compte le détail microscopique du processus de gonflage, distinct de la croissance biologique. On développe alors un mo-dèle de poroélasticité non linéaire qui conduit à un excellent accord avec les mesures. A la lumière de ces résultats, on discute ensuite du rôle des hydrogels comme substituts des tissus biologiques. Les travaux de cette section ont été effectués en collaboration avec Yves Couder et Marie-Alice Guedeau Boudeville du laboratoire MSC (Matière et Systèmes Complexes) de l’université Paris VII.

4.1 Présentation

Les tissus biologiques, par leur complexité, sont des objets qui se révèlent souvent déli-cats à contrôler expérimentalement de manière précise. S’il est possible de moduler certains aspects biochimiques, comme des vitesses de réaction ou les concentrations de diverses mo-lécules, l’étude du rôle de la mécanique dans le développement des tissus souffre d’une dif-ficulté additionnelle, qui réside dans l’impossibilité, en général, à faire varier les paramètres mécaniques (rigidité, viscosité, etc.) des objets biologiques. Cela n’empêche pas de produire des modèles mécaniques pertinents, capable de reproduire les formes observées, mais entrave toutefois une analyse systématique de l’influence des paramètres de contrôle d’origine méca-nique (Dumais et Harrison 2000). Cette difficulté a motivé une recherche pour des substituts abiotiques, aux propriétés mécaniques modulables, capables de reproduire dans une certaine mesure le comportement des tissus biologiques. A cet égard, un matériau se distingue nette-ment : les hydrogels.

4.1.1 Les hydrogels

Figure 4.1 – Fabrication d’une valve d’hydrogel pour des applica-tions en microfluidique. La figure est tirée deMarler et al.(1998).

Les hydrogels sont des matériaux intéressants, composés majoritairement d’eau à l’état liquide, mais qui, à l’équilibre, se comportent essentiellement comme des solides grâce à la présence d’un réseau de polymères qui séquestre le liquide. A la lumière de cette définition, il est clair que les tissus bio-logiques, et en particulier la matrice extracellulaire ainsi que les tissus connectifs, peuvent être considérés comme des gels. Les gels sont cependant des matériaux inertes, à la différence des objets biologiques qui sont thermodynamiquement hors d’équilibre et qui peuvent moduler leur architecture de ma-nière dynamique : on peut d’ailleurs voir les matériaux bio-logiques comme des gels actifs (Kruse et Jülicher 2000, Kruse et al. 2005). Cette proximité structurelle dote les hydrogels de propriétés mécaniques proches des tissus et, de ce fait, ils sont couramment employés dans de nombreux domaines scienti-fiques ayant trait à la santé. Ceux-ci composent par exemple les lentilles de vue (Wichterle et Lim 1960) et certains cathéters. Grâce à leur importante biocompatibilité, ils sont fréquemment utilisés en ingénierie des tissus (Lee et Mooney 2001) où ils forment l’échafaudage nécessaire à l’implantation des cellules avant transplantation (Marler et al. 1998) et sont utilisés dans la fabrication de diverses prothèses telles que les implants mam-maires et le noyau central des disques intervertébraux. Dans ce cadre, une bonne compréhension de leurs propriétés méca-niques est vitale et de nombreuses recherches sont engagées

dans cette direction (Daniels et al. 2007). Les hydrogels sont également utilisés en médecine pour le dépôt local de médicaments dans l’organisme, en exploitant par exemple la capacité

4.1. Présentation 117

des gels à réagir à des variations subtiles de leur environnement, comme le pH ou la tem-pérature (Qiu et Park 2001, Ulijn et al. 2007). Enfin, ils sont également utilisés en tant que pansements pour accélérer le processus de régénération des lésions de la peau (Kirker et al. 2002). D’autre part, les hydrogels possèdent un certain nombre d’applications dans des do-maines plus industriels, tels que la fabrication de valves en microfluidique (Beebe et al. 2000) ou le traitement des eaux usées en exploitant la capacité des hydrogels à séquestrer des mé-taux lourds par chélation (Ali et al. 2003).

4.1.2 Les gels superabsorbants

Figure 4.2 – Hydrogel superabsorbant. La figure est tirée deOno et al.(2007).

Hormis leurs propriétés méca-niques semblables à celles des tissus mous, certains hydrogels possèdent également une très grande capacité d’absorption. Ces gels, dit superab-sorbants, sont capables de retenir jus-qu’à plusieurs centaines de fois leur poids sec en solvant. Cette propriété est utilisée dans la fabrication des couches ou en milieu agricole afin de retenir l’eau dans les environne-ments arides. La composition d’un gel est assez simple : c’est une mix-ture de chaînes de polymère, d’un liant et d’un solvant. Un gel normal retient le solvant grâce à deux effets : d’une part, l’at-traction entre les chaines de polymère hydrophiles et le solvant et, d’autre part, la répulsion électrostatique des chaînes. L’absorption est quant à elle limitée par l’étirement élastique du réseau. Afin de doter le gel de propriétés absorbantes, une possibilité consiste à adjoindre à la composition initiale des monomères chargés. La présence de charges dans le réseau aug-mente considérablement la répulsion électrostatique des chaînes avec elles-mêmes, favorisant ainsi des configurations où elles sont allongées plutôt que repliées. Cela permet de réaliser des gels superabsorbants. D’autre part, cela implique que le taux de gonflage est assez sen-sible à la composition chimique du solvant. En effet, un gel plongé dans de l’eau du robinet gonfle considérablement moins que lorsqu’il est plongé dans de l’eau pure. Récemment, il a été envisagé d’utiliser cette propriété superabsorbante afin de simuler la croissance biolo-gique (Sultan et Boudaoud 2008). Bien entendu, il s’agit là d’une simplification drastique et on peut s’attendre à des différences appréciables entre ces deux types de variation de volume. Par exemple, est-ce que les différences microstructurelles entre un gel et un tissu biologique affectent qualitativement la stabilité mécanique ? D’autre part, les mécanismes responsables de la variation de volume, dans un cas la création de matière solide et dans l’autre l’absorp-tion de liquide, influencent-ils qualitativement le processus de morphogénèse ? En gardant en mémoire ces questions, on va maintenant tenter de créer une tumeur artificielle, sur la base du modèle simple développé dans le chapitre précédent.

4.2 L’expérience

4.2.1 Montage de l’expérience

L’expérience consiste à construire un système expérimental capable de simuler de manière simple les aspects mécaniques du développement des mélanomes. Suite à la discussion de la section précédente, les hydrogels sont tout indiqués pour simuler la croissance d’un tissu biologique. On cherche donc à faire croître un anneau de gel encerclant un disque ne gonflant pas. Parmi les différentes molécules envisageables, nous avons choisi les gels polyacrylamides. Malgré l’importante toxicité du monomère dont ils sont issus, ceux-ci sont fréquemment uti-lisés en électrophorèse et des protocoles détaillés sont facilement disponibles. D’autre part, ils possèdent un remarquable pouvoir absorbant. Le protocole de fabrication du gel s’ins-pire de Menter (2000) etTrujillo et al. (2008) et est maintenant détaillé. Notons que tous les produits chimiques dont nous avons eu besoin, hormis les colorants, proviennent de chez Sigma-Aldrich.

4.2.1.1 Protocole pour la synthèse des hydrogels

Pour préparer un millilitre (ml) de gel, on commence par fabriquer 100 milligrammes (mg) d’une mixture comprenant un monomère : l’acrylamide (AA), un liant : le N,N’-méthylènebisacrylamide (BISAA) et, éventuellement, pour les gels gonflants, une certaine quantité de monomère chargé : le sodium acrylate (SA).

CH = CH +

2

| |

C = O C = O

| |

NH

2

NH

|

CH

2

|

NH

|

C = O

|

CH = CH

2

CH = CH

2

-

| | |

C = O C = O C = O

| | |

NH

2

NH

2

NH

|

CH

2

|

NH NH NH

2 2

| | |

C = O C = O C = O

| | |

- CH - CH - CH - CH - CH - CH -

2 2 2

CH - CH - CH - CH - CH - CH -

2 2 2

Acrylamide Bisacrylamide Polyacrylamide

Documents relatifs