• Aucun résultat trouvé

III. Etude de la ferroélectricité de films ultra-minces

III.2. Etude de la ferroélectricité de couches ultra-minces

III.2.1. Etude de la ferroélectricité par microscopie à force atomique en mode

piézoélectrique (PFM)

L’étude par PFM de films ultra-minces dont la réponse est très faible n’était pas possible à l’INL avec le montage en place. J’ai réalisé une campagne de mesures à Oak Ridge, où la technique de band-excitation PFM permet de s’affranchir d’un certain nombre d’artefacts possibles, liés à la topographie par exemple et qui sont particulièrement importants pour des films ultra-minces. J’ai également réalisée de l’imagerie des domaines après écriture et renversement de domaines. J’ai réalisé ces mesures avec l’accompagnement de Sangmo Yang, postdoc dans l’équipe de Sergei Kalinin et il a complété par la suite ces mesures par l’étude d’un substrat de silicium et d’une couche tampon de SrTiO3/Si.

Pour tous les échantillons de cette série, nous avons réussi à écrire des domaines et à les retourner. Nous présentons sur la Figure IV-17 la réponse PFM du film de BaTiO3 le plus fin, soit 4 MC (~1.6 nm), après l’écriture de trois domaines par application successive de la séquence de tension continue -4V/4V/-4V.

Chapitre IV : Ferroélectricité des couches de BaTiO3 sur Si - Lien avec les conditions de croissance et effets de taille

138

Figure IV-17. Images PFM de l’échantillon de 4 MC de BaTiO3 ( 1.6 nm) sur SrTiO3 (~4 nm)/SiO2/Si polarisé avec la séquence -4V/+4V/-4V sur des régions de taille 7.5x7.5, 4.5x4.5 et 2.5x2.5 μm² respectivement. (a) Image de topographie après l’écriture des domaines (b-c) Images d’amplitude et de phase réalisées directement après l’écriture des domaines (e-f) Images d’amplitude et de phase enregistrées après 60 min. (d-g) Profils de phase associés aux images (c) et (f) respectivement.

Nous observons des domaines bien définis, avec une différence de phase de 180° entre les domaines de polarité opposée. Après un délai de 60 minutes, nous constatons que les domaines sont toujours visibles. Cependant, le contraste de phase s’atténue. Nous observons notamment sur le domaine polarisé avec la tension positive (domaine clair), la présence de petites zones dont la polarisation bascule dans la direction opposée (zones sombres) ce qui indique une relaxation de la polarisation vers un état de polarisation préféré. Ce phénomène est particulièrement visible dans les couches de faibles épaisseurs (4 et 5 MC).

Les cycles d’hystérésis piézoréponse obtenus pour les films de 4, 5,7, 8 et 10 monocouches de BaTiO3 sont présentés sur la Figure IV-18. Pour chaque échantillon, la mesure a été réalisée sur 100 points, les barres d’erreur représentent la dispersion de la mesure.

Chapitre IV : Ferroélectricité des couches de BaTiO3 sur Si - Lien avec les conditions de croissance et effets de taille

139

Figure IV-18. Cycles d’hystérésis piézoréponse rémanents mesurés par PFM pour différentes épaisseurs de films de BaTiO3 (a) 4 MC (b) 5 MC (c) 7 MC (d) 8 MC (e) 10 MC, épitaxiés sur SrTiO3 (4 nm)/SiO2/Si. Les barres d’erreur représentent la dispersion de la mesure, réalisée sur 10x10 points sur une surface de 4x4 μm². (f) Réponse PFM rémanente positive Pr+ et négative Pr- et offset vertical (Pr+ - |Pr-|)/2) en fonction de l’épaisseur de la couche de BaTiO3.

Pour tous les échantillons, nous obtenons un cycle d’hystérésis dont la forme est typique de celle d’un matériau ferroélectrique. Nous observons une évolution des cycles en fonction de l’épaisseur de la couche de BaTiO3. Pour le film de 10 MC de BaTiO3 (~4.0 nm), le cycle est symétrique et d’allure « carrée ». Lorsque l’épaisseur de la couche de BaTiO3 diminue, le

Chapitre IV : Ferroélectricité des couches de BaTiO3 sur Si - Lien avec les conditions de croissance et effets de taille

140

cycle devient de plus en plus incliné. Cet effet de « streching » observé lorsque l’épaisseur diminue est typique de ce qui est attendu lorsqu’il y a un effet de champ dépolarisant, comme cela a été calculé par A.M. Bratkovsky et A.P. Levanyuk [42]. Cet effet est illustré sur la Figure IV-19 ci-dessous.

Figure IV-19. Courbe P(E) calculées (en noire) et réelles (en rouge) obtenues pour des films de BaTiO3 de 9 nm (a) et 30 nm (b) déposés sur SrRuO3/(001)SrTiO3 - Graphe extrait de la référence [42]. On observe un effet d’étirement (stretching) pour la courbe noire du film de 9 nm en comparaison de celle du film de 30 nm, ce qui est dû à l’effet du champ dépolarisant.

Les cycles sont également fortement asymétriques lorsque l’épaisseur diminue, avec un fort décalage le long de l’axe Y de la réponse électromécanique. La réponse rémanente positive (Pr +) décroît fortement lorsque l’épaisseur diminue ; elle est proche de zéro pour les films d’épaisseur inférieure ou égale à 7 MC tandis que la réponse négative (Pr -) varie peu. Ceci est illustré sur la Figure IV-18(f). L’imprint négatif indique une polarisation préférentielle pointant vers l’interface supérieure.

Nous avons observé un effet d’imprint négatif, dans la section précédente, pour des films de 20 nm (Figure IV-4 et Figure IV-12) alors que pour cette nouvelle série, nous obtenons un cycle relativement symétrique pour 4 nm de BaTiO3. Ceci vient, nous pensons, du manque de reproductibilité de la croissance au cours du temps.

Dans la seule autre étude à notre connaissance de la polarisation en fonction de l’épaisseur dans des hétérostructures BaTiO3/SrTiO3/SiO2/(100)Si [1], un effet d’imprint vertical avait été observé pour des films d’épaisseurs 8 et 16 nm alors que le cycle d’hystérésis était symétrique pour 40 nm [1].

Chapitre IV : Ferroélectricité des couches de BaTiO3 sur Si - Lien avec les conditions de croissance et effets de taille

141

Dans la communauté PFM, les premières études reportant un fort imprint de la polarisation et un décalage vertical des cycles d’hystérésis ont été reportées par M. Alexe et al. [29] dans un papier intitulé “Polarization imprint and size effects in mesoscopic ferroelectric structures”. Cet effet d’imprint a été depuis observé de nombreuses fois sur divers systèmes ferroélectriques en couches minces ou nanostructures. M. Alexe et al. avaient reporté un décalage vertical négatif de cycles d’hystérésis mesurés sur des films polycristallins de PZT (30/70) de 110 nm d’épaisseur, structurés (”patternés”) par écriture directe sous faisceau électronique sous forme de plots (1, 0.5, 0.25 et 0.1 µm) ; les films étaient déposés sur des

substrats conducteurs de SrTiO3 dopé Nb. L’amplitude du décalage était directement

corrélée à la taille des motifs inscrits. Les auteurs avaient proposé un modèle d’ancrage des domaines à l’interface avec l’électrode métallique et sur la surface latérale libre avec une taille caractéristique de 15 nm pour la couche de polarisation ancrée à l’interface ferroélectrique/électrode métallique.

L’imprint négatif que nous observons dans nos films est attribué à l’existence de régions non polarisées (aux interfaces inférieures ou supérieures) ou de régions dont la polarisation ne peut pas être renversée car ancrée par des effets de contrainte ou de champ dépolarisant (et donc avec une direction de polarisation privilégiée). L’effet très important observé sur les films ultra-minces lorsque l’épaisseur diminue va dans le sens de cette hypothèse, avec des effets d’interfaces devenant prépondérants lorsque l’épaisseur est en deçà de 7 MC (2.8 nm). L’imprint négatif indique une orientation préférentielle de la polarisation pointant vers l’interface supérieure.

Des calculs réalisés dans l’équipe de C. Ahn à Yale [43] (après la publication de D. Schlom dans Science qui concluait à la ferroélectricité de films ultrafins de SrTiO3 contraints sur Si [21]) prévoient que des films ultra-minces de SrTiO3, BaTiO3 et PZT élaborés directement sur Si sont polaires, avec une polarisation à l’interface Si/SrTiO3 dirigée vers le haut. Cette polarisation ne peut pas être renversée.

Dans notre cas, la structure est plus complexe (films non pseudomorphes du silicium et couche amorphe entre SrTiO3 et Si) et la transposition de la modélisation n’est donc pas possible. Nous pouvons cependant noter que la polarisation négative semble être de façon générale la direction préférentielle en cas de polarisation unique (comme sur Ge ou GaAs) ou lorsque les phénomènes d’interface deviennent prépondérants comme dans le cas de nos films ultra-minces.

Cette étude par PFM indique que la forme des cycles et les variations systématiques observées en fonction de l’épaisseur de BaTiO3 sont en accord avec ce qui est attendu pour des films ferroélectriques.

Chapitre IV : Ferroélectricité des couches de BaTiO3 sur Si - Lien avec les conditions de croissance et effets de taille

142

Les échantillons étant constitués de plusieurs couches, il convient de vérifier que la réponse PFM enregistrée provient bien de la couche de BaTiO3 et non du substrat ou encore de la couche tampon de SrTiO3. Nous avons donc mesuré la réponse PFM d’un substrat de silicium (001) dopé p, ainsi que celle d’une couche de 5 nm de SrTiO3 déposée sur Si. Les cycles rémanents obtenus sont présentés sur la Figure IV-20.

Figure IV-20. Cycles d’hystérésis piézoréponse rémanents mesurés par PFM sur un substrat Si (p) et sur une couche de SrTiO3 (5 nm)/SiO2/Si. Les barres d’erreur représentent la dispersion de la mesure, réalisée sur 10x10 points sur une surface de 5x5 μm².

Pour les deux matériaux nous observons un cycle d’hystérésis. Toutefois, la forme du cycle du substrat de silicium (forme en « ballon de rugby ») diffère de la forme caractéristique d’un cycle ferroélectrique et s’apparente à ce qui peut être mesuré lorsque le matériau est conducteur (voir par exemple les mesures réalisées par James Scott sur une peau de banane dans son fameux papier intitulé « Ferroelectrics go bananas » [44])

En revanche, le cycle obtenu pour l’empilement SrTiO3/SiO2/Si pourrait être compatible avec un cycle ferroélectrique mais est cependant très différent de celui obtenu pour les hétérostructures avec BaTiO3. La réponse PFM mesurée est majoritairement positive (Pr -proche de zéro). Le SrTiO3 est un matériau non ferroélectrique à l’état massif. Toutefois, lorsqu’il est déposé en couche mince pseudomorphe de Si, une polarisation peut être induite sous l’effet de la contrainte [21]. Les calculs de Kolpak et al. ont montré que SrTiO3

pseudomorphe sur Si est polaire, avec une polarisation pointant vers le haut mais que celle-ci ne peut pas être renversée [43]. Dans notre cas, la couche de SrTiO3 n’est pas pseudomorphe de Si et une couche de SiO2 est formée à l’interface avec Si.

Nous ne pouvons cependant pas exclure une composante polaire dans SrTiO3. Le film de SrTiO3 n’est pas pseudomorphe de Si mais il est contraint. Des défauts peuvent être à

Chapitre IV : Ferroélectricité des couches de BaTiO3 sur Si - Lien avec les conditions de croissance et effets de taille

143

l’origine d’un comportement ferroélectrique. Jang et al. [45] ont montré que des films contraints et non contraints de SrTiO3 ont un comportement de type ferroélectrique relaxeur ; la contrainte stabilise les corrélations à longue portée entre régions nanopolaires préexistantes, dont ils attribuent l’existence à une faible sous-stœchiométrie en Sr.

Afin d’explorer plus en avant l’origine des cycles PFM observés dans nos hétérostructures BaTiO3/SrTiO3/SiO2/Si et dans la couche SrTiO3/SiO2/Si, nous avons mesuré les cycles PFM en faisant varier la tension de lecture Vac. Les cycles obtenus, normalisés par Vac, sont reportés sur la Figure IV-21.

Figure IV-21. Cycles d’hystérésis piézoréponse rémanents mesurés par PFM en faisant varier la tension de lecture VAC . (a) couche de SrTiO3/Si (b) Echantillon de 10 MC de BaTiO3 (c) Echantillon de 4 MC de BaTiO3

Balke et al. [14] ont montré une forte dépendance des cycles mesurés pour un matériau ferroélectrique (Pb(Zr,Ti)O3) lorsque la tension de lecture Vac devient supérieure à la valeur du champ coercitif Ec : l’amplitude des cycles diminue quand Vac augmente. Ce n’est pas le cas pour un matériau non ferroélectrique (HfO2 amorphe) dont le cycle, généré par des effets de charges, n’est pas sensible à la modification de Vac. Dans notre cas, les cycles d’hystérésis de la couche SrTiO3/SiO2/Si ne varient que très peu en fonction de la tension Vac, ce qui indique que le signal PFM est majoritairement engendré par des mécanismes autres que de la ferroélectricité ou que la polarisation ne peut pas être renversée. En revanche,

Chapitre IV : Ferroélectricité des couches de BaTiO3 sur Si - Lien avec les conditions de croissance et effets de taille

144

pour les hétérostructures BaTiO3/SrTiO3/SiO2/Si nous observons une dépendance des cycles en fonction de Vac à partir de 2 V pour les deux échantillons mesurés, de 10 et 4 MC. Ce comportement, typique d’un ferroélectrique, va dans le sens de la validation de la ferroélectricité de nos films.