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Partie IV- Résultats :

II. 3.1) Etude eppendorf

II.3.1) Etude eppendorf

Ainsi une première étude a été conduite sur des eppendorfs remplis d’œufs d’esturgeon et conservés au réfrigérateur à 2°C pendant 3 mois, ce laps de temps correspondant à l’ancienne DLUO utilisée par la société Sturgeon. Immédiatement après l’ouverture de la boîte de caviar utilisée pour étudier ce phénomène, une analyse par RMN a été effectuée pour confirmer l’absence d’éthanol dans celle-ci. Une fois cette étape réalisée, 24 eppendorfs ont été remplis autant que possible pour minimiser la quantité d’air présente dans ces tubes et sans casser les œufs. Les eppendorfs ont alors été conservés au réfrigérateur à 2°C et maintenus à l’abri de la lumière afin d’essayer de reproduire les conditions de stockage classiques du caviar jusqu'à leur analyse par RMN.

En ce qui concerne cette investigation, nous avons préparé et analysé une fois par semaine un eppendorf ; deux analyses étant réalisées pour chaque tube correspondant, à une analyse de la partie supérieure, et une de la phase inférieure afin d’étudier si la dégradation était uniforme. Les résultats obtenus pour deux zones des tubes eppendorf étant similaires nous ne présenterons que ceux de la partie supérieure. Les évolutions des différents composés observées pour cette étude sur la partie supérieure des tubes pour différentes périodes de stockage sont données en Figure 61.

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Figure 61 : Evolution des différents composés impliqués dans les processus de fermentation sur les spectres 1D

1H NOESY d’échantillons de caviar conservés au réfrigérateur dans des tubes eppendorf pour différents temps de conservation jusqu’à 18 semaines a) Ethanol, b)α-Glucose, c)β-Glucose, d)Maltose et saccharose e)Acide acétique et f)Acide lactique

a) Ethanol 1 semaine 4 semaines 6 semaines 7 semaines 13 semaines 17 semaines 18 semaines b) α-Glucose c) β-Glucose d) Maltose + Succrose e) Acide acétique f) Acide Lactique

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Tout d’abord, en ce qui concerne l’éthanol, celui-ci commence à apparaître sur le spectre à partir de 3 semaines mais en quantité extrêmement faible. Sa teneur devient réellement significative au bout de 5 à 7 semaines et augmente de manière continue tout au long de l’expérience comme nous pouvons le voir sur la Figure 61a).

Dans le même temps les quantités d’α-glucose et de β-glucose augmentent jusqu’à l’apparition de l’éthanol et décroissent ensuite progressivement jusqu’à la fin de l’étude (Figure 61b) et 61c)). De plus, il est important de signaler que non seulement les teneurs en glucose (α et β) diminuent à partir de la production d’éthanol, mais également les quantités de maltose, qui est un disaccharide composé de deux unités de glucose reliées par une liaison α (1-4) et de saccharose qui est également un disaccharide formé d’une unité de glucose et une unité fructose liés par leurs protons anomériques. Sur le spectre RMN 1H, ces deux molécules peuvent être distinguées des autres sucres par le signal de leurs protons anomériques qui apparaissent sous la forme de doublets qui se chevauchent vers 5,38 ppm (Figure 61d)). Leur présence et leur distinction ont été confirmées par les expériences 2D enregistrées (1H-1H TOCSY et 1H-13C HSQC) pour l’attribution des composés présents dans la phase aqueuse du caviar.

De plus, un autre point important à souligner est que, non seulement la teneur en sucres augmente avant l’apparition de l’éthanol, mais aussi la quantité générale de l’ensemble des métabolites détectés par RMN. Au vu de ces résultats, nous supposons qu’au début de la dégradation, l’augmentation générale de l’intensité du spectre est due à la fois à la protéolyse (dégradation des protéines) et l’hydrolyse des polysaccharides, mais également à la dégradation des tissus qui facilite le processus d’extraction. L’hydrolyse des sucres a été confirmée par l’apparition de monosaccharides tels que le galactose sur le spectre RMN caractérisée par un doublet à 5.26 ppm.

En parallèle, la quantité d’acide acétique augmente doucement au début de l’étude jusqu’à l’apparition d’éthanol puis nettement jusqu’à la fin de l’expérimentation (Figure 61e)). La formation d’acide acétique semble indiquer qu’une fermentation aérobie ait lieu lors de la conservation du caviar, l’acide acétique provenant de l’oxydation de l’éthanol. Bien que nous ayons tâché de remplir au maximum les eppendorfs et de minimiser la quantité d’oxygène présent au sein de ces tubes, ce processus de dégradation a pu être accéléré par la préparation des contenants. L’acide lactique suit la même évolution que l’acide acétique, à savoir une lente augmentation au début de la conservation (jusqu’à la production d’éthanol) suivi d’une forte accumulation jusqu’à la fin de l’étude (Figure 61f)). Ces observations

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semblent attester qu’une fermentation lactique existe lors du stockage, par des bactéries lactiques, ou par des processus enzymatiques. La fermentation lactique commence par la glycolyse du glucose en acide pyruvique, tout comme la fermentation alcoolique, cependant l’acide pyruvique est directement réduit par la lactate déshydrogénase et le coenzyme NADH (Nicotineamide Adenine Dinucleotide réduit) en acide lactique.

D’après ces résultats, la dégradation du caviar au cours de sa conservation au réfrigérateur, au sein des eppendorfs, peut être décrite en trois phases (Figure 62).

Figure 62 : Schéma de dégradation du caviar au cours de sa conservation au réfrigérateur, caractérisé par trois phases distinctes. Les traits de couleurs différentes représentent l’évolution de l’intensité sur le spectre RMN des différents métabolites (sucres, acides aminés, acide lactique, acide acétique et éthanol) au cours du temps. La durée de chaque phase n’est pas proportionnelle à la longueur sur le schéma.

Tout d’abord une première phase, correspondant au début de la dégradation, durant laquelle l’intensité générale du spectre augmente du fait de l’hydrolyse des protéines et des polysaccharides, ainsi que de l’altération des tissus favorisant le processus d’extraction. Cependant, pendant cette phase, l’intensité (et donc la quantité) des sucres (glucose, maltose et saccharose) augmente plus lentement que les acides

1èrephase: Début de la dégradation

2ndephase:

Apparition de l’éthanol et formation plus importante

d’acide lactique et acide acétique

3èmephase: Dégradation plus avancée

Sucres

Acides aminés

Augmentation de l’intensité générale du spectre (acides aminés et sucres)

 Hydrolyse des polysacharides et des protéines , ainsi que dégradation des tissus facilitant la méthode d’extraction

L’éthanol apparaît et commence à croître tandis que l’intensité globale du spectre (sucres et acides aminés) augmente très légèrement pendant une courte période.

T0

Ethanol Acide acétique

Chute de l’intensité générale du spectre (acides aminés et sucres), avec une consommation plus importante des sucres impliqués dans les processus de fermentation (lactique, acétique et éthanoïque)  Augmentation significative des différents marqueurs de fermentation

Acide lactique

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aminés, ceux-ci étant consommés par les différents processus de fermentation. Cette étape prend fin avec l’apparition de l’éthanol.

En effet, la présence d’éthanol semble indiquer le début d’une seconde étape de dégradation puisque, à partir de ce moment, les processus de fermentation commencent à s’accélérer (augmentation plus importante de la teneur en acide lactique et acétique). Pendant cette période relativement courte (quelques semaines), l’intensité générale du spectre augmente doucement.

Enfin, une troisième et dernière phase de dégradation, semble se dégager caractérisée par une nette accélération des processus de fermentation et une chute significative de l’ensemble des composés présents dans la phase aqueuse (acide aminés et sucres) avec une consommation plus importante des sucres impliqués dans les processus de fermentation. Lors de cette dernière étape, l’éthanol qui croit de manière significative au début, augmente par la suite de façon plus modérée, celui-ci étant visiblement oxydé en acide acétique, la formation de ce dernier s’accentuant dans le même temps. De plus, le processus de fermentation lactique s’accélère également ; les conditions devenant probablement plus favorables à sa réalisation (présence d’alcool, pH, teneur en coenzyme NADH).

Cette évolution avec une augmentation de l’intensité du spectre (et donc des métabolites) au début de la conservation du caviar suivie d’une baisse générale aux environs de l’apparition de l’éthanol a également été observée en comparant certains spectres utilisés pour l’étude sur la détermination de l’origine géographique du caviar. En effet, lors de l’envoi transmis par la société Sturgeon dans le but d’équilibrer les modèles statistiques et que ces derniers soient représentatifs de leur production, certains lots transmis correspondaient à des œufs récoltés à des périodes très proches et ayant suivi le même chemin d’élevage et de rinçage que certains échantillons précédemment envoyés, mais conservés pendant plus longtemps au sein de cette entreprise entre -2 et -4 °C. Pour les spécimens conservés pendant une période légèrement plus longue (quelques mois) la teneur des différents métabolites était plus élevée que sur les analyses effectuées précédemment. En revanche, pour les œufs d’esturgeon stockés pendant un intervalle plus long (entre 6 mois et un an), certaines analyses ont révélées la présence d’éthanol en faible quantité et celles-ci présentaient une intensité globale plus faible.

Au vu de l’ensemble des résultats de cette étude, il semblerait que plusieurs processus de fermentation (alcoolique, lactique et acétique) aient lieu lors de la conservation du caviar au réfrigérateur et que ces mécanismes puissent être reliés au niveau de fraîcheur ou d’altération des œufs d’esturgeon. De plus, les conditions de stockage du caviar employées pour cette étude sont tout de même très différentes des

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conditions classiques (grammage, matière du contenant, quantité d’air). Ainsi, afin de confirmer que ces mécanismes de fermentation ont bien lieu dans les boîtes de caviar et que ceux-ci n’ont pas été influencés par la préparation des eppendorfs, une seconde étude a alors été menée, cette fois-ci, sur des boîtes commerciales conservées au réfrigérateur jusqu’à 5 mois et demi. L’intérêt de cette expérimentation est également de pouvoir définir les durées des trois phases de dégradation. Nous allons, à présent, nous intéresser à cette seconde étude et présenter les résultats obtenus sur ces boîtes.