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Deuxième partie : Théorie

B) Etre parent d’un enfant handicapé

Selon Maud Mannoni, l’arrivée d’un enfant ne correspond jamais exactement à ce que la mère attend mais à partir de là, elle va découvrir la compensation d’être une mère heureuse. Cependant, quand le diagnostic s’établit sous une forme irrévocable, la mère entre dans un état de choc, d’angoisse, devant le manque d’identification à son enfant malade. Parfois l’enfant ne peut pas répondre d’une manière normale à ses parents et la synchronisation rythmique de la relation s’en trouve altérée.

Dans le cas de la trisomie 21, l’annonce de l’anomalie chromosomique marque une rupture brutale dans le regard qui va être porté sur un enfant différent de celui qui a été attendu, espéré rêvé.

La survenue de troubles relationnels et / ou d’un handicap provoque un effondrement narcissique et une sidération de la pensée au sein du groupe familial, touchant les assises mêmes du lien parent-enfant et pouvant l’altérer. Face à la souffrance observée, l’on ne peut que constater aussi que le lien parent-enfant et le développement psychomoteur et psychoaffectif du jeune enfant apparaissent entravés, voire menacés et fragiles.

34 cité par GUERRA DE CEA et al. page 4

Les aspects particuliers de la parentalité lorsque l’enfant porte un handicap sont donc : le traumatisme, la blessure narcissique, le deuil impossible de l’enfant imaginaire, un remaniement de l’identité, un risque de dépression ou de somatisations.

Pour les parents, le handicap suscite un intense sentiment de culpabilité en réveillant, par cette transmission anormale, voire monstrueuse, des fantasmes de filiation fautive. Cette rupture prématurée de l’illusion provoque des réactions affectives intenses et aura des conséquences sur la relation qui va s’instaurer avec l’enfant, soit en rendant difficile l’identification à cet enfant différent, dont l’étrangeté risque de rompre le lien de filiation, soit au contraire en accentuant un lien fusionnel avec ce nouveau-né mal venu, non conforme, ce qui peut prendre la forme d’un véritable mouvement d’incorporation.

Etre ou devenir parent ne va pas de soi. Etre parent d’un enfant handicapé constitue une épreuve qui désorganise tous les repères sur lesquels on s’appuie habituellement dans le processus de la parentalité. Dans ce cas, les parents passent par plusieurs étapes. Dans une première phase, l’annonce du handicap provoque une sidération ; comment se reconnaître dans cet enfant ? Puis les parents disent « c’est un enfant comme les autres. » Souvent on considère que cette exclamation signe un déni de la réalité du handicap ; or elle permet d’inscrire l’enfant dans la filiation. Il est effectivement un enfant comme ses frères et sœurs, un enfant de ses parents, reconnu comme tel. Cela n’empêche pas d’accéder à une autre phase, plus réaliste, tenant compte de la différence et de la singularité de cet enfant, qui se manifeste ainsi « il a un caractère particulier ». Il s’agit bien sûr du caractère au sens de tempérament ou de personnalité, mais aussi au sens d’une caractéristique liée au handicap. Enfin les parents peuvent dire « mon enfant est handicapé » mais avant tout « je suis parent ».

Aucun parent n’est préparé au choc que constitue l’annonce du handicap de son enfant. Il s’en suit des bouleversements. Le fait d’apprendre que son enfant est porteur d’un handicap, quel qu’il soit, est un moment inoubliable dans la vie des parents, il va définitivement changer leur regard sur le monde. « Cette expérience constitue un véritable traumatisme, au sens où la surcharge émotionnelle déborde les capacités d’élaboration psychique des parents »35. Les parents interrogés disent avoir été comme pétrifiés de chagrin. Il leur a semblé basculé dans un autre monde. Charles Gardou utilise la métaphore de l’exil « Terrassés par l’adversité, écrasés par le fardeau trop lourd d’une destinée vulnérable et énigmatique, ils se sentent exilés sur une terre où la douleur est empreinte du soupçon de la faute »36.

35 SCHAUDER S. et al (2004) page 610 36 GARDOU C. (2012) page 12

Annoncer une trisomie, c’est parler d’un handicap programmé avant l’apparition d’un décalage de développement et avant que parents et enfant aient pu faire connaissance. Il faut laisser aux parents le temps de faire connaissance avec leur enfant en tant qu’enfant, et non en tant qu’handicap. D’autant plus que chaque enfant aura, à l’intérieur de son syndrome génétique, son développement propre avec ses capacités et ses limites qui ne seront pas les mêmes pour chacun.

L’annonce du handicap devrait se faire en présence des deux parents, afin d’inscrire dès la départ « leur parentalité qui sera si difficile à assumer »37 et en présence de l’enfant, « l’établissement d’une première relation, même ébauchée, aide à voir l’enfant globalement plutôt que de le réduire d’emblée à un handicap. Sinon il risque de porter un diagnostic avant même de porter un prénom. »38Dès le moment où un diagnostic de pathologie chronique est

confirmé, l’enfant cesse radicalement d’être comme les autres. Il semble inévitable que dans un premier temps, l’empreinte de la pathologie ne vienne occulter en partie l’image que les parents se faisaient de leur enfant à partir de leur vécu partagé. Les liens mystérieux qui relient le nouveau-né à ses parents sont tissés à partir des images que ces derniers se font de leur enfant et des espérances qu’elles portent. Certains parents se cramponnent à l’illusion et se retranchent un certain temps, dans un déni plus ou moins massif de la pathologie. Cela semble être le cas de la maman de Manuela. Mais dans l’immense majorité des situations, les parents, malgré leur souffrance, font face.

Simone Korff-Sausse souligne combien souvent l’enfant handicapé n’est pas reconnu pour ce qu’il est, pris dans deux mouvements où « à l’un des extrêmes la différence est gommée, l’étrangeté annulée », et « à l’autre extrême l’enfant handicapé est désigné comme l’autre radicalement différent, figure de l’étrangeté ou de l’horreur. Ce handicap masque tout le reste de sa personnalité…les autres voient ses déficiences mais ne voient plus ses possibilités »39.

Cette étape de l’annonce est la première d’une longue série. Chaque étape de la vie du sujet handicapé comportera une série d’annonces et de prises de conscience, de nouvelles limites, de renoncements.

Il faut laisser du temps à l’enfant pour lui-même et dans la relation ; ce temps est un élément important pour tout enfant atteint dans son développement. Il semble que le handicap

37 KORF-SAUSSE (2010) page 29-30 38 ibid

pousse parfois parents et soignants à d’autant plus « presser le pas » pour rattraper le « retard ». Il est toujours douloureux pour des parents d’accepter l’idée que leur enfant est et restera handicapé. Les difficultés qu’ils rencontrent pour s’installer avec lui dans une relation harmonieuse génèrent des réactions de culpabilité. La tentation est forte de vouloir que l’enfant soit comme les autres et de penser qu’ils n’ont pas besoin d’être accompagnés. Une fois l’aide acceptée et un dialogue installé, il est essentiel que l’enfant et ses parents sortent de leur isolement dans lequel les avait plongés la révélation de la différence et les répercussions de la pathologie.

Cet accompagnement est encore plus indispensable quand le handicap n’est pas accepté comme pour la maman de Manuela. Quand les conditions matérielles sont précaires, comme pour Ahmed et sa maman, ou que l’enfant semble instable et agité comme Claire, il est nécessaire de redoubler de vigilance et de maintenir cet accompagnement en psychomotricité comme nous allons le voir.

Troisième partie :