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JOHANNE

Johanne vient de vivre quatre semaines en pleine nature. Loin de sa communauté, loin de son enfance, loin de bien des regards. Johanne est religieuse, elle a vingt-six ans. Elle me dit:

-"Tu sais, quand j'étais petite fille, on me disait que monter dans les arbres c'était pour les garçons. Quand j'étais jeune fille, on me disait de ne pas aller au bois. Quand je suis entrée en communauté, on m'a dit de ne plus penser aux arbres et au bois. Mais aujourd'hui, si tu savais comme j'ai envie de grimper dans les arbres et de m'envoler comme un oiseau."

J'ai revu Johanne quelques semaines plus tard. Elle était différente. Sa coiffure était changée, ses vêtements portaient de la couleur et elle souriait, ce que je n'avais jamais remarqué autrefois. Johanne est tou- jours en communauté, mais elle est différente. Elle a déjà reconquis la moitié d'elle-même. Elle conserve toujours sa foi, mais elle a retrouvé son corps.

C H A P I T R E 4

L A P E N S E E E C O L O G I Q U E C O M M E

V O I E D'H A R M O N I E E T D E S A G E S S E

Ces expériences font partie de ma vie. Elles contribuent à m'en apprendre davantage sur la nature humaine.

Comme le disait si bien St-Exupéry, la nature nous en apprend plus long sur nous-même que tous les livres parce qu'elle nous résiste. Deman- dez-le à Johanne...

L'homme est devenu aliéné dans une société de plus en plus complexe. U est devenu l'objet et le consommateur. Il s'émerveille facilement des artifices de sa vie; mais il a oublié l'essentiel: le bonheur.

Ce qu'il lui faut maintenant acquérir, ou reconquérir, c'est une conscience écologique, une écologie de l'esprit. Il faut que l'homme réapprenne à vivre, qu'il renaisse à la sensorialité de son corps et de ses émotions. Ce parcours vers une nouvelle genèse pourrait le conduire vers l'intégration de sa personne comme être humain sensible et intelli- gent, pouvant aimer et être aimé.

Mais comme les expériences l'ont démontré, il n'existe pas d'école sans intervenant. Et l'essentiel et la vérité de ces expériences résident dans le style et les conséquences de l'intervention. C'est-à-dire ce

qu'il faut être ou ne pas être pour assister autrui dans son développement. Ou plus précisément la capacité ou la non-capacité de s'intégrer ou non a. l'expérience communicative de deux personnes en présence aux mêmes temps et espace.

Perceptions, authenticité et congruence, sans cela les actes ne re- joignent pas les paroles.

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Finalement le yécu de ces expériences d'interventions m'incite à -me poser la question suivante:

Serait-il possible de réfléchir toute sa vie sans agir un tant soit peu sur soi et les autres? Je m'interroge particulièrement sur mes cinq dernières années. On disait de moi que j'occupais le poste d'un agent de changement... Cinq années de travail, de labeurs, d'influences, de con- seils, de conférences pour réaliser qu'au bout de la course je suis le seul personnage de mon entourage que j'ai suffisamment influencé pour changer à un tel point que parfois je ne me reconnais plus. Certes, j'ai su influencer à l'occasion, mais je n'aurai changé profondément que moi- même.

Et quand je pense à toutes ces professions d'illusionnistes qui, à tour de rôle, revendiquent ce qualificatif et cette mission d'agent de changement. Du temps de la Rome Antique, les hordes d'Attila étaient bien à leur façon aussi des agents de changement. Avec un peu plus de civilité, nos professions dominatrices savent elles aussi conquérir le monde au nom du changement. La multiplicité de la professionnalisation a su subdiviser le monde en tant de spécialités que le pâtissier ne se retrouve pas chez le boulanger. Et pourtant ils ont tous deux la main à la même pâte.

Ce que j'essaie ici d'exprimer c'est l'unité grandissante de ma personne à travers ma réflexion quotidienne. J'en arrive à croire que lorsque l'on se sent un moi grandi par les expériences, il faut agir et saisir au passage l'envie des choses nouvelles. Car il est un temps et un âge où le danger de tourner en rond éternellement apparaît à chaque adulte mature et réfléchi par ses expériences et ses envies. U faut vivre ses envies de vivre. Ce sont elles qui construisent les tremplins nécessaires à l'épanouissement.

Il m'apparaît évident que toute personne vit dans sa vie plusieurs étapes décisives. En général, c'est dans la vingtaine que les cycles de vie commencent à se faire plus interrogateurs, plus complexes et plus adultes par la complexité même de la vie. A ce stade, la réflexion ou

quelconque. Cette décision pourra alors élancer la personne vers un nou- veau cycle par la réalisation évidente de ses envies et de ses aspirations. Une nouvelle personnalité ou plus précisément un nouveau moi nouvellement

enrichi pourra émerger de cette décision d'être lui-même.

C'est à ce stade que plusieurs personnes risqueront de tourner impi- toyablement sur elles-mêmes, dans l'impossibilité de se décider à être ce qu'elles ont envie de vivre avec la somme de leurs expériences et de leurs capacités latentes.

Un geste refoulé, une envie de vivre sacrifiée par l'insécurité du futur risque fort d'ériger des moments présents tristes et jaloux d'un avenir qui aurait pu être meilleur.

A trente ans, je ne voudrais plus de mes vingt ans. Comment pour- rais-je penser ne pas vouloir de mes quarante ans? La vie est une force quotidienne grandissante que la confiance et l'amour de soi rendent plus riche tous les jours de la vie. Chaque âge, comme une nouvelle saison, possède sa beauté et son intelligence. L'homme est le produit de la terre. Il en sort, il y retourne, il y revient, c'est le cycle parfait.

Je "m'écologise" l'esprit parce que je m'adresse à mes sens, à mon affectivité, à ma capacité de relation créatrice. Mon esprit écologique s'anime par la subjectivité de mon vécu corporel, de mes sensations reçues, désirées et enviées et ce, à l'intérieur d'un mouvement qui ne trébuche pas constamment sur l'objectivité rationnelle d'un système civilisateur cherchant à régir et à contrôler ma capacité intégrale d'être homme.

A vivre une pensée écologique, je suis tantôt un rocher immobile et rêveur, un courant d'eau voyageur et cristallin, ou un nuage craintif et prudent. Parfois, je frappe comme l'éclair, cours comme un lièvre ou m'alourdis comme une tortue. Mais ma pensée toujours fluide et vivante se rattache à mon vécu. Et mes gestes et mes agirs sont toujours parents, fils et cousins de mon intelligence, de mon affectivité et de mon corps.

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mode de vie unifiant toutes mes dimensions d'une vie sociale, communautaire, privée et spirituelle.

Ainsi, mes loisirs ont l'allure de mon travail, ma nourriture la va- leur et la richesse de mes idées, mon esthétique morale et artistique, l'agencement de mon habitat.

L'écologie est un phénomène d'inter-dëpendance. La conscience écolo- gique est la personnalisation de ces inter-dépendances. C'est-à-dire comment, en accord avec moi-même, je vis mon phénomène créateur en annihi- lant les résistances qui veulent dévier de leur rythme normal et régulier mes sensations de vie. Mais pour en arriver à ce rythme personnel de vie,

il faut savoir arrêter de penser pour mieux danser ses sensations. En un mot, il faut croire à la subjectivité de sa pensée.

Un esprit écologique est un esprit adulte. Et un adulte est une personne différente des autres, qui se sait différente et qui s'accepte différente. C'est une personne unique, capable de solitude. C'est un moi riche et égoïste de ses richesses et de ses potentialités. Un adulte est une personne séparée de sa mère et de son père, individuel et secure par son indépendance.

Par cette différenciation de mon Moi, j'aime vivre mes différences et partager celles des autres. Comme je construis chaque jour, j'ai tou- jours quelque chose de neuf à offrir. Et ainsi, je cherche et j'attends des autres ce que l'on a de neuf à m'offrir. Je suis fondamentalement un homme de passage. Je suis nomade d'esprit. Je recherche des oasis diffé- rents. Ce qui me fait fuir l'agression, la dominance, la hiérarchie, car ce sont là des relations destructrices. Je ne puis m'inscrire que dans la relation créatrice de deux esprits adultes qui s'agencent avec leurs différences dans la recherche d'une réorganisation de leurs idées communes. C'est l'enjeu de mon esprit écologique vers la complémentarité et l'intégration des inter-dépendances. Et c'est ainsi que la richesse des différences alimente l'amour, la fraternité et la coopération.