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Le roseau se berce toujours

EMISSION ET RECEPTION DU MESSAGE

Les gestes, les regards, l'environnement, la tonalité, le silence sont des enveloppes extérieures qui camouflent l'intervention. Elles peuvent être utilisées à bou ou mauvais escient. Utilisées dans un mou- vement unique, les yeux et les mains sont dans le même mouvement, la to- nalité et le silence dans la même expression, et l'allure du personnage se marie avec l'environnement. Ce sont plus que des constances de paroles et de gestes, mais des renforcements du langage. Mais nous sommes à

ce stade-ci dans une relation assez égocentrique, où il n'y a comme préoccupation que l'émission.

Mais l'intervention ne saurait se satisfaire d'une émission faci- litante sans s'adjoindre tout naturellement une réception identique.

C'est le principe des vases communiquants. Ce qui m'amène à croire que la constance de l'émission devrait se retrouver dans la réception que je fais de l'émission d'autrui. Dans cette hypothèse, l'intervention péda- gogique jusqu'à maintenant personnalisée et personnalisante de l'inter- venèmant devient à deux dimensions, sous le cadre de 1'inter-relation. Nous sommes à la jonction de l'altruisme-égoisme.

Je ne dois plus alors me regarder moi, mais savoir aussi observer les autres. Ou plus précisément ne plus me regarder seul.

Je ne saurais plus alors par le courant de 1'inter-relation, me soustraire à une conception organique et environnementale de la pédagogie et des interventions qui s'y rattachent. L'écologie est la dimension cachée de la vie naturelle. Le lien ne se saisit jamais. U se concrë-

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tise éternellement et quotidiennement au rythme des jours et de l'éner- gie qui l'alimente. Jamais fixe, toujours en mouvement, tout comme l'homme, seule son entité en est la preuve. C'est pourquoi il est tou- jours plus facile de mécaniser et de fixer les approches plutôt que de laisser aller la fluidité de l'expression qui, comme un maillon indivi- duel, va inévitablement souder les relations nécessaires à l'entende- ment.

L'homme craint l'attente et l'insécurité. C'est pourquoi il lui faut toujours un but, un objectif précis, une assurance contre l'imprévu et la spontanéité. L'inconnu lui fait peur. Il lui faudrait se raison- ner, réfléchir et pire encore, savoir attendre l'autre. Dans cette atti-

tude, l'émission n'est pas proportionnelle avec la réception. Elle se veut à sens unique, elle est égocentrique. Elle n'a pas de constance, ni dans l'appel, ni dans l'écoute. L'inter-relation n'existe pas. Il y a fossé entre les esprits en communication. Le message se déchire avant d'arriver.

L'intervention dans son émission doit donc être envisagée en regard de ce qu'est la personne à rejoindre et non en regard de ce que l'on voudrait qu'elle soit ou de ce que l'on s'imagine qu'elle est. Toute intervention actionnée par un besoin de compensation se voue lamen- tablement à un refus de la réception parce qu'au départ il y a anticipa- tion et défense. U y a donc absence de plaisir à intervenir et à rela- tionner parce qu'il y a angoisse à se sentir seul.

Moi, je prends plaisir à intervenir, parce que je prends plaisir à écouter.

LE PLAISIR

Le plaisir de vivre, d'une manière assez primitive, peut se tra- duire par la satisfaction biologique de notre organisme à bien manger, à caresser, à sentir l'air pur ou le parfum d'un champ de fleurs, à s'émerveiller de la beauté de la mer ou de la montagne, ou à se laisser bercer compl4$amment sur un air de Mozart ou de Chopin. Nos cinq sens alimentent notre affectivité et nos émotions. Le plaisir de vivre c'est toucher, voir, entendre, goûter et sentir. Ils sont la source de nos connaissances et de notre intellect.

Trop longtemps oublié et ignoré, le plaisir d'apprendre prend une toute autre valeur, maintenant qu'une personne autonome peut s'exprimer dans ses sensations, à travers ses perceptions et ce, dans un système

(ou une civilisation) qui, jusqu'à maintenant, pour des raisons d'unicité et de jansénisme, condamnait le plaisir comme voie d'expression, d'appren- tissage, de recherche, de découverte et de créativité.

Le plaisir peut conduire à la performance. Pourquoi l'avoir craint si longtemps, ou l'avoir opposé au travail? Sans plaisir, il n'existe pas d'appétit, d'oeuvre d'art, de littérature ou de perfor- mance sportive. Sans plaisir, je m'ennuie, et j'ennuie les autres.

Suis-je authentique, est-ce que j'aime ce que je fais? Si j'ai du plaisir à le faire, il y a de fortes chances que le fasse bien.

Et la manifestation satisfaisante d'un état d'être se fait par le sourire. Le sourire est une expression du plaisir. J'ai eu du

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plaisir à vous rencontrer. J'ai le plaisir de vous annoncer... J'ai le plaisir de vous présenter. Nous avons le plaisir d'avoir parmi nous... C'est avec plaisir que... Quel plaisir j'ai ressenti... On a eu un plaisir fou... Nous avons bu avec plaisir... Quel plaisir fou tu me fais... Voilà autant d'expressions quotidiennes dites et redites de- puis toujours.

Plus qu'un état psychologique, elles expriment une condition biolo- gique de l'organisme. Et cet état de plaisir s'accompagne inévitablement d'une condition d'entrain, de production, de réalisation, et même à

l'extrême de performance.

Un athlète ne peut accomplir de performance sportive s'il n'a pas de plaisir à faire ce qu'il fait. On dira même qu'il en jouit... Un artiste ne peut entretenir un public s'il n'a pas de plaisir à le faire. Le plaisir ne conduit-il pas jusqu'à la performance erotique? La sexuali-

té ne doit-elle pas se vivre dans l'amour et dans le plaisir?

Le plaisir possède cette curieuse caractéristique d'être dans un processus d'apprentissage, à la fois le début (l'exploration) et le

summum dans toute sa complexité créatrice (créativité). Le plaisir prend son essence dans le jeu exploratoire, et son sens dans la jouissance de créer.

L'intervention est un jeu par sa complexité, par les déplacements multiples de ses innombrables variables. Elle est un jeu jamais terminé,

toujours nouveau, dont l'esprit se trouve très souvent alimenté par les impondérables bien plus souvent que par le mesurable. Mais, si j'ai le plaisir d'écrire ce soir, c'est que je sens que j'apprends quelque

chose, que je suis en train de créer quelque chose, ne serait-ce que des mots. Ce plaisir me motive. Il entraîne mon crayon sur ce papier. Les mots et les idées courent d'eux-mêmes. C'est ça écrire. J'ai du plaisir à le faire. Je sens le mouvement de ma réflexion, comme je peux sentir la neige sous mes skis, et mon corps lutter quand je m'enivre de vitesse sur les pentes.

Rien ne sert de chercher, il faut d'abord faire... et le faire avec plaisir.

L'INSECURITE

Normalisant ou non—normalisant

A ce stade-ci de ma réflexion et de mon élan littéraire, je suis angoissé, inquiet, insecure. Je me sens tiraillé par un appel au systé- matique. J'hésite et je résiste temporairement à mon élan initial de

laisser aller. Je cède même à la tentation d'être plus "objectif". Je vais jusqu'à mettre en doute l'allure et le style que je me suis permis jusqu'à maintenant. Je m'incite à être plus scientifique, plus rationnel, plus froid, plus distancé de mes expériences. Je trouve même pour un instant mon audace trop audacieuse. Je m'invite à me sentir coupable de cette allure non normalisante. Je m'agresse. Et j'irai jusqu'à me con- vaincre du besoin de ce questionnaire que je construis à contre coeur bien plus pour les autres que pour moi-même. Je suis victime d'une indiscrétion sociale sur le parcours de mon cheminement personnel dans ce que je crois être ma voie. Ce sont tous ces livres, tous ces auteurs, tous ces profes- seurs qui m'assaillent et me pointent du doigt.

Pendant plusieurs nuits, mon évasion sera pénible. Je serai tenté par les livres, par les connaissances des autres, par la facilité des méthodes. Et j'écrirai ce questionnaire qui viendra briser le rythme de mon élan et de ma poésie dans laquelle je cerne normalement mes con-

elusions, évidences cachées entre les lignes. Ce ne sont pas les mots qui donnent un sens aux idées, mais les idées qui donnent un sens aux mots.

Mais pour moi ce sera pendant un certain temps le conflit intérieur de la norme et je ferai de la mathématique avec des mots.

Ai-je du plaisir quand...? Voici un questionnaire que vous pren- drez peut-être plaisir à remplir. Moi pas. Je n'ai pas eu de plaisir à l'écrire parce que je ne fus pas moi-même en l'écrivant. J'étais angois- sé de répondre à d'autre. J'aurais pourtant su l'exprimer autrement si je n'avais pas cédé aux extérieurs. U faut suivre sa voie, sa conscience, son intériorité quand on intervient sur soi-même.

Je ne regrette ni ne condamne l'intervention normalisante au profit de la non-normalisante, car il existe des circonstances, des étapes du développement, où l'on accepte de céder certaines responsabilités à d'au- tres plus expérimentés. Chez les enfants, entre autres, il y a un âge où ceux-ci transfèrent leurs responsabilités. Mais dans un développement mature, autonome, libre, il n'est pas normal d'agir ainsi. C'est un signe évident d'aliénation.

En fin de compte, je crois que cette transition passagère entre l'audace de l'indépendance et l'hésitation de la sécurité est la manifes- tation d'un équilibre qui vient intégrer les polarités qui se dessinaient entre le bien ou le mal de l'une ou de l'autre intervention. Nous

pourrions finalement déduire que l'audace et l'hésitation sont deux symptômes différents d'une même fièvre: l'envie de réussir.

QUESTIONNAIRE

Ai-je du plaisir quand?

Je parle à 100 personnes Je parle à 20 personnes Je parle à 1 personne J'écris un essai J'écris de l'information J'écris de la poésie

Je corrige des examens Je corrige un essai Je corrige une dictée

J'enseigne à 100 personnes J'enseigne à 20 personnes J'enseigne à 1 personne

J'invite des inconnus