• Aucun résultat trouvé

1. La carie proximale

1.4. Etiopathogénie

La carie dentaire est considérée habituellement comme une maladie infectieuse qui provoque une destruction localisée des tissus durs dentaires. Les facteurs étiologiques sont bien connus : la déminéralisation des tissus durs dentaires résulte de la production d'acides par les micro-organismes de la cavité buccale au terme de la dégradation, par ces derniers, des hydrates de carbone alimentaires (Triller et al., 1991). Le premier modèle expliquant l’étiologie de la carie dentaire a été proposé par Keyes. Ce dernier a identifié trois facteurs causals interreliés: un hôte susceptible, des bactéries cariogènes et des glucides

fermentescibles (Keyes, 1960). Le facteur temps a été ajouté au diagramme original par Newbrun en 1978; en effet, l’interaction entre les trois facteurs doit avoir lieu durant une certaine période pour que la carie se développe (Newbrun, 1983) (Figure 15). Depuis, les chercheurs ont identifié plusieurs autres facteurs (génétiques, comportementaux et environnementaux) influençant le développement de la carie dentaire.

Figure 15: Schéma de Keyes, revu par Newbrun

Le premier facteur responsable des caries dentaires est la présence de bactéries. Les bactéries cariogènes de la cavité buccale colonisent la surface dentaire en formant un biofilm communément appelé plaque dentaire. La déminéralisation acide des tissus calcifiés de la dent est induite par des acides organiques qui sont produits par le métabolisme des sucres des bactéries de la plaque dentaire (Pellat et al., 2002). La flore bactérienne buccale est constituée de plus de 250 taxons en associations intragénériques ou intergénériques. Organisée sous

forme d’un biofilm multigénérique, elle est associée au développement de la pathologie carieuse mais aussi parodontale. Deux types de plaque définis en fonction de leur localisation anatomique sont décrits : la plaque supragingivale impliquée dans la pathologie carieuse et la plaque sous-gingivale associée aux pathologies gingivales et parodontales. Certaines espèces telles que Streptococcus mutans, S. sobrinus et Lactobacillus, identifiables dans ce biofilm, sont cariogènes et constituent les espèces colonisatrices primaires des surfaces dentaires par interaction avec des molécules d’origine salivaire. Le dénominateur commun de ces bactéries cariogènes est, d’une part que celles-ci sont susceptibles de coloniser les surfaces dentaires selon des mécanismes saccharose-dépendants et indépendants, d’autre part qu’elles produisent des acides organiques, notamment de l’acide lactique, capables de dissoudre la fraction inorganique apatitique des dents à partir des glucides alimentaires. La colonisation initiale des surfaces dentaires par les bactéries cariogènes est une étape saccharose-indépendante au cours de laquelle les micro-organismes se fixent sur la pellicule exogène acquise, constituée principalement de glycoprotéines salivaires (Haïkel, 1999). La seconde étape de la formation du biofilm est saccharosedépendante. Grâce à leur équipement enzymatique en glucosyltransférases (GTF), les bactéries cariogènes élaborent des polysaccharides extracellulaires incorporés dans la matrice interbactérienne de ce biofilm. Ces polysaccharides sont des polymères solubles (dextranes) et insolubles (mutanes) du glucose. Les espèces bactériennes de la flore buccale expriment des facteurs de virulence dont les effets sont observables localement et certains à distance : facteurs de colonisation (adhésines), de persistance (agressines, toxines, impédines, protéines de stress, facteurs d’inhibition, effecteurs de l’immunité) et de destruction tissulaire (agressines, acidogénicité, activités protéasiques, activités pro-inflammatoires). Les streptocoques de la cavité buccale colonisent les surfaces dentaires par l’intermédiaire des adhésines (I/II, Lrals) qui sont des constituants protéiques de la paroi bactérienne. Streptococcus mutans joue un rôle clé à la fois dans le son métabolisme de type homofermentaire, mais aussi à sa capacité à produire des homopolymères de glucose à liaison 1-6 (dextranes solubles) synthétisés par des GTF. La plupart des souches de Streptococcus mutans possèdent trois gènes codant pour des enzymes synthétisant des polymères insolubles (gtfB, gtfC) et solubles (gtfD). Les GTF participent aux capacités d’adhérence des streptocoques cariogènes par l’intermédiaire des polymères de glucose qu’elles synthétisent (Burne, 1998). Les enzymes impliquées dans le stockage intracellulaire des polysaccharides seraient aussi des éléments de cariogénicité.

Par méthode télémétrique, Imfeld, dès 1978, a montré que le rinçage avec une solution sucrée à 10 % entraînait une importante chute de pH, en dessous d’un pH de 4 au niveau de la plaque interdentaire de 3 jours. Firestone (1982), a mesuré l’évolution du pH sur différents sites interproximaux par la même technique après rinçage avec une solution sucrée à 10 % (Figure 16). L’élimination mécanique de la plaque interdentaire paraît essentielle dans la diminution de la carie. Dans les pays européens, ce contrôle de la plaque interdentaire par le fil, les brossettes ou autres moyens est pratiqué par moins de 10 % de la population (Haikel, 2001).

Figure 16: Baisse du pH de la plaque à quatre niveaux interproximaux différents après rinçage avec une solution de glucose à 10 %

Un autre facteur responsable du développement carieux est lié à l’alimentation de l’individu. En effet, le développement de la carie dentaire est en rapport avec certains constituants de l’alimentation. Cependant, la carie n’est pas considérée comme une maladie de nutrition. Le processus carieux est plutôt considéré comme une affection résultant des effets locaux de la surconsommation par voie buccale de certains types d’aliments. Ceux-ci sont essentiellement constitués par divers glucides assimilables qui ont des potentialités cariogènes variables. La consommation de glucides a progressivement augmenté depuis le Moyen Âge. Jusqu’au XVe siècle, les sucres étaient surtout réservés aux classes privilégiées et la consommation moyenne par personne était de l’ordre de 1 kg par an. Actuellement, dans les pays industrialisés, la consommation moyenne par personne est de l’ordre de 40 kg par an (50 kg pour l’Australie et 30 kg pour l’Espagne). Historiquement, les sucres ont connu un développement sans pareil : la production totale annuelle de sucre qui était de 8 millions de

tonnes en 1900 est passée à 83 millions en 1973. Le sucre produit à partir de la canne à sucre a connu le début de son extension en Europe, surtout après les voyages de Christophe Colomb, alors que l’exploitation du sucre de betterave s’est développée à partir du XVIIIe siècle. Dans l’alimentation humaine, les glucides proviennent non seulement des sucres de betterave et de canne, mais également des fruits et des produits amylacés, des céréales, pommes de terre et légumineuses. Tous ces glucides peuvent être métabolisés plus ou moins rapidement par les bactéries cariogènes pour couvrir leur besoin en énergie (Piette, 2001). La corrélation entre consommation de glucides et carie dentaire ressort également de l’étude de certaines populations qui, pour des raisons de changements d’environnement, ont modifié rapidement des habitudes alimentaires ancestrales. Pendant des générations, l’alimentation des Inuits du Groenland se composait principalement des produits de la pêche et de la chasse et était pauvre en glucides. Ces Inuits ne présentaient pratiquement pas de caries. L’implantation de bases militaires sur leur territoire pendant la Seconde Guerre mondiale a entraîné une modification spectaculaire de leurs habitudes alimentaires avec consommation de glucides. La carie dentaire prit immédiatement des proportions importantes. Un autre exemple de corrélation entre la consommation de glucides et la carie dentaire est fourni par une maladie rare, à savoir l’intolérance héréditaire au fructose. Il s’agit d’un trouble du métabolisme du fructose, conditionné génétiquement et lié à une déficience en aldolase fructose-1, phosphate du foie. Chez les sujets atteints de cette maladie, la consommation d’aliments contenant du fructose ou du sucre de canne provoque des nausées, des vomissements et une sudation excessive pouvant aller jusqu’à des convulsions et au coma. L’ingestion de glucides étant donc très fortement réduite chez ces malades, plus de la moitié sont indemnes de caries et présentent une très faible prévalence carieuse (Piette, 2001).

L’alimentation joue un rôle essentiel dans la formation et le développement de la carie dentaire. Les observations réalisées in vitro, chez l’animal et chez l’homme, ont mis en évidence une relation entre la fréquence de consommation des sucres fermentescibles et la fréquence carieuse (Bowen et al., 1986). Le pH est le facteur déterminant dans la balance déminéralisation/reminéralisation de l’émail. Le principe des mesures intraorales du pH est l’une des méthodes les plus simples pour déterminer la cariogénicité potentielle des aliments. Le potentiel cariogénique est lié à leur contenu en sucres. Les sucres le plus fréquemment rencontrés dans l’alimentation sont le glucose et le fructose (monosaccharides), le saccharose, le maltose et le lactose (disaccharides), l’amidon (polysaccharide). Le saccharose est considéré comme le plus cariogénique. Cependant, Bowen et al. (1986) ont montré que le

glucose, le fructose et le sucre inverti sont également fortement cariogéniques. Le lactose a le potentiel cariogénique le moins élevé par rapport au saccharose, au glucose et au fructose. Tous les tests de mesure du pH de la plaque interdentaire montrent dans tous les cas une chute de pH, mais plus prononcée pour le fructose, le glucose, le maltose et le saccharose. Le pH considéré comme critique est de 5,7. En ce qui concerne l’amidon, les résultats semblent dépendre de la forme sous laquelle il est consommé. L’amidon naturel, non cuit, est nettement moins cariogénique que les autres sucres. Firestone et al. (1982) ont montré que l’amidon associé au saccharose seul devient plus cariogénique et cette cariogénicité augmente avec la fréquence de consommation. La fréquence carieuse basse enregistrée est plus en rapport avec la fréquence réduite de consommation qu’avec le type de sucre dans l’alimentation.

La manière dont le sucre est consommé est plus importante, pour la prophylaxie de la carie, que la quantité consommée. Ce qui est nocif pour la dent c’est l’ingestion continue de sucre durant la journée. Par exemple, une cannette de boisson sucrée que l’on boit durant une heure à raison d’une gorgée toute les 30 minutes, fait chuter le pH (pH acide) de la cavité buccale en dessous de 5,5 (glycolyse), zone limite où l’émail se dissout. Le nombre de caries est très important chez les jeunes patients qui ont de mauvaises habitudes alimentaires. Il est nécessaire de rendre attentif les parents sur le rôle de l’alimentation dans la prévention de la carie. Les boissons sucrées et autres aliments cariogènes mangés fréquemment entre les repas augmentent l’incidence de la carie dans une population. Il est important d’informer les patients sur la fréquence d’ingestion des sucres.

La salive joue également un rôle très important dans l’alimentation. En effet, la salive dilue les aliments pour donner naissance aux sensations gustatives. Elle lubrifie pour permettre la mastication, la déglutition et la formation du bol alimentaire. Elle initie la digestion des glucides grâce à l’amylase salivaire. La salive effectue un auto-nettoyage de la cavité buccale lors de la mastication. En plus, le pouvoir tampon de la salive, qui fonctionne dès que le pH descend en dessous de 6, absorbe l’acidité et rétablit un pH au-dessus de 6 en trente minutes environ. Ce mécanisme est efficace seulement si la consommation d’aliments sucrés est ponctuelle. Lorsque la consommation de sucre est trop fréquente le pouvoir tampon n’a pas le temps d’effectuer ce travail et le pH de la cavité buccale demeure acide et entraîne la déminéralisation de l’émail ce qui correspond à la première étape dans la formation de la carie.

L’élimination de la plaque et des débris alimentaires constitue une mesure indispensable à la santé buccodentaire. Aujourd’hui, 90 % des populations des pays industrialisés brossent leurs dents plus ou moins régulièrement. Cependant, les enquêtes épidémiologiques ne sont pas unanimes sur la relation entre le brossage et le développement de la carie dentaire. Certaines études montrent une corrélation positive entre la fréquence de brossage et la fréquence carieuse (Ainamo et Parviainen, 1990). Les investigations se sont orientées vers des enquêtes supervisées qui considèrent plus l’effet du nettoyage que le fait de se brosser. Les résultats des différentes enquêtes montrent que l’effet du brossage n’est effectif que s’il est réalisé avec un dentifrice fluoré (Honkala et al., 1990). Après son élimination, la plaque supragingivale se réaccumule lentement ; en l’absence de soins, elle reste limitée pendant 2 jours, puis augmente considérablement pour atteindre un maximum après 7 jours. Cependant, de grandes différences existent dans le renouvellement de la plaque entre les différents patients. Un certain nombre de facteurs prédisposent à cette réaccumulation de plaque. La rétention de plaque est favorisée par les caries, les obturations débordantes ou aux bords défectueux, les défauts d’adaptation marginale des couronnes et inlays, les obturations non polies, le tartre supragingival et les racines dénudées non polies. La détection de la plaque révélée par les nombreux colorants objective les zones de rétention et guide le patient lors du brossage. Cependant, pour les zones interproximales difficilement contrôlables, il existe des accessoires qui permettent l’élimination de la plaque à ce niveau. Quand les espaces interdentaires sont suffisamment larges, la brosse interdentaire permet un nettoyage optimal. Le fil de soie s’avère nécessaire si la papille remplit l’espace interdentaire. Les hydropulseurs employant un ou plusieurs jets, avec ou sans pulsations, montrent une efficacité incontestable dans l’élimination des débris alimentaires et constituent un excellent complément de brossage mécanique particulièrement recommandé aux porteurs de prothèses ou dispositifs orthodontiques. La nécessité d’un dentifrice est parfois discutée, l’élimination de la plaque dépend plus de la technique et du temps consacré que du dentifrice. Cependant, le dentifrice reste l’unique support répétitif de la motivation pour l’hygiène dentaire et la sensation de « fraîcheur de la bouche » apportée par les essences contenues dans les dentifrices constitue la récompense immédiate de l’exécution fastidieuse du brossage.