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Comme évoqué précédemment, de nombreux facteurs qui interviennent dans la dégradation de la fonction respiratoire ont aussi une action délétère sur la fonction musculaire périphérique. Nombre de ces facteurs peuvent expliquer que la perte de force musculaire, par exemple, soit deux à quatre fois plus rapide chez le patient BPCO que chez le sujet sain (Hopkinson et al. 2007). Dans la BPCO, la prévalence de perte de masse musculaire est estimée à 20% pour les patients stables et jusqu’à 50% pour les patients exacerbateurs (Vermeeren et al. 1997; Schols et al. 2014). Cette perte de poids a un impact direct sur la qualité de vie des patients.

Les liens de causalité entre malnutrition et BPCO ne sont pas si évidents. Elle peut être à la fois la cause et la conséquence, il a été rapporté que les patients souffrant d'anorexie présentaient une diminution des capacités de diffusion pulmonaire ainsi qu'une diminution de la force des muscles respiratoires. Il a été aussi montré que les patients

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ayant une atteinte respiratoire plus sévère étaient plus dénutris et que cela avait une conséquence sur la tolérance à l'exercice (Collins et al. 2019; Engelen et al. 1999). La malnutrition des patients BPCO est en partie le résultat d’un déséquilibre entre apport et dépense énergétiques : la dépense énergétique étant augmentée au repos par un travail respiratoire moins efficace, et donc 15 à 20% plus coûteux, que pour une personne saine (Hugli et al. 1996). A l'effort, le changement de typologie musculaire augmente encore cette dépense d'énergie, les fibres de type II étant plus consommatrices que les fibres de type I (voir chapitre sur les anomalies musculaires). Il semblerait également que les apports soient diminués du fait d’une satiété précoce, d’une dyspnée post-prandiale, de la fatigue et de la perte d’appétit (Schols et al. 1991; Vermeeren et al. 1997).

Le lien entre malnutrition et dysfonction musculaire est évident, il pourrait être la conséquence des phénomènes inflammatoires qui contrarieraient la synthèse protéique (Vassilakopoulos et al. 2004), mais est essentiellement causé par une dégradation accrue des protéines musculaires (Langen et al. 2013), voire même une autophagie (Guo et al. 2013). Cette dysfonction musculaire touche l’ensemble des muscles squelettiques, y compris le diaphragme, des patients BPCO.

Dès les premiers stades de la maladie, les patients présentent une perte de poids, une altération de la fonction musculaire squelettique et des performances physiques en raison d'une perte de fibres musculaires oxydatives de type I et de leur capacité oxydative (perte du phénotype oxydatif musculaire). L'évolution dans la maladie conduit à une dysfonction grave du muscle squelettique, une atrophie musculaire, une sarcopénie et un statut catabolique délétère (Rahman et al. 1996; Barreiro 2014). Le vieillissement de cette population majore encore l’effet de perte de masse musculaire par une diminution de la résistance au stress et à l’inflammation.

Il existerait un lien entre l'inflammation systémique et l'atrophie musculaire (Glass 2005). La production de cellules cytokines cibles, va diminuer la synthèse protéique du muscle, accélérer l'apoptose (Siu 2009) et générer une autophagie (Harris 2011). L’inflammation systémique et/ou locale pourrait également jouer un rôle négatif sur la performance contractile du diaphragme (Vassilakopoulos et al. 2004). Les dernières données de la littérature émettent un doute sur le rôle de l'inflammation musculaire en tant qu'événement-clé dans le développement des dysfonctions musculaires des patients BPCO (Marillier et al. 2020; Maltais et al. 2014). Toutes les études ne retrouvent pas

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d'inflammation dans les quadriceps des patients (Montes de Oca et al. 2005; Rabinovich et al. 2003; Ryrsø et al. 2018), même en cas avéré d'atrophie musculaire (Debigaré et al. 2008; Barreiro et al. 2008), ou lors des exacerbations où des poussées inflammatoires sont attendues (Crul et al. 2010).

Les patients BPCO au stade de l'insuffisance respiratoire chronique présentent une diminution de la pression partielle en oxygène artérielle, cette hypoxémie a une influence négative sur le muscle, que ce soit en situation aiguë ou chronique. L'hypoxie tissulaire résultant de l'hypoxémie est associée à l'augmentation de l'inflammation systémique qui est un facteur important de la perte de masse non grasse. La diminution du débit sanguin induit par l'exercice (Dempsey et al. 2006) conduit à une hypoxie musculaire qui va aggraver le stress oxydant lors de la réponse inflammatoire chez le patient BPCO. Ce phénomène aggrave également la susceptibilité des muscles squelettiques à la fatigue par une altération de l'apport et de l'utilisation de l'oxygène (Amann et al. 2010a; F Maltais et al. 2001; Marillier et al. 2020). De plus, la fatigabilité des muscles abdominaux et diaphragmatique est directement influencée par l'hypoxémie (Verges, Bachasson, and Wuyam 2010).

Chez les patients les plus sévères, comme nous l'avons vu plus haut, l'obstruction bronchique limite l'expiration complète et donc l'évacuation du CO2. Quand l'hypoventilation alvéolaire s'installe, la PaCO2 augmente. Or la présence de CO2 dans les cellules diminue le pH des tissus créant une acidose qui va altérer le couple synthèse/dégradation des protéines musculaires (Maltaiset al 2014). L'hypercapnie chronique aurait un effet négatif sur la structure musculaire.

Le traitement par corticothérapie utilisé ponctuellement pour diminuer l'inflammation bronchique n'aurait pas d'effet négatif sur la fonction musculaire des BPCO (Hopkinson et al. 2004). Par contre, son utilisation répétée ou continue augmenterait l'atrophie et la faiblesse musculaire (Decramer et al. 1994; Decramer, De Bock, and Dom 1996) en attaquant préférentiellement les fibres de type II rapides. L'utilisation chronique des corticostéroïdes pourrait donc conduire à une myopathie induite par les stéroïdes et qui toucherait les muscles des membres inférieurs et les muscles respiratoires (Decramer et al. 1994).

La diminution du temps d'activité a également un impact sur la condition physique des patients BPCO, moins actifs dans leurs activités de la vie quotidienne que les

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personnes saines du même âge (Bossenbroek et al. 2011; Albarrati et al. 2020). La diminution du temps d'activité physique pendant de nombreuses années, qui est le meilleur moyen d'éviter l'apparition des symptômes (et qui fait que cette maladie peut évoluer à "bas bruit" pendant très longtemps), conduit à la perte de capacités musculaires (Van Buul et al. 2017). Cette désaffection musculaire est une des principales causes de développement d'anomalies musculaires structurelles et fonctionnelles (Maltais et al. 2014; Jaitovich and Barreiro 2018). Dans la BPCO, on peut noter que certaines désadaptations musculaires (faiblesse musculaire, atrophie musculaire globale, diminution de la surface de section transversale des fibres musculaires, perte de fibres musculaires de type I, réduction de l'activité enzymatique oxydative ou encore réduction du rapport capillarité/fibres) se retrouvent également dans la population saine déconditionnée. Cependant ces altérations ne sont que très partiellement réversibles chez le patient BPCO après une période d'entraînement, alors qu'elles sont presque constamment réversibles chez le sujet adulte sain. Certaines anomalies musculaires, comme l'augmentation du stress oxydant pendant l'exercice, ou l'altération de chaînes du phénotype musculaire (Maltais et al. 1999; Couillard et al. 2003; Marillier et al. 2020), ne sont observées que chez le patient BPCO (A Couillard and Prefaut 2005), conduisant à évoquer une myopathie spécifique à la maladie (A Couillard and Prefaut 2005; M. I. Polkey and Rabe 2009; Michael I. Polkey and Moxham 2011; Wagner 2006). Cette hypothèse est encore très débattue actuellement, en avançant l'argument d'une impossibilité du patient BPCO à atteindre une intensité suffisante pendant un temps adéquat lors du réentrainement à l'effort qui conduirait à restaurer la structure et la fonction musculaire normale (Maltais et al. 2014).

Les étiologies possibles de la dysfonction musculaire ont été résumées dans un tableau publié dans un communiquée commun de l'ATS et de l'ERS sur la dysfonction musculaire des membres inférieurs dans la BPCO [figure 25].

étiologie mécanismes impliqués

facteurs de faiblesse et l'atrophie musculaire

Inutilisation Faiblesse, atrophie, changement de distribution des fibres musculaires et altérations métaboliques

Inflammation Initie une cascade de protéolyse musculaire

Stress oxydatif Initie une cascade de protéolyse musculaire, réduction de l'endurance musculaire, carbonylation possible impliqué dans l'intolérance à l'exercice

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Hypoxémie Diminue la synthèse de protéine musculaire, activation de la dégradation musculaire

Hypercapnie Acidose intracellulaire, altération de la synthèse et dégradation protéique

Faibles niveaux d'hormones anabolisantes et facteurs de croissance

Réduction de la synthèse de protéine musculaire

Dégradation du bilan énergétique Réduction de la synthèse de protéine musculaire Corticothérapie Réduction de la synthèse de protéine musculaire et

augmentation de la protéolyse

Déficit en vitamine D Faiblesse musculaire, atrophie des fibres de type II Facteurs favorisants la fatigue musculaire

Fatigue centrale, feedback des membres inférieurs

Réduction de la puissance motrice des muscles

Réduction l'apport d'oxygène Changement du métabolisme musculaire en faveur de la glycolyse favorisant l'accumulation de métabolites d'origine musculaire

Altération du métabolisme musculaire (réduction de l'activité des enzymes oxydatives et de la fonction mitochondriale)

Utilisation préférentielle de la filière glycolytique et accumulation de métabolites d'origine musculaire

Figure 25 : Etiologie possible de l'atrophie, de la faiblesse musculaire et de la fatigabilité traduit de (Maltais et al. 2014).