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1. Modèles de prise en charge thérapeutique

1.2 Evolution de la participation individuelle des patients

1.2.3 Ethique de la discussion et Alliance thérapeutique

Au XXe siècle, le philosophe allemand Jürgen Habermas (1929- ) poursuit les réflexions

d’Aristote et de Kant sur les facultés morales de chacun à promouvoir pour soi-même, une vie

Bonne et juste, dans le respect d’autrui. Tout comme Kant, il distingue l’idéal moral avec les

principes universels et l’éthique pragmatique rattachée aux particularités individuelles.

Dans l’œuvre Ethique de la Discussion(72), Habermas considère que la morale individuelle

doit se confronter aux arguments de la morale des autres et donc de la morale collective. Pour

cela, il préconise des règles procédurales relatives à une discussion libre de parole,

authentique, se référant autant à l’expérience singulière qu’aux normes sociales. Il redéfinit

les bases de la relation interactive ainsi au lieu d’imposer à tous les autres une maxime dont je

veux qu’elle soit une loi universelle, je dois soumettre ma maxime à tous les autres afin

d’examiner par la discussion sa prétention à l’universalité. Ainsi s’opère un glissement : le

centre de gravité ne réside plus dans ce que chacun souhaite faire valoir, sans être contredit,

comme étant une loi universelle, mais dans ce que tous peuvent unanimement reconnaître

comme une norme universelle.

Cette recherche de consensus renforce la place des patients dans le système de soins tout en

ayant une vision utilitariste de la discussion. La légitimité de la décision vient de la discussion

délibérative qui l’a précédée. En d’autres termes, la décision consensuelle validée par le plus

grand nombre devient un nouveau principe normatif. Ainsi, une application de l’éthique de la

discussion pour l’évaluation médicale s’est imposée dans les années 1990, avec les

conférences de consensus. L’Agence Nationale pour le Développement de l’Evaluation

Médicale, dirigée de 1990 à 1997 par le Professeur Yves Matillon avait pour objet la mise en

place de l’évaluation médicale et des soins ayant un impact en terme de santé publique(73).

Les conférences de consensus consistaient à définir une position dans une controverse portant

sur une procédure médicale, dans le but d’améliorer la pratique clinique(73)en collectant

puis synthétisant l’avis d’experts et de citoyens de plusieurs horizons sur un sujet spécifique.

Dans le domaine de la santé, ces procédures argumentaires intègrent prudemment les services

hospitaliers, créant de nouvelles dynamiques interdisciplinaires, dans les conseils de service.

Elles s’appliquent progressivement à la relation soignant/soigné redéfinie, en petits colloques,

dans les programmes d’éducation thérapeutique. La démarche éthique se situe ici dans un

travail collaboratif, plaçant le malade au centre des préoccupations. Nous en développerons

les applications dans le chapitre sur l’évolution de l’offre par la société (1.3).

Les procédures institutionnelles collectives de l’éthique de la discussion engagent aussi le

professionnel d’une équipe à trouver une posture personnelle dans sa pratique quotidienne.

L’évolution constante de la relation soignant/soigné donne lieu à plusieurs courants et

terminologies liées à la recherche d’une communication et d’un accompagnement entre une

personne vulnérable par une personne aidante. La bienfaisance, avec son empreinte religieuse,

puis bienveillance renvoyant au désir affectif de bien faire pour autrui donne place à l’éthique

de l’alliance. La question qui se pose est comment « bien traiter » autrui avec l’instauration

d’une relation authentique(74), en plus de « traiter bien » à partir de référentiels de soins.

Lors d’une discussion délibérative, ainsi que citée plus haut, le patient sera accompagné par

un professionnel de santé dans la présentation de ses fragilités face à la maladie, mais aussi

dans son projet de soins. La parole subjective du malade s’écoute alors comme un appel à

l’aide, nécessitant la réponse d’un tiers pour se diriger ensemble vers un mieux-être.

Dans une relation empathique, le soignant disponible va « rencontrer » le patient et se sentira

touché par lui, sans forcement de mise en mouvement. Alors que la sollicitation est une invite,

une incitation à faire, la sollicitude la met en action. Le soignant qui a développé une capacité

à être sollicité, à se laisser toucher par l’autre(29), va pouvoir répondre avec sollicitude,

c'est-à-dire en mettant en place des soins prévenants, attentifs, personnalisés. C’est cette

association d’aptitudes relationnelles et compétences professionnelles qui permet au

professionnel de santé de « prendre soin » et de créer une alchimie éthique d’alliance

thérapeutique.

La philosophie de Paul Ricœur place la sollicitude comme nécessité éthique à la dissymétrie

soignant/soigné : C’est peut-être là l’épreuve suprême de la sollicitude, que l’inégalité de

puissance vienne à être récompensée par une authentique réciprocité dans l’échange,

laquelle, à l’heure de l’agonie, se réfugie dans le murmure partagé des voix ou l’étreinte

débile des mains.(75)

Paul Ricœur affine l’éthique de la discussion de Jürgen Habermas en proposant, lors des

commissions de décisions médicales, une « sollicitude critique », forme que prend la sagesse

pratique dans la région des relations interpersonnelles.(75)

Dans la continuité de l’éthique de la sollicitude, Emmanuel Hirsch dans son œuvre « Le

devoir de non-abandon », avec la préface de Didier Sicard, interpelle notre société sur

l’évolution de l’offre de soins et insiste sur la nécessité et la responsabilité des soignants à

valoriser chaque acte de soin comme l’expression la plus sensible du témoignage de nos

obligations à l’égard de l’autre(76) tout en respectant son espace privé et en puisant en

chacun, soignant et soigné, l’ultime humanité de notre Société à prendre soin d’autrui dans

toute sa dignité.

Le XXe siècle signe cette recherche de sagesse pratique en complémentarité des avancées

scientifiques et de la formalisation des repères de communication dans les soins, alors même

que les acteurs se multiplient et les sources d’information se mondialisent.

Chacun revendique de préserver sa santé en tant que Bien supérieur. L’hygiène de vie, en tant

que moyen de valorisation du corps et de l’esprit, devient le modèle contemporain de respect

de soi. La conception moderne d’intensification du rapport à Soi et de valorisation du principe

d’autonomie tend à une utilisation personnalisée voir individualiste de la médecine. La santé

devient un droit utopique en même temps que la prise de conscience de sa vulnérabilité. En

réalité, il s’agit d’une extension abusive du droit à l’accès aux soins, liée à un malentendu du

droit à la santé holistique tel que défini par l’Organisation Mondiale de la Santé(77). En effet,

la santé n’est pas constitutive de la nature humaine et donc non universelle, elle reste aléatoire

pour chacun et tout au long de la vie.

Les concepts développés ci-dessus prennent tout leur sens dans l’élaboration des projets de

vie incluant des stratégies de soins. Nous retrouverons leur inscription théorique et leur mise

en pratique dans le chapitre suivant sur l’organisation du système de santé.