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Estimations de débits de pointes de crues

Dans le document Eléments d'analyse sur les crues éclair (Page 55-59)

2.4 Synthèse

3.1.2 Estimations de débits de pointes de crues

On compte actuellement près de 2200 stations limnimétriques jaugées1 (i.e. de stations

de mesure en continu du niveau des cours d'eau pour lesquelles une relation cote-débit a pu être établie) en France. Un petit tiers de ces stations - 653 exactement - contrôle des bassins versants de moins de 100 km2. En étant un peu rapide, on peut en conclure

qu'en moyenne, en France, un enregistrement limnimétrique est eectué sur près de 12% des bassins versants de 100 km2. Malgré la densité importante du réseau français, aucune

mesure limnimétrique n'existe dans la très grande majorité des cas, lorsqu'on s'intéresse aux contributions de bassins versants de petite surface : 100 km2 ou moins.

Par ailleurs, l'existence d'une station limnimétrique qui n'a pas été endommagée ou détruite durant la crue - ce qui est rare lors des crues éclair - ne signie pas pour autant que des estimations ables de débits sont disponibles. Comme le souligne Costa (1987), la durée limitée des crues éclair et les dangers associés au jaugeage lorsque les vitesses d'écoulement sont importantes et que le cours d'eau charrie de nombreux débris, rendent quasiment impossible toute mesure directe de vitesses d'écoulement au moment de la crue. Les cotes atteintes lors de ces crues exceptionnelles dépassent souvent très largement les niveaux d'eau pour lesquels des jaugeages ont pu être eectués comme l'illustre l'exemple de la gure 3.4.

Fig. 3.4  Courbe de tarage de la station limnimétrique de Luc-sur-Orbieu. Niveau d'eau atteint lors de la crue de novembre 1999 et jaugeages eectués (points).

Faute de pouvoir être mesurés, les débits des crues éclair doivent donc être estimés. Certains

3.1 Collecte et critique des données 55 auteurs ont tenté de formaliser les techniques d'estimation des débits à partir du relevé des sections d'écoulement et d'évaluation de vitesses moyennes basés sur les caractéristiques du lit du cours d'eau (Jarrett, 1990; Lalanne-Berdoutiq, 1994; Benson, 1968; Chartier & Pardé, 1960). Cet exercice reste cependant avant tout une aaire d'expérience ou d'expertise. Les pages qui suivent apportent quelques éléments de réexion sur les méthodes d'estimation des débits de crues, et plus particulièrement des débits de pointe, et sur leur niveau de précision.

Le premier écueil dans l'estimation des débits de pointe de crues, réside dans le repérage de la cote atteinte par les eaux à partir des laisses de crues. Une crue exceptionnelle, aux écoulements chargés et transportant des débris variés, laisse de nombreuses marques souvent encore visibles des mois voire des années après la crue : débris végétaux accumulés sur les obstacles à l'écoulement (arbres, ouvrages d'art, clôtures), traces de limons ou de fuel sur les murs des bâtiments. Ces marques ne sont pas nécessairement représentatives du niveau maximum atteint par les eaux. Elles peuvent résulter d'éclaboussures, ou s'être déposées sur des végétaux ayant ployé sous les ots et s'étant redressés après la crue. Les laisses de crues correspondant aux secteurs où les vitesses d'écoulement ont été les plus modérées doivent être privilégiées : lit majeur, intérieur des bâtiments. Mais, là encore, la prudence s'impose. Le niveau des eaux à l'intérieur de bâtiments fermés peut ne pas atteindre le niveau extérieur. Il est donc absolument indispensable de multiplier et de comparer les relevés de laisses de crues pour une même section d'écoulement. Compte tenu de l'imprécision des marques laissées par les crues et de l'instabilité des ots - existence de vagues en surface de l'écoulement - l'incertitude sur le niveau maximum moyen atteint par les eaux lors d'un épisode de crue éclair peut dicilement être inférieure à quelques dizaines de centimètres. On peut en conclure qu'il est quasiment impossible d'estimer des pentes de ligne d'eau nettement inférieures à 1 % à partir de laisses de crues.

La seconde diculté réside dans le choix des sections d'écoulement pour l'estimation des débits de crues. Les deux principales méthodes d'évaluation (Rico et al., 2001) reposent sur l'hypothèse d'un régime critique ou d'un régime uniforme dans la section d'écoulement considérée au moment de la pointe de crue. L'hypothèse de régime critique est la plus séduisante puisque, dans ce cas, le débit et la section mouillée ou plutôt la hauteur d'eau, sont liés par une relation simple n'impliquant aucun paramètre (Jarrett, 1987). Pour un canal rectangulaire, la vitesse moyenne d'écoulement critique Vc est égale à

Vc =

p ghc

où hc est la hauteur d'eau dans le canal (hauteur critique en l'occurrence) et g est l'ac-

profondeur critique ne sera observée que dans des sections d'écoulement très particulières : réduction locale de la largeur du lit du cours d'eau, écoulement dénoyé au dessus d'un déversoir ... Cette méthode d'estimation n'a pu être employée qu'une fois sur plus d'une centaine de cas lors des retours d'expériences qui sont détaillés dans le chapitre suivant : dans le cas très particulier du déversement sur la digue d'un barrage en béton de dix mètres de haut, non doté d'un évacuateur de crues.

L'approximation uniforme et l'équation de Manning-Strickler ont été utilisées dans tous les autres cas de gure :

Q = 1 nI 1/2A P 2/3 A = 1 ns 1/2R2/3A (3.1)

où Q est le débit de pointe de crue en m3/s, I est la pente de la ligne d'énergie en m/m,

A est la section mouillée en m2, P est le périmètre mouillé en m, n est le coecient de rugosité en s/m1/3, et R est le rayon hydraulique en m.

Comme nous venons de le voir, il est souvent bien dicile d'estimer précisément la pente de la ligne d'eau et de la ligne d'énergie à partir des relevés de laisses de crues. On considère donc généralement qu'elle est égale à la pente du lit du cours d'eau : régime d'écoulement supposé uniforme. La qualité de l'estimation de débit dépendra donc du choix de la section de cours d'eau où elle est eectuée et de la valeur du coecient de rugosité.

Idéalement, les sections de cours d'eau doivent être localisées dans des biefs rectilignes et de prol en travers uniforme, assez loin en amont de singularités hydrauliques (méandres, conuences, barrages, réductions très signicatives de la section d'écoulement sous certains ponts ou dans certaines agglomérations) pour ne pas être inuencées par le remous qu'elles occasionnent. On peut noter au passage que, même dans le cas de cours d'eau à pente forte, et malgré les valeurs élevées de débit de pointe observées lors des crues éclair, les estimations de débits conduisent à des ordres de grandeur de nombre de Froude nettement inférieurs à 1 : le régime d'écoulement est uvial, les courbes de remous (i.e. prols en long des lignes d'eau) sont contrôlées par les conditions aval. En dehors du cas des torrents ou de chenaux articiels à forte pente, une estimation de débit qui conduirait à une valeur de nombre de Froude supérieure à 1 doit faire l'objet d'une critique attentive.

La dernière diculté, et non la moindre, réside dans le choix d'une valeur de coecient de rugosité. Des formules empiriques ont été proposées pour guider ce choix (Jarrett, 1990) : n = 0.32I0.38R−0.16, où s est la pente de la ligne d'énergie généralement supposée égale à

celle du lit du cours d'eau (m/m) et R est le rayon hydraulique (m). La reformulation de l'équation de Manning-Strickler conduit à l'expression suivante pour le débit (en m3/s) :

3.1 Collecte et critique des données 57 Q = 3.170R0.83I0.12A. Ces formules empiriques ont eu un certain succès (Rico et al., 2001). Leur utilisation inconsidérée peut donner une impression fallacieuse de précision et conduire à des erreurs grossières. Selon leur auteur, elles ne sont en eet applicables qu'à des chenaux naturels aux rives régulières, peu encombrées par la végétation, et sans obstacles à l'écoulement. Dans le cas des crues de l'Aude, présentées dans le chapitre suivant, ces formules semblent conduire à une surévaluation systématique des débits de pointe de crues (tableau 3.2).

Dans les deux cas présentés dans le tableau 3.2, les estimations basées sur la formule de Jarrett ne sont pas cohérentes avec des estimations eectuées sur d'autres sections du même bief de cours d'eau. Les valeurs de vitesses moyennes apparaissent peu réalistes : 6 m/s dans un cours d'eau naturel de 30 mètres de large, et 3 m/s dans un cours d'eau fortement encombré par la végétation de dix mètres de large. Par ailleurs, l'érosion limitée du lit et des berges témoigne de vitesses d'écoulement modérées dans ces deux sections. Les niveaux d'eau importants observés (6.5 mètres et près de 2 mètres) sont ici probablement le signe de la forte rugosité du lit et des berges bien plus que de vitesses d'écoulement élevées.

Surface Rayon Pente Vitesse Vitesse

mouillée hydraulique du lit Jarrett estim.

(m2) (m) (m/m) (m/s) (m/s)

26 1.53 0.02 2.84 1.8

195 4.53 0.007 6.12 3.5

Tab. 3.2  Exemples d'estimation de vitesses moyennes d'écoulement lors de la pointe de crue dans le cas de deux sections de cours d'eau du Verdouble (Aude) suite aux crues des 12 et 13 novembre 1999.

En conclusion, l'estimation de débits à partir de laisses de crues est un exercice qui relève avant tout de l'expertise hydraulique. Les formulations empiriques doivent être employées avec prudence, et ne servir que de guide à l'estimation des débits. La vitesse moyenne d'écoulement V = Q/A est plus parlante que le débit : elle peut être mise en rapport avec des observations ou des témoignages (érosion du lit et des berges, transport solide, remous créés par des obstacles, vitesse des objets ottants). Elle se situe généralement entre 1.5 m/s dans le cas des cours amont encombrés de végétation et de quelques mètres de larges et 4 m/s lorsque le lit du cours d'eau est large et propre.

Il est de plus absolument indispensable de multiplier les estimations pour des sections de cours d'eau de géométries diverses an de pouvoir les valider. Un débit estimé dans le

cas d'une section peut conduire à une valeur aberrante de vitesse moyenne d'écoulement dans le cas d'une section voisine et mettre en évidence une ou plusieurs sources d'erreurs grossières possibles : mauvaise estimation de la pente (en particulier dans le cas de cours d'eau à pente faible), écoulement soumis à une inuence aval marquée, sous-estimation ou surestimation de l'écoulement en lit majeur ...

La précision des estimations de débits de pointe de crue dépend grandement de l'expérience de l'hydrologue. Dans le meilleur des cas, les débits sont probablement connus à +/- 50% près.

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