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Espaces de coh´erence, de finitude et de K¨othe

2.3 Logique tensorielle

2.3.6 Espaces de coh´erence, de finitude et de K¨othe

Nous allons maintenant montrer que les espaces de coh´erence, de finitude et de K¨othe sont obtenus `a partir d’une logique tensorielle pour laquelle la monade de continuation est commutative. Il fait parti du folklore dans le milieu de la logique lin´eaire que les espaces coh´erents peuvent ˆetre d´ecrit comme certains objets plus primitifs qui sont clos

2.3. Logique tensorielle 61 par biorthogonal. Il s’av`ere que c’est aussi comme ¸ca que sont construits les espaces de finitude et de K¨othe. Pourtant, `a notre connaissance, personne n’a d´ecrit en d´etail la structure cat´egorique qui r´egie ces objets plus primitifs. Nous proposons d’y rem´edier en d´efinissant un mod`ele de logique tensorielle G(Mat) obtenue par recollement le long du foncteur Mat(1, −), o`u Mat est la cat´egorie des matrices `a valeurs dans N = N ∪ {+∞}. Cette utilisation du recollement pour les mod`eles de la logique tensorielle est inspir´ee du travail de Martin Hyland et Andrea Schalk sur pour la logique lin´eaire [HS03]. Nous d´efinirons alors deux notions d’orthogonalit´e (et donc de n´egation) ; l’une donnant lieu aux espaces de coh´erence, l’autre aux espaces de finitude. Les espaces de K¨othe sont obtenus en rempla¸cant N par K pour K = R ou C.

Notre construction part d’une structure cat´egorique importante en informatique ; celle des distributeurs Dist (ou modules) `a valeurs dans Ens. Gian Luca Cattani et Glynn Winskel [CW05] ont r´ecemment montr´e que cette structure permettait de mod´eliser fi- nement les processus et les bisimulations entre processus. Elle donne aussi un mod`ele de logique tensorielle. Un objet C de Dist est une petite cat´egorie et un morphisme M entre

C et D est un foncteur

M : C × Dop −→ Ens,

not´e

M : C −→p D,

et appel´e distributeur ou module. Ceci ne d´efinit pas exactement une cat´egorie mais plutˆot une bicat´egorie. Comme nous allons rapidement nous restreindre `a la cat´egorie Mat, nous reportons la construction compl`ete de cette bicat´egorie au Chapitre 3.

Cette bicat´egorie d´efinit un mod`ele (bicat´egorique) de logique tensorielle. Le produit tensoriel est donn´e par le produit cart´esien de cat´egories et la somme est donn´ee par le coproduit de cat´egories. La n´egation tensorielle est d´efinie par le foncteur (−)op qui `a toute cat´egorie associe sa cat´egorie oppos´ee. Les isomorphismes suivants assurent que le foncteur d´efinit bien une n´egation tensorielle

Dist(C × D, Eop) ∼= Cat(C × D × E , Ens) ∼= Dist(C, (D × E )op).

Il nous reste `a donner la modalit´e exponentielle. Id´ealement, nous souhaiterions qu’elle viennent de la construction libre d’une cat´egorie mono¨ıdale sym´etrique S(C)e `a partir

d’une cat´egorie C. Malheureusement, un mono¨ıde commutatif dans Cat est une cat´egorie mono¨ıdale strictement sym´etrique, ce qui est un peu moins courant. En utilisant le th´eo- r`eme d´emontr´e au Chapitre 3 sur la construction du mono¨ıde commutatif libre, on peut construire un 2-foncteur S sur Cat qui `a toute cat´egorie C associe la cat´egorie mono¨ıdale strictement sym´etrique S(C). Cette cat´egorie est obtenue intuitivement `a partir de S(C)e

en identifiant les objets A ⊗ B et B ⊗ A. On a d’ailleurs une transformation naturelle α de composante

αC : S(C) −e −→ S(C).

Cette construction se rel`eve en un bifoncteur sur la bicat´egorie Dist qui, par dualit´e dans Dist, donne la modalit´e exponentielle de notre mod`ele.

Proposition 2.14 La bicat´egorie Dist d´efinit un mod`ele (bicat´egorique) de la logique tensorielle.

Notre but est de retrouver petit `a petit les mod`eles des espaces de coh´erence, espaces de finitude et espaces de K¨othe `a partir de la bicat´egorie Dist. On consid`ere dans un premier temps la bicat´egorie Mod(Ens) obtenue en ne gardant de Dist que les objets qui sont des ensembles d´enombrables (vus comme des cat´egories discr`etes) et les modules

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`a valeur dans les ensembles d´enombrables. Cette sous-bicat´egorie est toujours un mod`ele de la logique tensorielle car elle est close par toutes les constructions susmentionn´ees. La n´egation tensorielle devient alors l’identit´e et la modalit´e exponentielle devient la construction multiensemble. L’int´erˆet de cette bicat´egorie est qu’on peut la projeter dans la cat´egorie Mat des matrices `a valeurs dans N que nous d´ecrivons maintenant.

D´efinition 2.15 (matrice `a valeurs dans N)

La cat´egorie des matrice `a valeurs dans N a pour objets X, Y les ensembles d´enombrables et pour morphismes M : X→p Y les fonctions

M : X × Y → N.

L’identit´e est d´efinie par

idX : (x, y) 7→

(

1 si x = y 0 sinon.

La composition de M : X→p Y avec N : Y →p Z est obtenue par la formule habituelle de composition des matrices

N ◦ M = X

y∈Y

M (x, y) ∗ N (y, z)

o`u + et ∗ d´enotent l’addition et la multiplication usuelles dans l’anneau N (en particulier 0 ∗ ∞ = 0).

On a un bifoncteur

Mod(Ens) −→ Mat

X 7→ X

M : X→p Y 7→ (x, y) 7→ #(M (x, y))

qui est l’identit´e sur les objets et qui `a un module associe une matrice repr´esentant la cardinalit´e de chaque ensemble d´efinissant le module. Ce foncteur va nous permettre d’importer les structures de Mod(Ens) `a Mat.

La multiplication de N induit une structure mono¨ıdale ⊗ sur Mat comme suit – Le produit tensoriel de deux objets X et Y de Mat est donn´e par leur produit

ensembliste

X ⊗ Y def= X × Y.

– Le produit tensoriel de deux matrices M : X→p X0 et N : Y →p Y0 est obtenu par

M ⊗ N (x, y, x0, y) def= M (x, x0) ∗ N (y, y0).

– L’unit´e du produit tensoriel est donn´e par l’ensemble singleton 1 = {?}.

La n´egation tensorielle est maintenant donn´ee par le foncteur identit´e, la somme est tou- jours donn´ee par le coproduit. On va maintenant d´ecrire la modalit´e exponentielle en s’appuyant sur le travail de Ryu Hasegawa [Has02b] dans lequel il d´efinit une exponen- tielle sur une cat´egorie de pr´efaisceaux.

2.3. Logique tensorielle 63

D´efinition 2.16 (modalit´e exponentielle dans Mat)

´Etant donn´e un ensemble X de Mat, l’exponentiel !X est donn´e par l’ensemble des multiensembles finis d’´el´ements de X. La comultiplication δ : !X→p !X ⊗ !X correspond `a la matrice

δ : !X × !X × !X → N : (w, w0, w00) 7→

(

1 si w = w0∪ w00

0 sinon.

´Etant donn´ee une matrice M : X→pY , la matrice !M : !X→p!Y est d´efinie par !M : ([x1, · · · , xn], [y1, · · · , ym]) 7→      X σ∈L([x1,··· ,xn]) Y 1≤i≤n M (xσ(i), yi) si n = m 0 sinon.

o`u [x1, · · · , xn]repr´esente un multiensemble `a n ´el´ements de X. La sommation est faite

sur le sous-ensemble

L([x1, · · · , xn] def= Sn/ ∼

des permutations sur [1, · · · , n] o`u ∼ est la relation d’´equivalence

σ ∼ ρ ⇐⇒def ∀ i, xσ(i)= xρ(i).

Proposition 2.17 La cat´egorie Mat d´efinit un mod`ele de la logique tensorielle.

Pour retrouver les espaces de coh´erence et de finitude, on va maintenant construire la cat´egorie G(Mat) obtenue par recollement le long du foncteur Mat(1, −). Martin Hyland et Andrea Schalk [HS03] ont montr´e que cette construction pr´eserve les mod`eles de logique lin´eaire. C’est aussi le cas pour les mod`eles de logique tensorielle. La preuve donn´ee par Hyland et Schalk ne n´ecessite que des adaptations mineures.

efinition 2.18 (recollement le long de Mat(1, −))

Le recollement le long de Mat(1, −) est la cat´egorie G(Mat) pour laquelle

– un objet est un triplet (X, X•, X• → Mat(1, X)). Chaque triplet peut ˆetre vu

comme un ensemble X et un sous-ensemble X• de matrices de 1 dans X, c’est `a

dire de multiensembles (pas forc´ement finis) sur X. Nous noterons donc ce triplet simplement (X, X•) par la suite ;

– un morphisme entre (X, X•) et (Y, Y•) est une matrice M : X→p Y telle que pour tout u de X•,

1 −→up X −→Mp Y ∈ Y•

Remarque 2.19

Pour les espaces de coh´erence, l’ensemble X• d’un objet (X, X•) repr´esente l’ensemble

des cliques. Nous aurions aussi pu d´efinir la cat´egorie G(Mat) par double recollement le long des foncteurs Mat(1, −) et Mat(−, 1). On travaillerait alors avec des objets de la forme (X, X•,•X)o`u X•repr´esente l’ensemble des cliques et•Xrepr´esente l’ensemble des

anticliques. Comme la cat´egorie de d´epart Mat est autoduale, nous pouvons nous passer de cette complication.

64 Dualit´e et modalit´es de ressource

Remarquons que la cat´egorie G(Mat) peut ˆetre d´efinie abstraitement comme la cat´egorie tranche (comma category en anglais) sur le foncteur Mat(1, −)

G(Mat) def= (Mat ↓ Mat(1, −)).

On va maintenant utiliser le rel`evement automatique du produit tensoriel, du coproduit et de la modalit´e exponentielle d´ecrit dans [HS03].

Proposition 2.20 La cat´egorie G(Mat) est mono¨ıdale sym´etrique et poss`ede les copro- duits finis. L’unit´e est donn´ee par le couple (1, {id1}), que nous noterons abusivement

encore 1. Le produit tensoriel de deux objets A = (X, X) et B = (Y, Y•) est d´efini par

A ⊗ B = (X × Y, X•⊗ Y•)

o`u

X•⊗ Y•= {1 ∼= 1 ⊗ 1 u⊗v

−→p X × Y | u ∈ X•, v ∈ Y•}.

Le coproduit de (X, X•) et (Y, Y•) est donn´e par

(X, X•) ⊕ (Y, Y•) def= (X ] Y, {1 u

−→p X→p X + Y | u ∈ X•} ∪ {1 v

−→p Y →p X + Y | v ∈ Y•}).

La d´efinition de l’exponentielle est plus d´elicate et requiert que le foncteur Mat(1, −) soit lin´eairement distributif (avec la fonction identit´e comme modalit´e exponentielle sur Ens). Sans rentrer dans les d´etails, notons que cette propri´et´e repose sur l’existence d’une transformation naturelle

κ : Mat(1, −) −−→ Mat(1, !(−))

v´erifiant des lois de coh´erence avec la structure comono¨ıdal et comonadique de !(−). Dans notre cadre, chaque composante de cette transformation naturelle est d´efinie par

κX = Mat(1, X) → Mat(1, !X)

u 7→ µ 7→ Y

x∈X

u(x)µ(x)

o`u µ d´enote un multiensemble fini sur X vu comme une fonction de X dans N. Cette for- mule peut ˆetre rapproch´ee du multi-exposant utilis´e en th´eorie des polynˆomes `a plusieurs variables. Martin Hyland et Andrea Schalk ont montr´e que l’existence de cette transfor- mation naturelle suffit pour d´efinir une modalit´e exponentielle sur la cat´egorie G(Mat).

D´efinition 2.21 (modalit´e exponentielle sur G(Mat))

On peut d´efinir une modalit´e de ressource sur la cat´egorie G(Mat) par

!(X, X•, f : X•→ Mat(1, X)) = (!X, X•, X• f

→ Mat(1, X)−−→ Mat(1, !X))κX

Nous allons maintenant d´efinir une notion g´en´erale d’orthogonalit´e induite par un ensemble S ⊂ N. Cette notion est appel´ee orthogonalit´e focalis´ee dans [HS03]. Lorsqu’on prendra S = {0, 1}, les objets clos par double n´egation seront les espaces de coh´erence, lorsqu’on prendra S = N, les objets clos par double n´egation seront les espaces de finitude.

2.3. Logique tensorielle 65

D´efinition 2.22 (n´egation par rapport `a S)

Soit S ⊂ N. On d´efinit l’orthogonalit´e focalis´ee selon S par

(1 −→up X) ⊥S (1 v −→p X) ⇐⇒ 1def u −→p X vop −→p 1 ∈ S def ⇐⇒ P x∈Xu(x) ∗ v(x) ∈ S.

On d´efinit ensuite la n´egation focalis´ee selon S d’un objet (X, X•) de G(Mat) par

¬S(X, X•) = (X, X•⊥S) avec X⊥S def = {v ∈ Mat(1, X) | ∀u ∈ X•, u ⊥S v}.

Proposition 2.23 Quelque soit l’ensemble S choisi, ¬S d´efini une n´egation tensorielle.

De plus, la monade de continuation associ´ee est commutative car idempotente.

D´emonstration : Un morphisme M de (X, X•) ⊗ (Y, Y•) → ¬S(Z, Z•)est une matrice

M : X × Y −→p Z v´erifiant ∀(u, v) ∈ X•⊗ Y•, ∀w ∈ Z•, X z X x,y M (x, y, z) ∗ u(x) ∗ v(y) ∗ w(z) ∈ S

tandis qu’un morphisme M0 de (X, X

•) → ¬S (Y, Y•) ⊗ (Z, Z•)est un module

M0 : X × Y −→p Z v´erifiant ∀u ∈ X•, ∀(v, w) ∈ Y•⊗ Z•, X y,z X x M0(x, y, z) ∗ u(x) ∗ v(y) ∗ w(z) ∈ S.

Ces deux conditions sont clairement les mˆemes apr`es r´eorganisation des sommations. L’idempotence de la monade de continuation se montre de la mˆeme mani`ere.

On peut alors rassembler ces r´esultats pour obtenir la proposition suivante.

Proposition 2.24 La cat´egorie G(Mat) donne un mod`ele de logique tensorielle ´equip´e de plusieurs n´egations.

Nous allons maintenant voir qu’en instanciant l’ensemble S d´efinissant la n´egation foca- lis´ee de fa¸con bien choisie, on peut retrouver le mod`ele des espaces de coh´erence et celui des espaces de finitude. Avant cela, il faut modifier un peu la d´efinition de l’exponen- tielle car dans le cas des espaces de coh´erence, elle donne les multicliques finis et non les multiensembles finis.

D´efinition 2.25 (support)

Le support d’un objet (X, X•), not´e supp (X, X•), est obtenu en restreignant X aux ´el´e-

ments x qui apparaissent dans au moins un des multiensembles de X•. Cette construction

66 Dualit´e et modalit´es de ressource

La comonade supp (−) d´efinit un foncteur mono¨ıdal strict qui distribue avec l’expo- nentielle

supp (!A) −→dpA !supp (A). On d´eduit la proposition suivante :

Proposition 2.26 La comonade !supp, donn´ee par !supp(−) def= supp (!−), d´efinit une modalit´e exponentielle sur G(Mat).

Espaces de coh´erence. Prenons S = {0, 1}. La sous cat´egorie de Mat des objets clos par {0, 1}-biorthogonal

A = ¬S¬SA

d´efinit un mod`ele de logique lin´eaire d’apr`es le Th´eor`eme 2.13 car la monade de continua- tion associ´ee `a la n´egation est commutative. Ce mod`ele donne une version pond´er´ee des espaces de coh´erences.

Si on se restreint `a la sous cat´egorie (pleine) des objets (X, X•) pour lesquels tous

les morphismes u de X• sont `a valeurs dans {0, 1} (c’est `a dire sont des ensembles), on

retrouve le mod`ele habituel des espaces de coh´erence. La modalit´e exponentielle induite redonne bien la construction usuelle des multicliques finies car la restriction du support retire les multiensembles qui ne sont pas des multicliques.

La construction d’espaces de coh´erence non uniforme n´ecessite de distinguer cliques et anticliques en faisant du double recollement. La construction de l’exponentielle devient alors plus d´elicate.

Espaces de finitude. Prenons maintenant S = N. `A nouveau, on obtient un mod`ele de logique lin´eaire en consid´erant la cat´egorie de continuation associ´ee `a la n´egation ¬N. On retrouve donc les espaces de finitude et R-module (ici rR = N) introduit par Thomas Ehrhard [Ehr05]. Si on veut retrouver le mod`ele relationnel des espaces de finitude, on doit se restreindre `a la sous cat´egorie (pleine) des objets (X, X• pour lesquels tous les

morphismes u de X• sont `a valeurs dans {0, 1} (c’est `a dire sont des ensembles), la relation

d’orthogonalit´e s’´ecrit

u ⊥S v ⇐⇒def u ∩ v est fini.

o`u on voit une relation u : 1→p X comme un sous-ensemble de X. On obtient donc le mod`ele relationnel des espaces de finitude mais avec une notion de morphisme plus g´en´erale que les relations car on compte le nombre de « t´emoins » lors de la composition. Mais l’orthogonalit´e garantit justement que ce nombre de t´emoins est fini. On retrouve donc exactement le mod`ele des espaces de finitude en plongeant N dans {0, 1, +∞}.

Notons que la restriction du support pour l’exponentielle n’a pas d’incidence dans ce mod`ele car l’ensemble X• d’un espace de finitude (X, X•) contient au moins toutes les

parties finies de X.

Espaces de K¨othe. Pour les espaces de K¨othe, la situation est bien ´evidement un peu diff´erente. Il faut passer de l’anneau N au corps K = R ou C. On consid`ere alors la cat´egorie MatK des matrices `a valeurs dans K. Un objet (X, X•) de G(MatK) est alors un ensemble au plus d´enombrable X et un sous-ensemble X• de KX. On peut alors

calquer des constructions similaires sur cette nouvelle cat´egorie de matrices. La n´egation qui donne lieu aux espaces de K¨othe est obtenue en prenant S = K. Le lecteur int´eress´e pourra trouver tous les d´etails dans le travail de Thomas Ehrhard [Ehr02].