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VERS UNE STRATÉGIE DE DÉVELOPPEMENT « VERTE »

2. C ERN ER LE PROBLÈME

En substance, il nous faut agir dans un espace écologique limité - ce que Robert Heilbroner a appelé « le seuil de tolérance écologique »2• Cette idée d'espace écologique est simple. Le système terrestre dans son ensemble et ses différentes composantes sont calibrés dans la nature d'une manière telle que l'utilisation des ressources et leur régénération s'effectuaient dans une sorte d'équilibre qui donnait à l'humanité une marge d'utilisation compatible avec l'équilibre naturel. Par exemple, l'homme peut déverser une somme raison­ nable de substances polluantes dans un réseau hydrographique donné et la nature a une certaine capacité - limitée certes - de nettoyer cette pollution sans porter atteinte à l'équilibre du système. Si nous dépassons ces limites, nous créons un problème. Pour certains systèmes hydrographiques régionaux, par exemple la Baltique et la Méditerranée où les limites ont été outrepassées il y a une génération, les solutions peuvent être aussi coûteuses que délicates à mettre sur pied.

Si l'idée est simple, sa mise en pratique est fréquemment complexe et nous hésitons souvent sur la voie à emprunter. Les problèmes engendrés par la surexploitation des ressources naturelles peuvent être si onéreux à résoudre que l'on répugne souvent à agir sur la base d'hypothèses non vérifiées. Nous nous efforçons de peser les risques dans un climat d'incertitudes. Les choix que nous faisons engagent notre responsabilité aussi bien vis-à-vis de la génération actuelle que des générations futures.

N ous nous attaquons à des questions difficiles ayant des prolongements éthiques. Nos ancêtres, il y a longtemps, ont laissé le génie du développement s'échapper de la bouteille. Un certain crédit avait été accordé, il y a quelques années, à la thèse selon laquelle quelques régions du monde en développement étaient dans une situation si désespérée que les pays industriels pourraient les laisser de côté pour concentrer leur aide sur des pays offrant un meilleur potentiel. Cette idée choquante a été vite rejetée. De fait, la communauté mondiale s'est ralliée au point de vue opposé, à savoir que les moins avancés méritent un degré de priorité tout particulier. Un consensus moral veut qu'aucun d'entre nous ne soit laissé à la traîne. Nous partageons tous le même monde.

La perception des limites écologiques qui polarise aujourd'hui notre attention entraîne une formulation nouvelle du problème éthique. Certains d'entre nous méritent-ils davantage que d'autres d'avoir accès aux ressources de la terre ? Les pays industriels peuvent-ils conserver un monopole sur l'utilisation de ressources partagées simplement parce qu'ils ont été les premiers à s'en servir ? Là encore, la réponse est claire. En principe, chacun d'entre nous doit avoir un droit d'accès à l'espace écologique limité qui est disponible. En pratique, l'application de ce principe sera extrêmement délicate.

Ce point de vue a trouvé une expression éloquente dans le rapport publié en 1 988 par la Com mission indépendante sur les questions humanitaires internationales, dans une discus­ sion d'une éthique de la solidarité humaine3 :

« Dans un monde où les distances se réduisent, les frontières deviennent perméables, la capacité technologique s'accroît, la communication devient instantanée, les relations humaines sont à la fois intenses et imparfaites. Souvent, notre intérêt pour l'humani­ taire est à la fois limité et limitatif. Cependant, la capacité de chacun d'influencer d'autres vies que la sienne, en bien ou en mal, n'a jamais été aussi grande ni aussi instantanée qu'aujourd'hui. ))

Nous portons la responsabilité de nos actes non seulement vis-à-vis de notre prochain dans le monde d'aujourd'hui mais aussi vis-à-vis des enfants de nos enfants. Le Président George Bush déclarait en 1 989 :

« Mais par delà la multitude d'études, de chiffres et de débats, l'environnement est une question d'ordre moral. Car il est mal de transmettre aux générations futures un monde altéré par l'insouciance présente. I l est inj uste d'hypothéquer la splendeur naturel le qui nous a été léguée. Nous devons impérativement préserver la terre et tous ses bienfaits - pour laisser toutes leurs chances aux forces de renouveau . ))

Le Président Bush ajoutait :

« Reprise, restauration et renouveau - voilà notre obligation morale. Tel est le principe d'éthique que nous devons inspirer aujourd'hui à chaque A méricain pour qu'il le transmette à son tour. )) 4

C'est ce que dit aussi, et plus crûment encore, le célèbre proverbe chinois : Nous n'avons pas hérité cette planète de nos parents ; nous l'avons empruntée à nos petits-enfants. A la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement, en 1 992, il devra être clairement établi que nous traitons de domaines dans lesquels nous avons tous des droits égaux d'accès à un espace écologique limité et que nous sommes tous comptables de nos actes vis-à-vis des générations futures. C'est la survie collective qui pourrait bien être en jeu.

Au cours des décennies à venir, de nouveaux éléments d'information devraient affiner notre compréhension de ces questions. Nous pouvons espérer avoir une idée plus précise de la dimension de l'espace écologique à notre disposition. Cet espace sera peut-être plus grand ou plus petit que nous ne le pensons aujourd'hui. De même, les responsables futurs décide­ ront peut-être que le coût, grossièrement apprécié, à payer pour s'accommoder d'un certain réchauffement de la terre est moins élevé que celui des actions à entreprendre pour empê­ cher ce phénomène.

Etant donné le point de départ actuel, c'est-à-dire une situation dans laquelle les pays industriels ne se montrent pas toujours suffisamment économes de l'espace écologique pour lui permettre de durer, les générations futures de ces pays devront trouver des moyens d'élever leurs niveaux de vie tout en exerçant des pressions beaucoup moins fortes sur l'environnement. De fait, pour s'attaquer à ces problèmes, les pays industriels consentent d'ores et déjà de très gros investissements et s'emploient à remanier en profondeur leurs textes législatifs et leurs institutions. A mesure que les signaux économiques se modifieront, la transformation des modes de vie suivra. Quant aux pays en développement, ils devront commencer par répondre de manière durable aux besoins fondamentaux de leurs popula­ tions. Dans la mesure où ils ne pourront le faire sans empiéter sur une partie de l'espace écologique utilisé par les pays industriels, il nous faudra trouver des compromis raison­ nables. Quelle que soit la formule de compromis choisie (probablement une convention sur le changement climatique), il faudra en dernier ressort que les pays industriels parviennent à réaliser des économies d'énergie suffisantes - pour ne citer qu'un exemple important - de façon à ménager les possibilités d'un accroissement de la consommation de certaines formes d'énergie dans les pays en développement. Le problème se pose en des termes tels qu'il

incombe à chacun de nous d'apprendre à œuvrer au développement ou à son maintien en utilisant moins d'énergie - ou du moins en économisant davantage les formes d'énergie qui épuisent l'espace écologique. La question prend toute son actualité avec les grandes déci­ sions que devront prendre la Chine et les pays d' Europe de l' Est à propos de l'utilisation du charbon.

Dans le rapport de l'an dernier, j'avais fait valoir combien il est urgent que les pays en développement soient à même de répondre aux besoins essentiels de leurs populations, non seulement parce qu'il est moralement intolérable de laisser des milliards d'individus subsis­ ter au-dessous du seuil de pauvreté mais aussi parce que plus vite les pays en développement parviendront à un développement à large assise et à la satisfaction des besoins humains essentiels, moins élevé sera le nombre d'habitants que comptera la terre à l'issue de la transition démographique. La population mondiale pourrait se stabiliser à 1 0 milliards environ si le développement réussit rapidement à s'accélérer mais si son essoufflement actuel devait persister, le cap des 1 5 milliards serait peut-être franchi. Dans une perspective à long terme, l'espace écologique disponible par habitant, dans les pays industriels comme dans les pays en développement, dépendra de la rapidité avec laquelle les pays du tiers monde adopteront et appliqueront des stratégies de développement à large assise. Celles-ci devraient permettre à tous les individus de mener une vie productive et de bénéficier de services d'éducation, de santé et de planification familiale. Les progrès que les pays en développement marqueront dans ces domaines seront conditionnés dans une large mesure par l'aide que les pays industriels seront disposés à apporter.

Cela étant, une mission essentielle de la Conférence de 1 992 sur l'environnement et le développement devrait être d'amener les pays industriels à mettre au point des stratégies et programmes tendant à accélérer le rythme d'un développement à large assise. Ces stratégies devront bien évidem ment prendre pleinement en compte les préoccupations touchant l'envi­ ronnement. L'autre défi que la Conférence devrait lancer aux pays industriels sera de hâter l'adoption de leurs propres mesures de sauvegarde de l'environnement tout en apportant un soutien croissant aux program mes des pays en développement. Dans cet ordre d'idées, il faudra aussi mettre l'accent sur les questions touchant la science et la technologie étant donné que, de toute évidence, un développement durable passe par des percées scientifiques permettant d'épargner l'environnement et par une application plus rapide des connaissances déjà acquises. Une approche ainsi orientée sur le développement serait de nature à rassurer les pays du tiers monde et constituerait une base solide de partenariat pour régler les problèmes mondiaux.

Les Membres du CA O sont prêts à aider les pays du tiers monde à asseoir leur développement sur des bases durables et à s'associer de manière effective aux actions à mener sur le front mondial. La Conférence de 1 992 marquera un tournant décisif dans la recherche d'un consensus mondial sur l'analyse des problèmes et sur leurs solutions. I l importe que les Membres du CA O s e préparent à une participation constructive. Ces considérations ont amené le CA O, à la suite d'une initiative de la France et de l'Allemagne, à prendre des dispositions pour la tenue, en 1 99 1 , de deux réunions conjointes des ministres chargés respectivement des questions d'aide et des questions d'environnement. Les Mem­ bres du CA O espèrent que cette démarche permettra d'arriver à des stratégies communes, intégrant aide au développement et gestion de l'environnement et qu'elle concourra à l'instauration d'un dialogue constructif avec les pays en développement. La première de ces deux réunions prendra place le 1 cr février 1 99 1 , immédiatement après celle que le Comité de l'environnement tiendra au niveau des ministres. La seconde sera organisée en liaison avec la Réunion à haut niveau du CAO en décembre 1 99 1 , lorsque les Membres du CA O examineront un vaste ensemble de grandes orientations pour l'aide à l'environnement.