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ERIC CHARMES, CHERCHEUR AU LTMU

Dans le document La société urbaine au XXIe siècle (Page 134-137)

Séminaire « Individu et société, la nouvelle donne »

ERIC CHARMES, CHERCHEUR AU LTMU

Cette présentation est divisée en deux parties : la première partie examine le pourquoi de la permanence de la thématique du village dans les représentations du quartier. Cette partie concerne surtout les zones urbaines denses (e.g. Paris et sa première couronne). La deuxième partie porte sur les rapports à l’environnement du lieu d’habitation dans le cas plus spécifique des tissus pavillonnaires situés en limite d’agglomération et dans le périurbain.

Dans les deux cas, les observations et les analyses qui sont proposées prennent appui à la fois sur la littérature et sur des enquêtes qualitatives personnelles en cours ou récemment achevées. Le propos porte en outre principalement sur le cœur de la classe moyenne française, soit sur des gens qui bénéficient d’un bon confort matériel mais qui subissent malgré tout des contraintes économiques significatives, notamment dans leurs choix résidentiels. On appelle parfois ce groupe le « bloc central »

I – Les paradoxes de la mobilité quotidienne

La thématique du village est omniprésente dans la manière dont les citadins qualifient leur environnement proche. Cette observation est valable partout, des quartiers anciens des centres denses aux lotissements périurbains. Cette omniprésence n’a d’égal que la condescendance avec laquelle elle est traitée par les spécialistes de la ville. Même si, dans la littérature, les choses évoluent, les sociologues considèrent généralement que ces propos relèvent du fantasme et de la nostalgie.

De fait – il n’est pas nécessaire d’insister sur ce point – il y a un éclatement spatial des modes de vie. Les statistiques sur la mobilité quotidienne sont sur ce point très claires : la commune et le quartier sont des espaces dont le poids s’est fortement réduit et les relations de voisinage à l’échelle du quartier n’ont strictement rien à voir avec celles qui caractérisaient les quartiers ouvriers des années 1950-1960 (ces quartiers que les sociologues ont à l’époque souvent qualifiés de « villages urbains » et dont la disparition nourrit la nostalgie pour la « vie de quartier »).

Il ne s’agit pas ici de contester ces faits, mais il n’empêche : la thématique du « village » mérite mieux que d’être traitée de fantasme. En fait, des auteurs tels que Francis JAURREGUIBERY ou

François ASCHER soulignent que le développement des possibilités de communication à distance

revalorise tout ce qui ne se télécommunique pas, notamment le face à face.

Il est possible de reprendre cette idée pour aborder ce qu’il convient de qualifier de « paradoxe de la mobilité quotidienne ». Autrement dit, dans une société où les gens sont de plus en plus mobiles, les ressources spécifiques du quartier et de la proximité physique prennent de la valeur. Partant, la thématique du village doit son succès non seulement à une nostalgie pour un passé révolu, mais aussi, et peut-être même surtout, au fait que la proximité devient un bien rare et donc apprécié.

On peut distinguer deux volets dans cette valorisation de la proximité, l’une à caractère psychologique et l’autre plus utilitaire. Ils sont abordés ci-après tour à tour.

l’espace public, et à l’aune de ce cadre de pensée, la valorisation de la proximité apparaît comme une tendance à la recherche de l’entre-soi et comme un rejet de toute confrontation avec autrui. Cette critique résiste pourtant mal à l’examen attentif des modes de vie contemporains et de leurs évolutions. Il semble bien plutôt que les citadins n’ont jamais autant fréquenté des espaces dans lesquels ils sont des anonymes, notamment du fait de la mobilité quotidienne et de l’éclatement des espaces de la vie quotidienne.

La valorisation des relations sociales de proximité ne peut guère plus être interprétée comme une réaction contre les interactions anonymes et donc incertaines qu’impose la vie urbaine contemporaine. Elle apparaît plutôt comme une forme d’adaptation psychologique qui fait de l’espace proche non pas un lieu d’isolement mais un espace intermédiaire, où s’apprend la confiance dans un visage inconnu.

En effet, si l’espace quotidien des citadins ne se réduit plus à leur quartier, ils n’y sont pas pour autant totalement anonymes. L’environnement physique et social leur est familier. Des relations sociales très ténues suffisent pour cela : une simple reconnaissance visuelle suffit à faire la différence entre le centre commercial et le quartier. Quelques petits bonjours susurrés lorsqu’ils vont chercher leur baguette de pain et leur journal le dimanche matin et des cadres vous parlent de « petit bonheur de la vie quotidienne ».

Cette idée rejoint des développements d’Anthony GIDDENS et notamment la notion très importante chez lui de « sécurité ontologique ». Cette notion a été abondamment commentée et il faut surtout en retenir ici le fait que, selon Anthony GIDDENS, une demande de sécurité

ontologique émane de l’écart croissant entre notre expérience vécue et les différents systèmes sociaux avec lesquels nous interagissons. Cet écart nous place en effet dans un état d’insécurité croissante vis-à-vis des systèmes sociaux et donne un rôle déterminant aux points de contact, c’est-à-dire aux expériences concrètes au travers desquelles il est possible d’éprouver la fiabilité du système social. C’est ainsi que l’expérience vécue de la confrontation avec le médecin et son cabinet joue un rôle crucial dans la confiance que l’on place dans la médecine.

Or, de même que le médecin peut rassurer sur la médecine, les habitants d’un quartier peuvent rassurer sur la ville. Autrement dit, l’environnement du lieu d’habitation a une grande importance dans la construction du rapport psychologique à la ville dans la mesure où c’est là que peut être quotidiennement réaffirmée la bienveillance des inconnus auxquels les citadins sont confrontés (d’où le caractère traumatisant de ce qu’il est convenu d’appeler les incivilités).

Mais cette thèse ne doit pas être surinterprétée et ne doit notamment pas être utilisée telle quelle pour expliquer une tendance des citadins à vouloir se rassurer en vivant parmi des gens qui leur sont socialement proches. Il faut insister sur ce point : la familiarité avec l’environnement du lieu d’habitation peut très bien s’établir à partir de quelques individus que l’on croise régulièrement et que l’on se contente de reconnaître visuellement dans un contexte urbain dense où la très large majorité des passants sont parfaitement anonymes. Mieux, on peut penser que, plus ces individus que l’on reconnaît sont divers, plus est développée la fonction d’intermédiation de l’environnement proche entre l’individu et la ville

plus haut, à savoir que le développement de la mobilité quotidienne sur des distances de plus en plus longues donne de la valeur à ce qui est proche et notamment à ce qui est accessible à pied. Ces ressources de la vie quotidienne incluent l’école, la poste, la mairie, les équipements, bref tout ce qui renvoie à l’idée du village où l’on a tout sur la main. Mais l’importance de cette dimension du rapport à l’environnement du lieu d’habitation apparaît particulièrement dans le cas du commerce.

Diverses études montrent un frémissement en faveur du commerce de proximité et du commerce de rue. Certes leur part de marché reste très en retrait par rapport aux grands centres commerciaux, mais la chose mérite d’être soulignée. Elle le mérite d’autant plus que la part de marché n’est pas le seul enjeu lié au commerce de proximité et au commerce de rue et ceci pour deux raisons

La première raison est que la présence de commerces de rue est structurante du marché immobilier en milieu dense. Diverses recherches récentes (Sonia LEHMANN FRISCH, Gérard

BAUDIN et Sabine DUPUY) montrent en particulier le rôle déterminant de la vitalité des rues

commerçantes dans la gentrification des anciens faubourgs populaires.

Ces travaux montrent que la présence des commerces, des cafés et des services de proximité est constitutive de l’image villageoise à partir de laquelle les gens justifient leur choix résidentiel. Les enquêtes précises sur ces questions font défaut, mais on peut supposer que l’embourgeoisement de plusieurs communes de première couronne de Paris prend appui sur la présence d’une rue commerçante active. L’hypothèse semble particulièrement pertinente pour le cas de Montrouge. Au vu du débat actuel sur la densité urbaine, il convient de mettre l’accent sur cette question. La densité est de fait souvent présentée comme un outil de développement durable, permettant entre autres de promouvoir les modes doux. Mais ce faisant, beaucoup oublient que la densité n’est pas la cause, mais la conséquence des attraits de la ville, attraits aux premiers rangs desquels figurent l’accès rapide à un large éventail de ressources. L’ambiance propre à l’espace urbain en est également un attrait. Or, pour constituer cette ambiance, les activités qui bordent les rues et notamment les commerces jouent un rôle essentiel.

Bref, dans le maniement de la densité comme outil d’urbanisme (notamment dans le cas des premières couronnes), il ne faut pas négliger la convergence entre la présence de commerces de rue et l’attrait d’un quartier dense.

Ces observations amènent à la deuxième raison pour laquelle la part de marché n’est pas le seul enjeu lié aux commerces de rue et aux commerces de proximité. En effet, le commerce de rue joue dans les choix modaux un rôle qui va bien au-delà des déplacements pour achats. Une étude réalisée aux Etats-Unis par Robert CERVERO a ainsi montré que la mixité commerce habitat est un facteur explicatif significatif de l’usage d’autres modes que la voiture pour les déplacements domicile travail. Cette mixité fonctionnelle est même un facteur explicatif plus puissant que la densité pour expliquer le recours aux modes doux pour les déplacements domicile travail.

Ces résultats expriment clairement l’attrait supérieur d’un trajet bordé de commerces et ceci tant en termes d’ambiance (et par exemple de sentiment de sécurité), qu’en termes fonctionnels, en raison des achats que l’on peut faire en passant. Comme on le sait, en effet, les déplacements enchaînés sont de plus en plus nombreux.

bourgs et les cœurs de village pourraient par exemple voir leur attrait augmenter significativement si la question des ressources de la vie quotidienne était mieux prise en considération.

On manque toutefois d’études pour mesurer l’impact de telles localisations sur la mobilité. En outre, si la demande d’accès piétonnier aux ressources de la vie quotidienne existe, elle figure en second plan. Les habitants des tissus périurbains donnent la priorité à d’autres critères dans l’évaluation de leur environnement immédiat.

II – Les rapports à l’environnement proche dans le pavillonnaire périurbain

Parler des rapports à l’environnement proche dans les tissus pavillonnaires périurbains peut sembler incongru, tant s’est diffusé le modèle du ménage replié sur sa maison individuelle et dont les membres adultes, chacun au volant de sa voiture, rayonnent sur un vaste territoire dans lequel le voisinage n’occupe que peu de place. Pourtant, ce modèle sert surtout à décrire des mutations des modes de vie sur la longue durée et ne correspond que partiellement à la réalité. Les relations avec le voisinage, si elles sont généralement modestes, ne sont pas nulles. Par ailleurs, aux Etats- Unis, pays dont ce modèle est importé, la prolifération de gated communities montre clairement l’importance de l’environnement du lieu d’habitation.

Dans le document La société urbaine au XXIe siècle (Page 134-137)