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Chapitre II : La localisation

C. Objectifs spécifiques et hypothèses

1. Ergonomie cognitive

Voyons tout d’abord ce que l’on entend par ergonomie cognitive :

« Cognitive ergonomics is concerned with mental processes, such as perception, memory, reasoning, and motor response, as they affect

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interactions among humans and other elements of a system. The relevant topics include mental workload, decision-making, skilled performance, human-computer interaction, human reliability, work stress and training as these may relate to human-system design. » (IEA 2010)

D’après cette définition et dans le contexte de la post-édition et de la localisation, il nous semble opportun nous concentrer en particulier sur les aspects suivants : le raisonnement, la prise de décision, le stress dû au travail et la formation.

1.1 Leur vision de la traduction automatique

Pour le dire avec les mots de Guerberof (2013, p. 75), « It is not very often that translators are asked their opinions about post-editing and machine translation in the localisation industry ». C’est pour cette raison qu’elle a mené une enquête auprès de traducteurs professionnels dont les résultats sont publiés dans l’article « What do professional translators think about post-editing ? » (2013). Aux participants, elle demandait dans quelle mesure ils appréciaient utiliser la traduction automatique dans le cadre du processus de localisation.

Wagner (1985, p. 213) notait que les traducteurs sans connaissances de PE sont souvent hostiles à la traduction automatique. Elle reproduisait ensuite certaines de leurs justifications, à savoir qu’ils n’aiment pas corriger les erreurs répétitives que la TA entraîne, qu’ils craignent de baisser leur niveau en langue à force de corriger de la TA de basse qualité ou encore qu’ils n’aiment pas avoir leur liberté d’expression limitée.

Nous aimerions nous inspirer des deux auteurs pour recueillir nous aussi l’opinion de notre public cible à ce sujet. Ce qui différencie notre étude de celle de Guerberof et qui la détache du cas de figure décrit par Wagner (des traducteurs sans expérience en PE), est précisément son contexte : nous nous adresserons en effet à des traducteurs avec une solide expérience en post-édition.

Notre hypothèse est que les préoccupations des répondants à notre enquête seront différentes de celles citées par Wagner. Nous nous imaginons qu’ils sauront évaluer de manière plus objective l’apport de la traduction automatique et qu’en général, ils ne se montreront pas aussi hostiles à la TA.

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1.2 Les procédés mentaux mis en place pendant la tâche

Notre expérience et formation nous ont permis d’imaginer quels sont les procédés cognitifs mis en place par un traducteur lorsqu’il rencontre une difficulté de traduction.

Ayant étudié le processus de localisation adopté au sein d’Autodesk, nous connaissons aussi les ressources que l’entreprise fournit à ses post-éditeurs et pouvons donc imaginer celles qui seraient consultées dans ce cas de figure, en particulier les glossaires spécifiques fournis par l’entreprise et une plateforme interactive de remontée d’incidents.

Cependant, le contexte plutôt singulier de la localisation, surtout lorsqu’il est combiné à la traduction automatique, oblige un traducteur à modifier ses stratégies de recherche et d’auto-évaluation des résultats. D’après nous, en effet, un post-éditeur expérimenté aura plutôt tendance à éviter les recherches trop longues car en post-édition, c’est bien connu, vitesse et productivité sont les mots d’ordre ; de plus, nous pensons que la qualité finale de son texte, qui dépendra bien sûr des indications du donneur d’ordre (Allen 2003), aura requis de sa part une bonne dose d’autocensure et, probablement, de la frustration due au fait que le texte final, soumis à de strictes directives, ne peut pas refléter ce que le post-éditeur aurait voulu écrire.

Nous nous intéressons donc à une typologie de recherches particulière : celle entraînée par les termes avec peu de contexte. En effet, dans le domaine de la localisation et en particulier lorsqu’il s’agit de l’interface graphique des logiciels, ce type de termes sont plutôt fréquents. Il suffit de penser à la liste d’éléments d’un menu ou aux libellés des boutons et des onglets. Ces textes, souvent très courts voire composés d’un seul mot, sont d’autant plus difficiles à traduire que l’environnement de traduction, le logiciel Passolo par exemple, oblige à la fragmentation des textes, qui finissent par être isolés de leur contexte.

Comme dans notre contexte d’analyse particulier, une bonne partie des textes sont pré-traduits soit grâce aux mémoires de traduction, soit par TA, il est possible que précisément que le fait de disposer d’une pré-traduction amène le traducteur à appliquer des stratégies de recherche particulières.

Ce qui nous intéresse est aussi bien l’aspect cognitif et pratique des stratégies adoptées par les post-éditeurs ou, pour le dire avec les mots de Lavault-Olléon (2011, p. 5),

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les « stratégies de remédiation [qui] sont mobilisées par les sujets pour s’adapter à leur nouvel environnement ». Comme elle l’indique, avant l’arrivée des ordinateurs personnels, les recherches terminologiques nécessitaient de la part du traducteur de passer par la bibliothèque des sciences, tandis que maintenant elles se font en quelques clics.

A travers les entretiens, le questionnaire et l’observation, nous espérons obtenir davantage d’informations sur les ressources et les outils qu’ils préfèrent ou qu’ils consultent en priorité et sur leur manière de s’en servir.

1.3 La reconnaissance des erreurs de la TA

Selon Arnold (1994, p. 33), le fait d’être habitué aux patrons d’erreurs permet de post-éditer plus rapidement. Presque vingt ans après la publication de cet ouvrage, nous aimerions connaître l’opinion à ce sujet de traducteurs expérimentés qui sont confrontés à la traduction automatique statistique, puisque c’est celle qui est utilisée chez Autodesk. En effet, avec l’essor des systèmes de TA statistique, nous croyons que le concept de « patron d’erreurs » produites par la TA a peut-être perdu en précision.

Alors que les résultats produits par les systèmes à base de règles sont, dans une certaine mesure, prévisibles (O’Brien 2009, p.67), les textes produits par TAS se basent sur des corpus de traductions qui ont été, pour la plupart, effectuées par traduction humaine, même s’il existe la possibilité d’intégrer aux systèmes statistiques des règles linguistiques (voir section A. 5 du chapitre I). Par conséquent, avec ce type de systèmes il est devenu plutôt improbable de rencontrer des erreurs locales d’accord nom-adjectif ou de conjugaison des temps verbaux, supposant bien entendu la qualité des corpus de départ.

Vilar et al. (2006) essayent de dresser une liste des sources d’erreurs de la TAS les plus fréquentes, non sans nuancer leurs affirmations en soulignant que cette classification est loin d’être facile. Ils en recensent cinq types : mots manquants, ordre des mots, mots incorrects, mots inconnus et erreur de ponctuation.

Depuis l’arrivée des systèmes statistiques, voire hybrides, il paraît donc difficile de définir quels sont les patrons typiques des erreurs de la TA. Peut-être alors que, contrairement à ce qu’affirme Arnold, les post-éditeurs disposent aujourd’hui de moins de repères pour identifier les erreurs et en comprendre la cause et que cela les ralentit au lieu

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de les rendre plus rapides. Ce n’est qu’une hypothèse, mais en tout cas, nous sommes convaincue, que pour un traducteur qui s’apprête à travailler dans la post-édition, des connaissances de bases en traduction automatique ne peuvent être que bénéfiques, comme indiqué par O’Brien (2002).

Faute de temps et de moyens plus adaptés, nous nous sommes limitée à demander l’opinion de post-éditeurs expérimentés à ce sujet. Etant donné l’échantillon réduit que nous avons interrogé, nous n’espérons pas pouvoir déclarer cette vision toujours valide ou, au contraire, obsolète, mais uniquement recueillir plus d’informations sur les répondants et leur vision de la profession.

1.4 Leur procédé de post-édition

Depuis que O’Brien (2002) affirmait que les formations en post-édition ne sont pas encore très répandues dans les universités, la situation n’a pas beaucoup changé. De plus, la PE évoluée professionnelle (Robert 2010) qui intègre traduction automatique et mémoires de traduction et qui est aujourd’hui la solution préférée de nombreuses entreprises (O’Brien 2002), oblige le traducteur à travailler sur des textes de provenance variée. Dans le cas d’Autodesk, les post-éditeurs peuvent aussi bien être confrontés à des segments produits par TA, à des remontées des mémoires de traduction ou à des correspondances parfaites.

La PE est une activité qui diffère de la révision traditionnelle, essentiellement parce que l’on a affaire à 3 textes au lieu de deux (O’Brien 2002). Mais d’après nous toutes les deux ont en commun le fait que les textes sources, comparables pour les deux activités, doivent être consultés si l’on veut s’assurer de la correction de la traduction.

Lors d’une expérience pratique conduite en été 2012 au sein du département de localisation d’Autodesk, nous avions pu observer que les correspondances partielles de mémoires de traduction avec un haut pourcentage de ressemblance entraînaient des erreurs de la part des post-éditeurs. En effet, quand deux segments ne différaient que par un terme, qui était le terme clef et que le pourcentage de correspondance était très élevé, la traduction proposée était parfois validée, même si elle était incorrecte.

Par exemple, pour la phrase de départ « In the navigation pane, expand the Libraries folder. », la traduction portugaise « No painel de navegação, amplie o nó do grupo de

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trabalho. » avait été validée, malgré le fait qu’en portugais la traduction correcte de

« Libraries folder » serait « pasta Bibliotecas » et non pas « grupo de trabalho ».

Lors de cette étude, nous aimerions recenser les pratiques des traducteurs afin d’observer s’ils adoptent une stratégie différente selon le type de segment qu’ils sont en train de post-éditer. Notre hypothèse, motivée par l’expérience décrite ci-dessus, est qu’une consultation systématique du texte source est préférable, quelle que soit l’origine du segment.

1.5 Leur opinion quant aux directives et formations en post-édition

Nous croyons que le type d’erreur cité ci-dessus ne serait probablement pas passé inaperçu si l’on avait adopté une méthode de PE cohérente, pourquoi pas, apprise grâce à une formation.

Généralement, chaque entreprise ou agence de traduction tend à rédiger ses propres directives de PE, sans qu’il n’y ait de critères universellement acceptés. O’Brien (2009, p. 43) fait ce constat et ajoute que ce sont les traducteurs qui peuvent et qui devraient fournir du feedback afin d’améliorer les directives existantes.

En menant cette enquête, nous voudrions connaître l’opinion de traducteurs qui ont déjà de l’expérience en post-édition quant à l’utilité des formations et à la nécessité des directives (guidelines) de post-édition. Notre hypothèse et que s’ils ont appris le métier « sur le tas », ils auront plutôt tendance à ne pas considérer les formations en PE comme quelque chose d’indispensable.