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er – Les précisions essentielles des juges quant aux définitions des violences sexuelles en tant que telles

Section Première – La redéfinition nécessaire de ce que sont les violences sexuelles interdites

Paragraphe 1 er – Les précisions essentielles des juges quant aux définitions des violences sexuelles en tant que telles

Dans l’affaire Akayesu, la Chambre de Première instance du TPIR a très justement relevé que traditionnellement les violences sexuelles étaient exclues du champ des enquêtes pour crime de guerre, et qu’il fallait donc s’attarder plus longuement sur leur étude dans l’intérêt de la justice.331 Les juges feront donc un important travail in « defining, clarifying, and redressing gender-related crimes. »332

328 MITCHELL (D. S.), "The Prohibition of Rape in International Humanitarian Law as a Norm of jus cogens:

Clarifying the Doctrine", Op. Cit., p. 240.

329 FOURÇANS (C.), « La répression par les juridictions pénales internationales des violences sexuelles

commises pendant les conflits armés », Op. Cit., p. 158.

330 DUBUY (M.), « Le viol et les autres crimes de violences sexuelles à l’encontre des femmes dans les conflits

armés », Op. Cit., p. 197.

331 TPIR, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, Jugement portant condamnation, Chambre de Première Instance,

Affaire n°ICTR-96-4-T, 02.09.1998, par. 417.

332 MITCHELL (D. S.), "The Prohibition of Rape in International Humanitarian Law as a Norm of jus cogens:

Dès lors, pour appliquer leur interdiction naissante, il a été nécessaire de développer, de manière générale, ce qu’il était entendu par « violences sexuelles » (A). Il était en effet essentiel de déterminer les actes dont il serait question.

De manière peut-être encore plus ambitieuse, les juges ont été contraints de définir le « viol » comme violences sexuelles des conflits armés (B). Ce qui n’était pas gagné d’avance étant donné les grandes disparités entre les systèmes nationaux sur la question.

A. Le travail majeur dans la définition générale des interdits sexuels des conflits armés

Une avancée intéressante aura d’abord été la reconnaissance par les juges que les violences sexuelles étaient en réalité « clairement » 333 des atteintes à l’intégrité physique334, « explicitement ou non, interdites par diverses […] dispositions » du DIH335, y compris par la protection de l’honneur féminin336. Le TPIY soutiendra dans l’affaire Tadić que « l’expression "traitement cruels" » devait être interprétée largement de sorte d’englober les violences sexuelles.337 En outre, dans l’affaire Furundžija, il définira leur interdiction comme une norme coutumière remontant en réalité au XIXe siècle, avec le Code Lieber et la IVe Convention de La Haye.338

Le TPIR proposera alors dans l’emblématique affaire Akayesu une définition extensive de ce qui sera considéré comme des violences sexuelles interdites en conflits armés. Il sera ainsi précisé que « la violence sexuelle [est] tout acte sexuel commis […] sous l’empire de la coercition », avec ou sans contact physique.339 Ainsi, la « démonstration de force physique » n’est pas nécessaire et « les menaces, l’intimidation, le chantage et d’autres formes de violence qui exploitent la peur ou le désarroi peuvent caractériser la coercition, laquelle peut être inhérente à certaines circonstances, par exemple un conflit armé ou la présence militaire d’Interahamwe parmi les réfugiées Tutsie au bureau communal. »340

333 TPIY, Le Procureur c. Zejnil Delalic, Zdravko Mucic, Hazim Delic, Esad Landzo (affaire « Celebici »), Jugement, Affaire n°IT-96- 21-T, 16.11.1998, par. 476-477.

334 TPIY, Le Procureur c. Anto Furundžija, Jugement, Chambre de Première Instance, Affaire n°IT-95-17/1-T,

par. 170, 10.12.1998 ; TPIR, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, Op. Cit., par. 688.

335 TPIY, Le Procureur c. Anto Furundžija, Op. Cit., par. 165-169. 336 TPIY, Affaire Celebici, Op. Cit., par. 476-477.

337 TPIY, Le Procureur c. Duško Tadić, Jugement Relatif à la Sentence, Chambre de Première Instance, Affaire

n°IT-94-1-T, 07.05.1997, par. 725.

338 TPIY, Le Procureur c. Anto Furundžija, Op. Cit., par. 168.

339 TPIR, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, Op. Cit., par. 688 ; « L’incident […] à l’occasion duquel l’Accusé a ordonné […] de déshabiller une élève et de la forcer à faire de la gymnastique toute nue dans la cour publique du bureau communal, devant une foule, caractérise l’acte de violence sexuelle. »

De plus, dans l’affaire Musema, le TPIR affirmera de manière intéressante que non seulement elles constituent une atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale interdite par le DIH, mais qu’il n’est de surcroît « pas nécessaire d’établir que l’atteinte grave incriminée est permanente ou irrémédiable. »341 Peu importe les conséquences à long terme, les violences sexuelles sont en elles-mêmes trop graves pour ne pas être sanctionnées.

Il faut également savoir que la jurisprudence définira le fameux « attentat à la pudeur » de 1949 comme « une douleur ou […] une blessure infligée à la victime […] suite à un acte à caractère sexuel […] perpétré par la contrainte, la violence, la menace ou l’intimidation, et sans le consentement de la victime. »342 Il en sera ainsi désormais déduit que le Droit des conflits interdit bel et bien les violences sexuelles dans ses textes primaires.343

Les juges ont également rappelé que l’esclavage, y compris l’esclavage sexuel comme forme de violence sexuelle, constituait en toutes circonstances un crime de guerre344, même lorsque la victime était relativement bien traitée345. L’affaire Foca étant particulièrement importante sur la question346. « Auparavant, le travail forcé était l’unique type d’esclavage à être considéré comme un crime contre l’humanité »347, alors même que sa forme sexuelle existait déjà depuis l’époque romaine348.

De même, le TPIY a reconnu dans l’affaire Plavsic et Krajisnic que les violences sexuelles pouvaient constituer un « moyen de persécution »349 criminel en DIH.

Si la jurisprudence a donc permis un éclaircissement global et pertinent des crimes sexuels, celui-ci a été d’autant plus important que même le viol semble en sortir internationalement défini.

341 TPIR, Le procureur c. Alfred Musema, Jugement et Sentence, Chambre de Première Instance I, Affaire

n°ICTR-96-13-T, 27.01.2000, par. 156.

342 Idem., par. 285.

343 HENCKAERTS (J.-M.) et DOSWALD-BECK (L.), Droit International Humanitaire Coutumier, Volume 1 : Règles, Op. Cit., p. 428.

344 SCSL, The Prosecutor v. Brima, Kamara and Kanu, Judgment, Case n°SCSL-04-16, 20.06.2007 ; SCSL, The Prosecutor v. Sesay, Kallon and Gbao, Judgment, case n°SCSL-04-15-T, 25.02.2009.

345 TPIY, Le Procureur c. Dragoljub Kunarac, Radomir Kovas et Zoran Vukovic, Jugement, Chambre de

Première Instance, Affaire n°IT-96-23-T et IT-96-23/1-T, 22.02.2001, par. 525.

346 Voir FOURÇANS (C.), « La répression par les juridictions pénales internationales des violences sexuelles

commises pendant les conflits armés », Op. Cit., p. 158 ; « trois militaires serbes ayant détenu des femmes […]

ont été condamnés pour […] des viols répétés, collectifs et […] esclavage sexuel ». 347 « La violence sexuelle : un outil de guerre », Nations Unies, Op. Cit.

348 CARD (C.), “Rape as a Weapon of War”, Op. Cit., p. 8.

349 FOURÇANS (C.), « La répression par les juridictions pénales internationales des violences sexuelles

B. L’accomplissement décisif concernant la définition particulière du viol Afin de permettre une plus grande souplesse vis-à-vis des États et de leur choix sur la manière d’intégrer le viol dans leurs interdits nationaux, les textes internationaux ne l’ont pas défini.350 Les juges en ont donc été chargés afin de sanctionner les viols.

La première définition internationale du viol a été établie par le TPIR dans l’affaire Akayesu. Le viol serait une « invasion physique de nature sexuelle commise sur la personne d’autrui sous l’empire de la contrainte »351. L’emploi du terme « invasion » plutôt que celui plus commun de « pénétration » permettant d’intégrer à la fois l’utilisation d’objets a priori non-sexuel comme des bâtons ou des canons de fusil, mais également que soient comprises les « relations bucco-génitales forcées ».352 Ainsi, le fait qu’une « violence sexuelle aussi grave que la pénétration orale forcée soit qualifiée de viol » découlerait naturellement de la raison de criminaliser celui-ci.353 Comme il est rappelé dans l’affaire Musema, les juges d’Akayesu avaient très adroitement estimé « que l’essence du viol ne réside pas dans le détail des parties du corps et des objets qui interviennent dans sa commission, mais plutôt dans le fait qu’il constitue une agression à caractère sexuel »354. Cette définition aura un impact tel qu’elle inspirera la rédaction de l’article du Statut de la CPI sur le viol.355

La compréhension de l’idée de contrainte a également évolué356, aboutissant à l’idée qu’elle pourra être déduite soit du comportement, physique ou verbale357, de l’agresseur, soit de « la conjoncture exceptionnelle », comme un conflit armé, car impliquant nécessairement « le non consentement de la victime ».358 De plus, la contrainte peut être « explicite ou non, [dès lors qu’elle donne] à la victime des raisons de craindre » l’exécution des menaces.359

350 AYAT (M.), « Quelques apports des Tribunaux pénaux internationaux, ad hoc et notamment le TPIR, à la

lutte contre les violences sexuelles subies par les femmes durant les génocides et les conflits armés », Op. Cit., p. 808.

351 HENCKAERTS (J.-M.) et DOSWALD-BECK (L.), Droit International Humanitaire Coutumier, Volume 1 : Règles, Op. Cit., pp. 431-432.

352 « Les crimes commis contre les femmes lors des conflits armés », Amnesty International, Op. Cit., p. 53-54. 353 TPIY, Le Procureur c. Anto Furundžija, Op. Cit., par. 183.

354 TPIR, Le procureur c. Alfred Musema, Op Cit., par. 226.

355 « Les crimes commis contre les femmes lors des conflits armés », Amnesty International, Op. Cit., p. 53-54. 356 Voir notamment les affaires : Akayesu du TPIR, Furundžija et Kunarac du TPIY.

357 CPI, Le procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Arrêt, Chambre d’Appel, Affaire n°ICC-01/04-01/06 A 5,

01.12.2014, par. 279 ; « committed inter alia by “force, or by threat of force or coercion, such as that caused by

fear of violence, duress, detention, psychological oppression or abuse of power, against [the victim] or another person, or by taking advantage of a coercive environment ».

358 AYAT (M.), « Quelques apports des Tribunaux pénaux internationaux, ad hoc et notamment le TPIR, à la

lutte contre les violences sexuelles subies par les femmes durant les génocides et les conflits armés », Op. Cit., p. 813.

Dans l’affaire Delalic, le viol, violence sexuelle d’une intensité particulière360, sera ainsi considéré d’une telle gravité qu’il est à la fois prohibé comme acte contraire à la dignité humaine et à l’intégrité physique.361 Gravité permettant qu’en 2001 un accusé soit condamné pour ce seul motif : « crime de violence sexuelle contre des femmes ».362

De manière intéressante, en définissant le viol les juges de l’affaire Furundžija reconnaîtront le mouvement important des États adoptant une définition de cet acte de plus en plus large pour assurer une plus grande poursuite des atrocités sexuelles.363

Le travail jurisprudentiel a donc permis de développer la notion de violence sexuelle nouvellement intégrée dans le riche corpus juridique applicable en conflits armés. Mais l’impact ne se limite pas aux définitions de ces violences en tant que telles. Celles-ci ont en effet été l’objet d’une interprétation les présentant comme éléments constitutifs majeurs d’autres crimes atroces des conflits armés.

Paragraphe 2nd – Les violences sexuelles également définies comme composantes

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