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Chapitre II : Lectures marginales

2.3. Archéologie des lectures critiques

2.3.1. Epistémologie critique

Les personnages de nos romans sont généralement avides de théories, ils aiment spéculer sur des hypothèses, échafauder des systèmes, et éclairer leurs lectures de divers présupposés critiques empruntés à des écoles de pensées ou à des traditions critiques bien identifiées. Bien plus, nos lecteurs ne se contentent pas de citer quelques noms connus ou d’évoquer les idées les plus courantes des théoriciens, mais ils entrent souvent dans le détail des textes, analysent les présupposés critiques et ancrent leurs connaissances dans une perspective historique. Ces connaissances sont bien évidemment celles des auteurs, qui jouent parodiquement de l’histoire littéraire pour construire leurs fictions commentaires. Dans les trois œuvres de notre corpus restreint, ce rapport épistémologique au savoir fonctionne de manière différente. Senges dresse plutôt un panorama à la fois référentiel et parodique de la théorie littéraire du XXe siècle, là où Danielewski et Bolaño proposent des théories ancrées dans une perspective plus synchronique, mais aussi plus radicale.

73 Les Fragments de Lichtenberg retranscrivent parodiquement l’histoire de la littérature européenne moderne. Aux diverses écoles d’exégèse de Lichtenberg correspondent plusieurs types de lectures critiques, aisément identifiables. La succession de ces théories permet de dessiner un panorama critique, qui possède surtout des traits parodiques. Ainsi les études lichtenbergiennes naissent-elles dans l’esprit d’un amateur bibliophile, Hermann Sax, qui rêve d’une machine à combiner les fragments, pour recomposer le Grand Roman de Lichtenberg, « le livre des livres, l’Opus Magnum : de la taille du second Faust, en plus drôle, valant aussi

l’Ethique de Spinoza et la Somme théologique118 ». Pourtant, les divagations de cet inventeur

du dimanche, sont reprises et développées par la très sérieuse « Société des Archives Lichtenberg », installée à Göteborg et composée d’hommes « tous surmontés d’un haut-de-forme119  », qui pensent avoir « tourné la page du dilettantisme pour entrer dans l’ère des institutions120 ». L’imaginaire de la société philologique est ainsi amplement parodié :

On voit d’ici le tableau : Lichtenberg le brouillon, Lichtenberg le compositeur de brumes saxonnes sauvé par la raison de Suède et son sens de l’organisation aussi célèbre que ses petits pains diététiques121.

Grâce à une clause du testament d’Alfred Nobel – l’explosion d’un roman de mille pages gagnant le respect de l’inventeur de la dynamite – la société se retrouve dotée d’une somme d’argent annuelle qui lui permet d’engager des secrétaires et des messagers qui parcourent l’Europe afin de rassembler « des morceaux d’un Grand Tout (appelons ça reliques)122 ». Entre le romantisme de l’inventeur solitaire et le professionnalisme impersonnel de la société savante, ce sont donc deux approches critiques de la fin d’un grand XIXe siècle européen qui se trouvent comiquement confrontées. Dans les années 1910, le flambeau est repris par un couple de jeunes Irlandais, Stephen Stewart et Mary Mulligan. Quitter la Mitteleuropa pour cette île éloignée permet d’invoquer « une tradition de satire léguée par le doyen Swift », mais aussi de convoquer implicitement Joyce et « l’esprit potache, l’art des farces d’étudiants élevé au rang de philosophie pratique123 ». Grâce au déplacement, au décentrement parodique, les jeunes gens évitent alors la sclérose érudite et inventent une nouvelle conjecture : en lisant le fragment

[F173] « Mettre la dernière main à son œuvre c’est la livrer aux flammes124  », il faut comprendre que le livre a été détruit et qu’il n’en reste que « le dixième du dixième ». Les

118 Senges, Pierre. Fragments de Lichtenberg. Paris, France: Verticales-Phase deux, 2008, p. 25.

119 Ibid. p.38. 120 Ibid. p.49. 121 Ibid. p.49. 122 Ibid. p.52. 123 Ibid. p.61. 124 Ibid. p.76.

74 fragments ne sont plus que des « reliquats », ouverts à tous les possibles. D’autres critiques ne tarderont pas à s’engouffrer dans la brèche ouverte par les dublinois. C’est bien évidemment à Paris, terrain consacré des querelles littéraires, que se concentre la lutte de plusieurs factions herméneutiques : « voici venu le temps des controverses : après les découvreurs et les pionniers, la génération des héritiers qui se disputent les biens125  ». On en arrive même au « Grand Schisme » et l’œuvre de Lichtenberg est scindée en trois livre mineurs, « Les mésaventures d’Ovide », « Le Concile de Pampelune » ou « Une histoire de l’arche de Noé ». Puis vient l’ère du Soupçon, lorsque « ne pas être dupe devient le moteur de la pensée contemporaine126 ». Alors que les factions herméneutiques avaient tendance à se retrouver autour de points communs biographiques, la lecture se fait maintenant distante, et emprunte à divers champs des sciences humaines. Enfin, en changeant encore de lieu et de temps, à l’époque des « soviets magyars », la lecture de Lichtenberg devient paradoxalement un moyen de retrouver une vérité à laquelle se raccrocher, face à « une sorte de farce permanente, universelle en tout cas dans les limites du pays127 » : « dans ces circonstances, la parodie, celle des artistes, jusqu’à la pitrerie, n’est pas un délit mais la moindre des choses, ou une seconde nature : elle entre en harmonie avec l’absurdité des régimes128 ». Les lectures critiques de Lichtenberg sont donc inscrites dans une historicité, et s’inspirent de présupposés herméneutiques qui influencent le travail des interprètes. Ce parcours archéologique associe donc aux mouvements géographiques des déplacements herméneutiques afin de dessiner une histoire parallèle de la littérature, qui reprend les clichés des manuels scolaires, ou du moins d’une conception téléologique de l’histoire des idées. Sous le patronage de Swift et de Goethe, la reprise du canon opère dans le décalage. Cette archéologie littéraire ne cherche pas à édifier un exemple, mais constitue plutôt une source d’amusement. Sans but apparent, ce jeu gratuit de Senges fait pourtant avancer l’intrigue ; la narration se glisse dans les marges de l’histoire officielle.

Alors que le régime parodique dominait l’historiographie chez Senges, Danielewski et Bolaño ne mettent pas nécessairement à distance ces théories radicales. Pour l’étude du Navidson Record, Danielewski fait aussi s’affronter plusieurs démarches épistémologiques, mais dans une perspective plus synchronique que diachronique, en créant un dispositif constitué de notes et de références bibliographiques autour du film de Navidson. En effet, dans son manuscrit fragmentaire, Zampanò retranscrit le « Navidson record », en décrivant par écrit les

125 Ibid. p.162.

126 Ibid. p.201.

127 Ibid. p.412.

75 événements qui se déroulent dans ce film, réalisé par le personnage éponyme. Mais il ajoute à ce premier niveau du récit des commentaires personnels, ainsi que les avis de spécialistes qui se seraient intéressés de près ou de loin au film, qu’ils soient philosophes, écrivains, artistes, historiens de l’art, psychiatres. Zampanò semble ainsi faire preuve d’un véritable travail d’érudition car il évoque à de nombreuses reprises l’abondance de la littérature critique consacrée au sujet. Diverses hypothèses sont développées pour comprendre les événements du film, notamment pour essayer d’expliquer pourquoi Navidson était retourné dans la maison alors qu’il y avait échappé de peu à la mort. Zampanò développe successivement les arguments de la « Kellog-Antwerk Claim », du « Bister-Frieden-Josephson Criteria » ou encore de la « Haven-Slocum Theory », pendant tout un chapitre129 , ce qui ne va pas sans rappeler les « hypothèses », et autres « conjectures130  » des personnages de Senges. Les deux œuvres possèdent une allure scientifique, qui s’appuie notamment sur un appareil critique composé d’annexes, d’index et de tables des matières. Le livre commentaire, œuvre seconde, met ainsi en perspective le caractère fictionnel de l’œuvre romanesque. Chez Bolaño, l’œuvre première est évoquée de manière plus diffuse, mais 2666 pose tout de même la question d’une historiographie contemporaine. Autour du mystère de l’auteur disparu, restent les signes de l’œuvre en construction et les débats entre diverses écoles archimboldiennes, notamment dans le numéro 46 des Etudes littéraires de Berlin, où s’affrontent le groupe constitué par Pelletier, Morini et Espinoza et celui de Schwartz, Borchmeyer et Pohl.

L’étude d’une œuvre de référence permet donc de recréer une historiographie, de présenter plusieurs écoles de lecture. En proposant des fragments de l’œuvre première dans le livre, elles arrêtent un corpus bien défini, sur lequel plusieurs interprétations pourront être établies. C’est bien le caractère marginal de ces lectures qui provoque leur multiplication. Alors que l’écriture établit la référence, l’autorité, les commentaires en marge ne sont que des hypothèses, par essence variables et interchangeables.

2.3.2. Mythographèmes

La parodie des interprétations historicisées et référencées, comme l’exploitation radicale de théories interprétatives sont des manières différentes d’éviter de réduire les lectures secondes à une seule perspective, qu’elles soient traitées à la légère ou trop prises au sérieux. Si ces œuvres plaçaient leur démarche épistémologique dans un régime entièrement savant, les écarts

129 Mark Z. Danielewski, House of Leaves, New York, Pantheon Books, 2000, p. 384-407.

76 avec la norme interprétative seraient réduits et les propositions critiques deviendraient centrales. Nos romans proposent plutôt de diversifier à l’extrême les possibilités interprétatives. Dans cette perspective, le passage des lectures historiographiques aux interprétations mythographiques permet d’ouvrir les sens possibles. Alors que les propositions critiques de nos lecteurs se révèlent souvent vaines et stériles, la convocation des récits fondateurs n’aboutit pas à une lecture univoque, d’autant que les références sont variées et syncrétiques. Au lieu de créer une poétique mythologique qui reprendrait intégralement des mythes dans une lecture totale (comme chez Joyce ou Borges par exemple), cette veine mythologique est utilisée en dilettante. Dans les fictions commentaires, l’adaptation est la norme, et la dissémination d’échos mythologiques perpétue le fonctionnement essentiel de ces récits, construit sur un canevas diffus et marginal.

Chez Bolaño et Danielewski, certaines péripéties mythologiques tentent pourtant de ressaisir l’intrigue principale. Un passage de 2666 propose par exemple de lire les aventures de Pelletier et d’Espinosa comme une réactivation de l’Odyssée :

Y ya que hemos mencionado a los griegos no estaría de más decir que Espinoza y Pelletier se creían (y a su manera perversa eran) copias de Ulises, y que ambos consideraban a Morini como si el italiano fuera Euríloco, el fiel amigo del cual se cuentan en la Odisea dos hazañas de diversa índole. La primera alude a su prudencia para no convertirse en cerdo, es decir alude a su consciencia solitaria e individualista, a su duda metódica, a su retranca de marinero viejo131.

Le décentrement de la référence mythologique pousse à s’intéresser au personnage secondaire, marginal. L’impotent Morini, contrairement à l’Ulysse bicéphale, n’est pas caractérisé par le voyage ou par l’exploration. Il reste chez lui quand Espinoza et Pelletier partent sur les traces d’Archimboldi. Comme l’Euryloque de la fable, il fait confiance à son instinct et il domine inconsciemment ses camarades. Mais la suite de la relecture du mythe nous éclaire encore davantage sur ses motifs.

La segunda, en cambio, narra una aventura profana y sacrílega, la de las vacas de Zeus u otro dios poderoso, que pacían tranquilamente en la isla del Sol, cosa que despertó el tremendo apetito de Euriloco, quien, con palabras inteligentes, tentó a su compañeros para que las mataran y se diesen entre todos un festín, algo que enojó sobremanera a Zeus o al dios que fuera, quien maldijo a Euriloco por darse aires de ilustrado o de ateo o de prometeico, pues el dios en cuestión se sintió más molesto

131 Bolaño, Roberto. 2666. Barcelona, Espagne: Ed. Anagrama, 2004, p.67 : « Et puisque nous avons mentionné les Grecs, il ne serait pas inutile de dire qu’Espinoza et Pelletier se croyaient (et à leur manière étaient) des répliques d’Ulysse, et que tous deux traitaient Morini comme si l’Italien avait été Euryloque, le fidèle ami dont l’Odyssée rapporte deux hauts faits de nature différente. Le premier fait allusion à sa prudence qui lui permet de ne pas être métamorphosé en porc, c’est-à-dire à sa conscience solitaire et individualiste, à son doute méthodique, à sa méfiance de vieux marin. »

77 por la actitud, por la dialéctica del hambre de Euriloco que por el hecho en sí de comerse su vacas, y por este acto, es decir, por este festín, el barco en el que iba Euriloco naufrago y murieron todos los marineros, que era lo que Pelletier y Espinoza creían que le pasaría a Morini, no de forma consciente, claro, sino en forma de certeza inconexa o intuición, en forma de pensamiento negro microscópico, o símbolo microscópico, que latía en una zona negra y microscópica del alma de los dos amigos132.

La perspective mythologique n’est donc pas à prendre comme un supplément d’âme, ni même un réseau de signes mais bien comme ce « symbole microscopique », un envers minuscule, marginal et mystérieux de l’œuvre. Le mythe ne crée donc pas une lecture univoque et fondamentale de l’œuvre première, mais il en montre le caractère second. Euryloque, tout comme le critique Morini, sont toujours en retrait mais ce sont pourtant eux qui mettent en branle une « dialectique de la faim », qui manipulent leurs camarades, voire font le vœu secret de les tuer. Leur parole mène à la mort, parce qu’elle remue chez les hommes des instincts obscurs. Le retrait apparent de ces personnages produit tout de même une action, l’effacement n’empêche pas la destruction. Le personnage secondaire manipule, transforme et modifie le récit des héros, tout comme la réécriture transforme le sens de la source.

Dans House of Leaves, le mythe du Minotaure semble lui aussi posséder une place de régie, puisqu’il est convoqué pour parler du labyrinthe qu’est la maison de Navidson. Pourtant, tous les passages consacrés au mythe sont biffés dans le livre de Danielewski. Cette typographie retranscrit le fait que Johnny Truant a ressuscité « with a little bit of turpentine and a good old magnifying glass133 », toutes les allusions au Minotaure que Zampanò avait voulu supprimer sur son manuscrit. Le palimpseste transparent et évanescent, même interdit et raturé, devient alors explicite. Cet accès difficile à la lecture des passages manuscrits concernant le Minotaure n’est pas seulement matériel. Le mythe lui-même est réinterprété, raturé et transformé. La trace incertaine du mythe dans le manuscrit métaphorise un mode abstrait de relecture, une réinterprétation du mythe. Au lieu d’être le fils du taureau blanc que le roi de Crète aurait refusé

132 Ibid. p.67 : « Le second [haut fait], en revanche, raconte une aventure profane et sacrilège, celle des vaches de Zeus ou d’un autre dieu puissant, qui paissaient tranquillement sur l’ile du Soleil, ce qui éveilla le terrible appétit d’Euryloque, qui, par des paroles intelligentes, induisit chez ses compagnons la tentation de les tuer et de faire un destin entre eux tous, ce qui mit hors de lui Zeus ou quel que soit le dieu, qui maudit Euryloque de se donner des airs de type instruit, ou d’athée, ou de prométhéen, car le dieu en question fut plus irrité par l’attitude, par la dialectique de la faim d’Euloque que par le fait en lui-même de manger ses vaches, et à cause de cet acte, c’est-à-dire à cause de ce festin, le navire sur lequel se trouvait Euryloque fit naufrage et tous les marins trouvèrent la mort, ce que Pelletier et Espinoza croyaient qu’il allait arriver à Morini, pas sous une forme consciente, bien sûr mais sous la forme d’une certitude sans fondement, ou d’une intuition, ou d’un symbole microscopique, qui palpitait dans une zone noire et microscopique de l’âme des deux amis. »

133 Danielewski, Mark Z. House of leaves. New York, Etats-Unis: Pantheon Books, 2000., p. 111 « à l’aide d’un peu de térébenthine et d’une bonne vieille loupe ».

78 de sacrifier à Poséidon, le Minotaure serait en réalité l’enfant difforme de Minos et Pasiphaé. À partir d’une pièce de théâtre fictionnelle écrite par un dénommé Taggert Chiclitz, Zampanò réinterprète le mythe du Minotaure « as trope for psychic concealment », le fils étant « imprisoned by a father’s shame134  », dans une inversion des présupposés freudiens. Bien évidemment, le lecteur Truant ne s’étonne pas de retrouver ce mythe dans le Navidson Record, le film étant consacré à la description d’un immense labyrinthe. Ce qui étonne davantage Truant, c’est la raison pour laquelle Zampanò aurait été amené à détruire ces passages, d’autant que le vieillard n’arrête pas là sa réinterprétation du mythe. Au contraire, Zampanò extrapole sa lecture du mythe du Minotaure en la complétant par un autre mythe qui en poursuit le sens, tel un écho. Ce deuxième récit retrace la création d’une chambre de torture par l’inventeur Perilaus, qui façonne une statue de taureau en bronze dans laquelle on peut faire brûler un supplicié. L’animal possède des tuyaux musicaux entremêlés dans sa tête, qui « translated the tortured screams into strange music135 ». Ces descriptions macabres, détruites dans le manuscrit original, sont suivies par un long blanc, qui inquiète Truant, qui commente la superposition de ces lectures secondes et leurs coïncidences troublantes :

Can’t help thinking of old man Z here and those pipes in his head working overtime; alchemist to his own secret anguish; lost in an art of suffering. Though what exactly was the fire that burned him?136

Tout comme le labyrinthe constituait une métaphore de la maison de Navidson, la chambre démoniaque de Perilaus constitue une image de l’esprit troublé et torturé par les échos de Zampanò pour Truant. Comme un supplicié dans le taureau, le vieillard serait brûlé par les voix du livre, qu’il retranscrirait dans ses lectures et ses commentaires, tel un chant monstrueux sorti des cornes de la statue incandescente.

Le mythe permet donc là encore d’éclairer le rôle d’un personnage effacé, oublié, qui joue pourtant un rôle de régie. Zampanò chez Danielewski, comme Morini chez Bolaño, sont des personnages effacés qui possèdent cependant un aspect déterminant. Tous deux entretiennent un rapport particulièrement substantiel à la lecture, puisqu’elle constitue un prolongement littéral de leur être et de leurs corps, marqués par les infirmités. Morini est impotent, et nous avons déjà vu que Zampanò, qui a consacré son manuscrit à l’étude d’un film,

134 Ibid. p. 335-336 : « comme une métaphore de la dissimulation psychologique » / « prisonnier de la honte du père ».

135 Ibid. p. 337 : « traduisaient les cris de torture en une musique étrange »

136 Ibid. p. 337 : « Je ne peux pas m’empêcher de penser ici au vieux Z. et à tous les tuyaux dans sa tête qui fonctionnaient en permanence ; alchimiste de sa propre angoisse secrète ; égaré dans l’art de la souffrance. Mais quel était donc le feu qui l’a consumé ? »

79 est aveugle, « blind as a bat137 ». Pourtant, à l’instar de la chauve-souris à laquelle il est comparé, cette cécité lui permet de voir autrement les ténèbres. La perte de la vue lui permet paradoxalement d’écrire sur la maison labyrinthique. Cette faculté rappelle bien évidemment celle des devins mythologiques comme Tirésias, auquel la perte de la vue procure un savoir plus profond et mystérieux. Selon « El Cerdo », un témoin rencontré par les critiques à la recherche d’Archimboldi, l’écrivain de Bolaño possède lui aussi cette caractéristique : « Tiene los ojos de un ciego, no digo que esté ciego pero son igualitos que los de un ciego, es posible que me equivoque138 ». D’autant que le même Archimboldi a écrit un roman intitulé La Ciega, dans lequel, « Tal como cabía esperar, esta novela trataba sobre una ciega que no sabía que era ciega y sobre unos detectives videntes que no sabían que eran videntes139 ». Cette aveugle qui ignore sa condition, métaphore de la lecture seconde, du lecteur qui ne sait pas qu’il est observé, que son interprétation est elle-même lue.

Ainsi, nos romans possèdent non seulement des personnages lecteurs, mais aussi des