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73Entretien avec Jonas Vancanneyt

Dans le document Habiter le camp de réfugiés (Page 74-76)

Entretien avec l’ancien membre de l’association Médécins Sans Frontières dans le camp de Grande-Synthe, effectué le 18/04/2017 en anglais, traduit par mes soins.

Comment êtes-vous arrivé au camp?

J’ai eu de l’expérience dans l’assistance sociale. Pendant l’été 2015, j’ai vu des publications sur les médias sociaux concernant la crise des réfugiés en France et la gravité de la situation. Dans ma ville natale en Belgique, Kortrijk (Courtrai), il y avait des gens qui ont commencé à réunir des affaires et à aller dans les camps de réfugiés en France. La première idée était d’aller à Calais. Mais juste avant quelqu’un nous a contacté et a dit que, à Dunkerque, c’était bien pire, alors nous avons décidé d’aller là-bas, mais l’association ne nous a pas laissés entrer dans le camp. Ils ne voulaient pas des «touristes» là-bas. Nous sommes donc allés juste dans leur entrepôt.

Quelques jours plus tard, je suis allé à Calais avec le même groupe, j’ai rencontré beaucoup de gens intéressants, des bénévoles qui étaient déjà là pendant 2-3 mois. Ils m’ont parlé des endroits dans lesquels je ne devais pas aller à cause de certaines tensions. Il y avait toutes ces différentes cultures et communautés qui vivent ensemble dans un si petit espace dans des conditions très inhumaines… d’où les tensions. Nous étions donc là avec un très grand groupe de personnes de différentes villes de Belgique. A cette époque, il y avait 4 à 5 000 personnes là-bas et à la fin 8 000 ou plus encore. Quand j’ai lu cet événement sur les réseaux sociaux, il semblait vraiment bien organisé. Très peu de temps après on a su que ce n’était pas le cas... Quand nous sommes arrivés, nous avons commencé à trier les affaires, ce qui nous a fait perdre beaucoup de temps. Les choses auraient dû être classées avant. Nous étions 120 personnes, beaucoup trop à mon avis. Rien n’a été coordonné. L’organisateur regardait simplement les gens, il n’y avait pas de plan à suivre. Nous voulions aider, mais nous avons perdu beaucoup de temps précieux. Nous sommes partis pour trouver un meilleur endroit dans la jungle. Il y avait même des familles avec des enfants... Ne prenez pas vos enfants dans cette merde. Je comprends que vous voulez leur apprendre la morale et les valeurs, mais ne les emmenez pas à l’un des pires camps de réfugiés au monde. Parce que ce n’est pas comme si quelqu’un le contrôlait, comme une grande ONG dans d’autres parties du monde. C’est juste un chaos pur et la police est là pour empêcher le chaos de se propager à l’extérieur du camp.

Nous sommes donc partis dans un autre endroit. Nous avons eu beaucoup de choses à l’intérieur de la camionette. Quand nous avons vu de grands conteneurs, nous avons décidé

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de les suivre. Et tout d’un coup, il y a eu une grande masse de personnes. Des centaines de personnes nous entouraient, c’était fou. Tout le monde tapait sur notre voiture, nous ne pouvions même pas s’avancer. Avant que l’on s’en rend compte, tout d’un coup, il y a eu 8 à 10 personnes à l’intérieur de la voiture, ils ont simplement forcé les portes. Tout ce que nous avions à l’intérieur (les affaires pour les enfants), tout a été vidé en moins d’une minute. C’était tellement fou. Nous avons même dû nous battre pour nos affaires, les gens voulaient aussi les prendre. Je savais tout de suite quand j’ai vu cette masse de personnes que c’était l’endroit dont les bénévoles m’ont averti. Le centre du camp. C’était un chaos pur pendant une minute, puis tout était fini.

Un des réfugiés est venu me voir: «Que faites-vous? Es-tu fou? Tu veux mourir? Tu ne sais pas ce que ces personnes sont capables de faire. Certaines personnes ici sont dangereuses, elles ont des couteaux, des machettes, elles détruisent les fenêtres de voitures, elles peuvent même vous poignarder. » C’est alors que j’ai compris que j’avais beaucoup de chance. On a fait confiance à l’organisateur auquel on n’aurait jamais dû faire confiance. C’était la première fois de ma vie que j’étais vraiment effrayé et que je craignais pour ma vie.

L’organisateur a été le premier à partir. Très rapide. Jusqu’où sa responsabilité allait... Ensuite, il a écrit sur les médias sociaux à quel point cette mission était une réussite. Il n’a rien mentionné sur le chaos total et le danger dans lequel il nous a mis. Je l’ai commenté en disant qu’il est important de mentionner à quel point ça peut devenir dangereux si ce n’est pas bien organisé et préparé. C’est ce genre de vérité que les gens doivent savoir. Parce qu’il y avait des gens qui venaient là-bas avec leurs petits enfants de 11 ans... Les gens voulaient même venir avec un groupe de scouts ! Je comprends que vous ayez un bon cœur et que vous vouliez les aider. Mais non seulement c’est dangereux, mais c’est aussi du pur tourisme. Parce que la plupart des gens sont là pour se montrer. 99% des personnes que j’ai rencontrées au cours de ces 2 ans ne sont venues qu’une seule fois.

J’ai décidé de rester à Calais pendant un moment. Et c’est là que j’ai également vu la chose la plus dégoûtante de ma vie qui demontre bien la maladie de notre société. Un jour, une Ferrari arrive directement de l’autoroute, se gare à l’entrée près de la police pour être bien en sécurité. Un homme bien habillé, en costume, sort de la voiture. Puis, il sort son go-pro avec un bâton de selfie et il commence à marcher dans le camp en enregistrant tout... J’ai vu tellement de fois les gens en train de prendre des selfies à Calais et à Dunkerque. Pas même pour une bonne cause, mais juste pour dire «Regarde, je suis dans un camp de réfugiés!» C’est pourquoi, lorsque je suis arrivé à Dunkerque, j’ai proposé certaines choses pendant la réunion avec MSF et d’autres organisations. Je leur ai dit que d’après mon expérience les gens devraient être enregistrés à l’entrée du camp, être vérifiés par la police. On ne devrait pas laisser tout le monde ici. Si c’est juste pour le tourisme, alors tu fais plus de mal que du bien. Il y a déjà tellement de chaos ici, nous devrions être des gens qui apportent de l’ordre dans

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