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Chapitre 3 : La présentation et l’analyse des résultats

3.1 La présentation des résultats

3.1.6 Entretien avec le travailleur social 6 (TS6)

Lorsque nous questionnons TS6 à savoir ce qu’est pour lui un dilemme éthique, il fait référence à l’affrontement entre deux valeurs reliées aux normes de pratique qui s’opposent. Un dilemme éthique peut également survenir, selon TS6, lorsqu’une règle de fonctionnement, liée au code de déontologie ou imposée par l’employeur, entre en conflit avec des valeurs du travailleur social : « C’est des valeurs qui s’affrontent ou ça peut aussi être une règle de fonctionnement, que ce soit lié aussi au code de déontologie ou que ce soit imposé par notre employeur, qui entre en conflit avec des valeurs.» TS6 insiste sur l’importance de prendre le temps nécessaire à la résolution des dilemmes éthiques.

Comme c’est des situations qui sont souvent complexes, [… t]u peux comme pas trop synthétiser là. Faut que tu prennes le temps de tout décrire en détail là. C’est quoi les risques, c’est quoi la situation, c’est quoi mes inquiétudes. C’est quoi l’impact ça peut avoir au niveau psychologique, que ça peut avoir pour la personne. (TS6)

Selon TS6, le travailleur social au PPALV se retrouve toujours pris entre le principe de protection versus celui du consentement libre et éclairé, lorsqu’il évalue que la personne doit être hébergée mais que celle-ci refuse. Ici, le dilemme soulevé par TS6 réfère à la décision que doit prendre le travailleur social entre dire la vérité à la personne quant à son intention de procéder à son hébergement et ce, au risque que celle-ci s’y oppose de façon catégorique et celle de modifier la réalité pour éviter ce refus. Devant un tel refus, le travailleur social et son établissement pourraient alors décider de maintenir la personne à domicile malgré les risques encourus ou alors, tenter d’obtenir auprès du tribunal une autorisation pour passer outre le refus du client et procéder à l’hébergement tel que le prévoit l’Article 16 du Code civil du Québec3. À cet égard, TS6 souligne que les coûts

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16. L'autorisation du tribunal est nécessaire en cas d'empêchement ou de refus injustifié de celui qui peut consentir à des soins requis par l'état de santé d'un mineur ou d'un majeur inapte à donner son consentement; elle l'est également si le majeur inapte à consentir refuse catégoriquement de recevoir les soins, à moins qu'il ne s'agisse de soins d'hygiène ou d'un cas d'urgence. Elle est, enfin, nécessaire pour soumettre un mineur âgé de 14 ans et plus à des soins qu'il refuse, à moins qu'il n'y ait urgence et que sa vie ne soit en danger ou son intégrité menacée, auquel cas le consentement du titulaire de l'autorité parentale ou du tuteur suffit. (C.C.Q., 1991, c. 64, a. 16.)

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élevés engendrés par l’établissement qui doit avoir recours à une telle procédure et la nécessité pour ce faire que les risques encourus par la personne soient extrêmement importants, sont des raisons pour justifier l’utilisation des stratégies visant à amener la personne à accepter l’hébergement et ce, au détriment du principe du consentement libre et éclairé. L’utilisation de ce type de stratégie (ex : dire qu’il s’agit d’un hébergement temporaire plutôt que permanent) serait selon TS6 une pratique suggérée par certains membres de l’administration.

[C]’est arrivé qu’on ait un peu modifié la réalité pour amener la personne à accepter. Ben, c’est ce qu’on me conseille un peu de faire parce que aussi… Y a aussi que d’aller en cour, ça coûte 10 000$ au CSSS, pis pour que ce soit accepté aussi, ben ça prend beaucoup d’éléments.

Bien que TS6 rapporte s’être fait dire par un membre du Curateur public que l’utilisation de ce type de stratégie était inadmissible, car elle allait à l’encontre des droits de la personne. Il apparaît, selon l’expérience qu’il a pu avoir notamment avec les résidences pour personnes âgées, que leur utilisation soit monnaie courante dans le milieu.

[La personne au Curateur public] me dit : vous allez contre les droits de la personne […] J’en ai parlé en supervision. J’en ai parlé avec mon chef de programme. Ben ce qui est ressorti, c’était un peu que c’est sûr que le curateur va défendre cette position-là, mais dans les faits, [… le client], un coup rendu à la résidence […] C’est un peu banalisé parce qu’ils semblent être un peu habitués à ça. (TS6)

TS6 tient cependant à noter que la plupart du temps, c’est le représentant légal ou un membre de la famille qui prend la responsabilité d’utiliser ce type de stratégies et qu’il ne fait lui-même que le suggérer à la famille. Il souligne, à ce niveau, les risques de dérapage sur le plan éthique. Par exemple, lorsque la famille omet carrément de dire à la personne qu’elle va en hébergement.

Le dilemme éthique dont a choisi de nous parler TS6 a trait à l’évaluation du degré d’inaptitude de la personne âgée. Dans ce dilemme, TS6 se questionnait à savoir si vraiment la cliente plutôt que personne devait être déclarée totalement inapte à la personne du fait que le médecin l’évaluait ainsi et que la famille souhaitait un hébergement rapide. Devant le portrait de la personne âgée qu’il qualifie de "désarmant", TS6 s’interroge sur les critères qui permettent de juger du niveau d’inaptitude.

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J’ai l’impression qu’il n’y a pas de vrai consensus par rapport [à la détermination du niveau d’inaptitude]. Si je regarde ce que M. Berthiaume disait dans la formation de l’Ordre. Quelqu’un est inapte à la personne quand y est complètement désorienté […] La psychogériatrie, ça prend beaucoup moins que ça pour que quelqu’un soit déclaré inapte total. C’est quand quelqu’un […] est pas capable d’analyser à quelque part les risques. (TS6)

TS6 prendra finalement la décision de procéder en évaluant la personne inapte totalement aux biens et à la personne, conformément à l’opinion du gériatre ayant produit la déclaration d’inaptitude. D’une part, il estime qu’il est difficile et parfois peu payant d’aller à l’encontre de l’opinion médicale, d’autant plus que beaucoup d’éléments selon le gériatre et la psychogériatrie appuient la thèse de l’inaptitude. D’autre part, TS6 croit que le fait de ne pas évaluer la personne inapte totalement aurait mis en péril le processus d’homologation du mandat en cas d’inaptitude ce qui, lui aurait donné l’impression de faillir à sa tâche. En effet, cette impression vient du fait que le mandat est supposé exprimer la volonté de la personne avant que ne survienne l’inaptitude.

Je suis pas allé rappeler le gériatre. Je pourrais le faire tsé mais je me dis : est-ce que ça vaut vraiment la peine? Est-ce que je vais confronter un gériatre… J’étais un petit peu surpris mais en même temps, c’est ça. C’est quand même [un client] qui est des fois complètement absent. De plus, comme il s’agit d’une homologation de mandat en cas d’inaptitude… (TS6)

Finalement, TS6 justifie cette décision par la possibilité de devoir un jour avoir recours à une autorisation du tribunal pour procéder à l’hébergement de la personne: « Dans l’éventualité où l’on doit aller vers une requête en hébergement, ben là j’ai comme pas le choix de la déclarer totalement inapte».

Le dilemme éthique de TS6 a trait à l’évaluation du degré d’inaptitude de la personne âgée. Dans ce dilemme, TS6 se questionne à savoir si vraiment la personne doit être déclarée totalement inapte à la personne, du fait que le gériatre et la psychogériatrie l’évaluent ainsi et que la famille souhaite un hébergement rapide. Devant le portrait de la personne âgée qu’il qualifie de "désarmant", TS6 s’interroge sur les critères qui permettent de juger du niveau d’inaptitude. Le questionnement éthique est donc principalement lié au fait de déclarer la personne complètement inapte à la personne dans le but d’un hébergement puisque, l’inaptitude totale n’apparaît pas clairement ni à l’auxiliaire qui connait le client

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depuis longtemps, ni à TS6. TS6 prend finalement la décision de procéder en évaluant la personne inapte totalement aux biens et à la personne, conformément à l’opinion du gériatre ayant produit la déclaration d’inaptitude, car il estime qu’il est difficile et parfois peu payant d’aller à l’encontre de l’opinion médicale. De plus, TS6 croit que le fait de ne pas évaluer la personne inapte totalement peut mettre en péril le processus d’homologation du mandat en cas d’inaptitude et que dans l’éventualité où le CLSC aurait à s’adresser au tribunal pour demander une requête en hébergement, il est préférable que le client soit déclaré inapte totalement.

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Analyse structurale du dilemme éthique de TS6

Fig. 10