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Chapitre 3 : La présentation et l’analyse des résultats

3.1 La présentation des résultats

3.1.4 Entretien avec le travailleur social 4 (TS4)

À la question qu’est-ce qu’un dilemme éthique, TS4 révèle qu’en contexte de maintien à domicile, le dilemme concerne surtout la gestion du risque et survient lorsque le travailleur social a un doute par rapport à la détermination du niveau de risque tolérable, une fois que le client a été médicalement évalué inapte.

Pour moi, c’est vraiment le doute par rapport à ce qu’on devrait, par rapport à ce qu’on doit faire puis, par rapport au contexte que vit la personne puis, par rapport au diagnostic parce que parfois, on dit, dès que vous avez une personne qui semble inapte, faites tout de suite un régime de protection. Bon il faut se poser des questions avant puis, c’est sûr, la personne est évaluée [par le médecin] mais, une fois évaluée, mon dilemme éthique, c’est que si la personne, oui elle est inapte, mais je la trouve quand même assez… parce qu’inapte ça ne veut pas dire qu’elle est complètement perdue […] Donc, tu vois quand tu tombes dans les inaptes partiels […] Combien de temps on doit les garder versus ce qu’il vit en ce moment. (TS4)

Pour TS4, un dilemme éthique survient dans les contextes de risque lorsque le travailleur social sait qu’il doit agir mais, où il sait qu’en agissant, il risque aussi de perdre le lien de confiance avec son client. Ces situations surviennent, nous dit TS4, lorsque le client concerné n’est pas prêt à accepter l’intervention, justement parce qu’il n’a pas le jugement pour comprendre que l’intervention est nécessaire. TS4 fait aussi la distinction entre le diagnostic (la déclaration d’inaptitude) qui impose au travailleur social une obligation d’agir et le contexte dans lequel évolue la personne, qui lui, donne une latitude quant au choix de son intervention.

Du moment où on nous enseigne, on nous forme pour protéger une personne et pour qu’on évalue si la personne n’est plus capable […] la notion que dès que tu vois qu’il y a un client qui semble inapte, que tu as une évaluation d’inaptitude, que c’est marqué mettons partiel, […] t’es obligé de faire une demande de protection si y a personne autour de cette personne-là. C’est dans ce sens-là que je me dois, on se doit d’agir. Mais dans un certain sens si tu peux, toi comme travailleur social, trouver d’autres alternatives pour une personne qui a été jugée inapte, évidemment par un médecin […] et que tu vois que ça va être déjà très difficile de faire comprendre à la personne qu’elle va être sous un régime de protection… C’est là que je te dis que c’est l’ambivalence […] Parce que nous notre rôle c’est ça, c’est de passer à l’acte puis, de passer à des évaluations puis, homologuer des mandats dès qu’on voit qu’il y a une perte quelconque cognitive. Ça dépend de chaque environnement aussi, c’est pas que diagnostique. (TS4)

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TS4 souligne également le fait que ces démarches représentent une charge de travail supplémentaire pour le travailleur social. La charge de travail imposée par le contexte organisationnel exerce selon TS4 une pression pour que le travailleur social procède.

Est-ce que tu fais vivre à la personne des moments de perte de pouvoir alors que tu sais qu’avec un bon encadrement, on peut attendre avant d’arriver à ça ou t’as tellement de clients, t’as tellement de demandes, que tu te dois de faire ça pour passer à l’autre... Tu te dois de faire ça parce que dans une institution on te demande beaucoup et t’as pas de choix de le faire. (TS4)

En ce qui a trait au soutien à la prise de décision éthique, TS4 dit le trouver auprès de l’équipe de psychogériatrie du CSSS ainsi que de la superviseure clinique. Ce type de consultations permet à TS4 d’obtenir un appui quant au niveau de risque qui peut être toléré et aux interventions à privilégier.

[S]ouvent, je fais appel à des professionnels comme en psychogériatrie pour évaluer les risques majeurs […] pour valider, voir si ce que j’ai observé comme risques… Puis des fois, c’est ça. Ça va prendre un peu plus de temps à confirmer mes craintes ou des fois, ça m’aide juste à comprendre que j’étais dans la bonne voie puis, qu’on va juste continuer avec les démarches. C’est souvent en psychogériatrie que je consulte ou bien la superviseure clinique qu’on rencontre selon nos besoins. Souvent, [la superviseure clinique] nous donnait un peu des idées de la situation puis […] quelle intervention privilégier puis, laquelle on pourrait peut-être attendre. (TS4)

En ce qui concerne l’intervention, TS4 aborde spécifiquement la question de l’hébergement contre le gré du client. Lorsque que le travailleur social décide qu’il doit procéder à l’hébergement, vient alors le problème éthique lié à l’utilisation ou non par le travailleur social de stratégies destinées à faciliter la transition du domicile au centre d’hébergement. Par exemple, tenter de faire croire à la personne qu’il s’agit d’un hébergement temporaire, le temps de procéder à des rénovations dans son appartement alors que l’on souhaite l’héberger de façon permanente.

C’est un dilemme éthique. C’est jusqu’où on va pour faciliter la transition d’un client. Et eum… Je l’ai fait puis, je ne me sens pas mal de l’avoir fait pour tel ou tel client. Maintenant, y sont bien. Ça bien fonctionné la transition puis, après un certain temps y se sont adaptés. (TS4)

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D’une part, TS4 justifie l’utilisation de ce type de stratégies par le souci de ne pas créer de traumatisme pour le client qui, n’est pas nécessairement en mesure de retenir l’information en raison de ses problèmes de mémoire. À cet égard, TS4 fait part de son malaise à être confronté à la détresse du client. D’autre part, TS4 souligne que leur utilisation semble satisfaire, selon lui, les autres intervenants impliqués dans le dossier.

Aussi j’ai beaucoup de misère avec les chocs et les traumatismes. Je me dis, ces gens qui ont perdu tout, tout ce qui leur reste, c’est leur mémoire à long terme, leur mémoire ancienne. C’est clair. C’est sûr qu’il va y avoir une crise drastique sauf que… C’est là que tu dis : c’est pas optionnel […] Puis la curatrice, les cas où j’ai eu à utiliser ça, ben y ont été assez contents, déjà que la personne parte sans à avoir à aller à l’extrême, sans les ordres de cour, que la transition s’est bien faite puis, tout le monde est content. (TS4)

Le dilemme éthique qu’a choisi de discuter TS4 à travers l’illustration d’un cas vécu concerne encore une fois l’application de la bienfaisance versus la protection de l’autonomie. Ici, le questionnement éthique de TS4 est lié à la détermination du niveau d’inaptitude du client. Pour TS4, cette évaluation risque fort d’avoir un impact sur le type d’intervention choisi afin de protéger celui-ci. Bien que le client présente un "profil santé mentale" et que plusieurs éléments soient identifiés par TS4 comme étant des facteurs de risque pour le maintien à domicile (problème d’accumulation, refus des services, difficulté à gérer ses finances, hygiène négligée, alimentation moyenne, etc…), le client ne présente aucune atteinte physique ou cognitive majeure. TS4 est d’avis que le client devrait être davantage encadré, idéalement en procédant à une localisation dans un hébergement avec services et tout au moins, par de l’aide à domicile. Toutefois, TS4 craint de provoquer une crise si le client est placé sous curatelle.

Donc, j’hésite entre l’inaptitude complète et partielle parce que justement il ne prend plus soin de lui mais, c’est sûr qu’il n’a pas de problème majeur aussi, mais quand même… je veux dire… il est tout le temps sale. Euh, c’est le cas des personnes qui… peut-être d’ici un an, il ne se lavera plus. Là, il se lave encore mais est à la limite. Puis, il tient encore à s’occuper de ses choses même s’il ne le fait pas bien. Donc, encore une fois, est-ce qu’on lui enlève tout son pourvoir et c’est le choc total, la crise totale […] on coupe la relation et on le met sous régime de protection ou on y va quand même avec l’option de partielle dans le but de lui laisser certains droits mais, euh, ça va dépendre aussi de l’évaluation du médecin là. (TS4)

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TS4 rapporte que l’équipe médicale suggère que le client soit déclaré inapte totalement. Cependant, TS4 a conscience que sa propre évaluation a une certaine influence sur la décision du médecin. Au moment de l’entrevue, TS4 hésitait toujours entre recommander une inaptitude complète ou partielle et ce, compte tenu des éléments d’incertitude contenus dans la situation et considérant les effets qu’auront sur la personne une mise sous curatelle. En effet, TS4 craint que le fait de déclarer le client totalement inapte constitue pour ce dernier un terrible choc dans la mesure où, l’état d’inaptitude totale est conçu implicitement comme requérant l’hébergement. De plus, bien que TS4 considère que le client n’est pas en mesure de prendre soin de lui-même et de ses affaires de façon appropriée, il souligne le désir de celui-ci à continuer de le faire. Il souligne aussi le tempérament indépendant du client qui tient à conserver la liberté de ses allers et venues et n’avoir à dépendre de personne.

Encore une fois, le dilemme éthique concerne l’application de la bienfaisance versus la protection de l’autonomie et le questionnement éthique de TS4 est lié à la détermination du niveau d’inaptitude du client. Pour TS4, cette évaluation risque fort d’avoir un impact sur le type d’intervention choisie afin de protéger celui-ci. TS4 est d’avis que le client devrait être davantage encadré, idéalement en procédant à une localisation dans un hébergement avec services et tout au moins, par de l’aide à domicile. L’équipe médicale suggère que le client soit déclaré inapte totalement. Toutefois, TS4 craint de provoquer une crise si le client est placé sous curatelle, dans la mesure où l’état d’inaptitude totale est conçu implicitement comme requérant l’hébergement. Cependant, pour TS4, l’option de déclarer le client inapte partiellement est valable dans la mesure où les risques mentionnés plus haut restent somme toute modérés. Bien qu’au moment de l’entrevue, TS4 n’ait pas encore résolu son dilemme par rapport au degré d’inaptitude à recommander, il dit prévoir s’en remettre à l’évaluation médicale pour faire ses recommandations dans l’évaluation qui sera transmise au Curateur public.

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Analyse structurale du dilemme éthique de TS4

Fig. 8