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Chapitre 3 : La présentation et l’analyse des résultats

3.1 La présentation des résultats

3.1.5 Entretien avec le travailleur social 5 (TS5)

Pour TS5, les dilemmes éthiques sont issus principalement du malaise éthique à devoir prendre des décisions qui auront des impacts sur l’avenir de la personne. Il parle de la responsabilité du travailleur social d’être le plus précis possible dans ses évaluations et ce, afin de réduire au maximum les risques d’interprétation susceptibles de pénaliser la personne concernée.

Le dilemme éthique c’est lorsqu’on n’a pas un texte qui définit clairement. Euh, je prends dans le cas de l’aptitude. C’est très ouvert et puis, il y a l’appréciation médicale, l’appréciation du TS. Il y a tellement d’appréciations. À un moment donné, il faut qu’on se concentre et qu’on réfléchisse par rapport à nous aussi, par rapport au texte […] C’est tellement large et sujet d’interprétation que c’est pourquoi c’est difficile à rédiger parce que chacun l’interprète. L’interprétation

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pour moi, c’est encore pire dans la mesure où, il y a toute la dimension culturelle aussi qui intervient. (TS5)

En lien avec la lourdeur de la responsabilité pour le travailleur social de devoir se prononcer sur l’inaptitude dans le cadre des régimes de protection et son corollaire implicite, la question de l’hébergement, TS5 nous fait part des différences qu’il a pu constater entre les systèmes français et québécois. En effet, celui-ci fait remarquer la facilité avec laquelle il est possible de procéder à l’ouverture d’un régime de protection au Québec comparativement à ce qui se fait en France.

[Dans le système français], c’est très difficile d’héberger quelqu’un contre son gré. Même si on sait que la personne perd de ses capacités. Alors, il y a toutes les valeurs culturelles aussi qui interviennent […] [I]ci, le médecin se prononce [sur l’inaptitude] mais le TS aussi donne son rapport […] en fin de compte, on complète le rapport du médecin. C’est le rapport du médecin qui prime. Là-bas aussi, c’est le rapport du médecin, mais ils peuvent se passer du rapport du TS. […] La procédure, elle est très, très longue […] C’est au palais de justice que ça se traite. Donc avant de s’embarquer dedans… (TS5)

Le fait d’avoir la bonne interprétation quand à la situation problème, de faire la bonne chose dans l’intérêt du client se traduit notamment par le souci de TS5 d’avoir suffisamment de faits pour rédiger convenablement l’évaluation psychosociale destinée à justifier ou non l’ouverture d’un régime de protection. Avoir suffisamment d’exemples pour étayer ses recommandations permet à TS5 de se sentir confortable avec ces dernières, d’où la nécessité pour celui-ci d’avoir suffisamment de temps pour réunir ses preuves et rédiger convenablement le rapport.

[L]orsque ça vient subitement et qu’on n’a pas réuni suffisamment de preuves, t’as du mal à argumenter certaines choses, parce que normalement, tu vas devoir justifier si la personne s’alimentait mal mais, au moins tu sais […] que j’ai vu ceci, j’ai vu cela. Il y a des trucs qui nous échappent alors, ce qui fait qu’on a toujours l’impression, euh, de ne pas bien argumenter parce qu’on n’a pas suffisamment étayé ce qu’on avait par des exemples […] Je rapporte des faits et ça, ça donne quand même une certaine consistance à un dossier. Donc c’est ça le dilemme de oui c’est bien de faire la procédure pour une mesure de protection, mais il faut déjà que ton dossier soit bien étoffé… (TS5)

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À ce titre, TS5 mentionne qu’il a demandé avec d’autres travailleurs sociaux à recevoir une formation pour faciliter et améliorer la qualité de la rédaction des rapports destinés à l’ouverture de régimes de protection.

Puis on a demandé à faire une formation pour nous faciliter la rédaction des rapports pour […] les dossiers de la curatelle, parce que chaque TS comprenait à sa manière les choses […] ça posait un problème parce que ça te ralentit dans la rédaction. Parce que bon bien hein! Quand même on a l’avenir de quelqu’un entre nos mains. On veut être le plus juste possible. Alors c’était plus au niveau éthique […] Faut faire très attention à ce qu’on dit. Il ne faut pas que ce soit sujet à interprétation et que ça pénalise la personne. (TS5)

À propos du soutien à la prise de décision éthique TS5 dit trouver dans les rencontres de groupe un certain réconfort. Il s’agit également d’un moyen d’aller chercher une validation sur sa lecture de la situation. Tout comme les échanges avec les collègues, la supervision clinique permet d’avoir une vision plus complète de celle-ci. TS5 souligne aussi l’apport de la supervision avec un chef de programme qui apporte, selon lui, un complément à la supervision clinique, notamment, en ce qui concerne les éléments davantage administratifs et d’avoir, dans certains cas, accès de façon indirecte aux services de l’éthicien du CSSS.

On consulte parce que tout seul, tu peux pas […] donc on se réfère un petit peu à nos supérieurs puis en supervision, on présente un petit peu le dossier et puis les collègues et c’est très enrichissant. Ya des choses auxquelles on ne pense pas et les collègues nous font penser […], ça crée une certaine émulation et ça nous aide à repartir et à déblayer un petit peu, dédramatiser. [La supervision clinique et la consultation auprès d’un chef de programme ç]a se complète […] Parce que y a certains aspects qui sont traités en supervision. Mais les aspects plus, euh, au niveau [de] l’institution. C’est plus avec les responsables. La supervision te donne plus l’accès par rapport à une technique, par rapport à la connaissance, par rapport au texte, etc. Si c’est quelque chose où l’institution, euh, est impliquée, où on doit faire très attention […] alors on est obligé de voir avec nos chefs, qui va se référer aux services éthiques.

La situation dont TS5 a décidé de nous parler aborde le problème éthique de la pression exercée par l’entourage du client sur le travailleur social afin qu’il procède à son hébergement. Dans le cas qui nous intéresse, l’entourage concerné était l’administration de l’immeuble où résidait la personne âgée. Selon TS5, celle-ci amplifiait les risques encourus par le client et arguait que celui-ci devait être relocalisé alors que TS5 évaluait les risques encourus comme acceptables et gérables avec les services du CLSC. Même si une

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ouverture de régime de protection pouvait se justifier, il n’y avait pas, selon TS5, nécessité de procéder à un hébergement dans l’immédiat. TS5 nous parle ainsi de son malaise à ce que le client soit déclaré inapte totalement dans le but de procéder à son hébergement.

C’est sûr, ce sont des problèmes, mais pour moi, c’était pas des problèmes majeurs pour pouvoir, euh, placer la personne […] Dans le même temps, j’avais des personnes âgées qui étaient à domicile et qui étaient pires que [ce client] là et donc, c’était ça qui était un petit peu gênant. (TS5)

Cependant, devant l’insistance de l’administration de l’immeuble, TS5 nous dit s’être résigné à entamer des démarches afin que le médecin de famille procède à l’évaluation de l’inaptitude du client.

Non, c’était les personnes responsables [de l’immeuble], les administrateurs, ils disaient non, non, non, il faut l’enlever, [le client] va faire ci, [il] va faire ça. Donc t’as pas le choix, il faut l’enlever, il faut l’enlever. Sinon on va te le répéter […] Donc, moi à un moment donné, j’ai dit : c’est mieux que je m’implique tout de suite pour procéder à l’hébergement. Si quelque chose se produit, c’est la responsabilité du CLSC […] Y a rien qui nous prouvait qu’il y allait se passer quelque chose mais, il faut bien prévenir quelque part. TS5

Après discussion, le médecin exprime sa volonté de déclarer le client inapte partiellement à la personne et totalement aux finances. Puis, il se ravise et décide que le client sera plutôt déclaré inapte totalement aux biens et à la personne afin d’éviter de multiplier les procédures.

[L]e médecin […] il m’a dit : Bon ben ça va être la curatelle, hein, on n’a pas le choix. Parce que le médecin lui, il a plus vu l’aspect financier, les risques d’abus et ça, c’est vrai. Il dit : Non, on peut pas le laisser comme ça, il va se faire abuser et puis, etc., etc. Donc, lui il était d’accord pour une mesure de protection par rapport à sa personne et à la gestion, ses finances […] il m’a dit : écoute au lieu de revenir encore dessus, ça va être ça […] Donc, on a fait comme ça puis après, ben la procédure a suivi son cours… (TS5)

Pour TS5, l’évaluation de l’inaptitude, est d’abord une décision médicale. De plus, il se dit rassuré du fait que le client est atteint d’une maladie dégénérative et donc, qu’il y a fort à penser que, si au moment de l’évaluation des doutes persistent sur le degré d’inaptitude de

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la personne, la situation finira par se détériorer : « Ce qui me rassurait quelque part, c’est que y avait la maladie d’Alzheimer qui était présente […] qui entraînait une détérioration de certaines capacités, mais c’était pas avancé, mais comme la maladie était là qui pouvait… (TS5) »

Le problème éthique abordé par TS5 est en lien avec la pression exercée par l’entourage du client sur le travailleur social pour qu’il procède à son hébergement. TS5 nous parle ainsi de son malaise à ce que le client soit déclaré inapte totalement dans le but de procéder à son hébergement. En effet, la résidence où habite la personne âgée est d’avis que celle- ci doit être relocalisée en raison des risques encourus, alors que TS5 estime que la résidence amplifie les risques encourus par le client et que ceux-ci sont gérables avec des services du CLSC. Même si TS5 croit qu’une ouverture de régime de protection peut se justifier, il ne voit pas la nécessité de procéder à un hébergement dans l’immédiat. De son côté, le médecin penche plutôt pour que le client soit déclaré inapte totalement aux biens et à la personne afin d’éviter de multiplier les procédures. Finalement, TS5 rapporte avoir procédé pour éviter que le CLSC ne soit tenu responsable en cas d’incident et mettre fin aux pressions exercées par la résidence.

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Analyse structurale du dilemme éthique de TS5

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