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Comment entrer sereinement dans les apprentissages quand on rencontre des difficultés pour se loger, pour se nourrir, pour s’habiller, pour se cultiver ?

J e a n - P a u l D e l a h a y e , Grande pauvreté et réussite scolaire : le choix de la solidarité pour la réussite de tous,

Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, mai 2015

Les différents acteurs de terrains auditionnés dans le cadre du présent rapport ont égale-ment mis en avant l’impact des fragilités, parfois cumulées, des familles sur la scolarité des enfants. Néanmoins, comme le souligne Jean-Paul Delahaye, mettre l’accent sur l’ori-gine sociale et les difficultés rencontrées par

les familles défavorisées ne doit pas conduire à en faire le «  cadre explicatif  » unique de l’échec scolaire des élèves les plus démunis et à exonérer l’école de ses propres respon-sabilités. Il serait en effet abusif de conclure que les enfants issus des classes populaires sont dans l’incapacité de réussir leur

scola-rité compte tenu d’un prétendu «  handicap socio-culturel » et que l’école n’y peut rien96. En effet, face aux inégalités de réussite scolaire induites par l’origine sociale et terri-toriale des élèves, à la ségrégation scolaire et aux ressources inégales, la question qui est

posée à l’école est bien celle de sa capacité à réduire les déterminismes sociaux et «  la reproduction sociale  » qui frappe tous les niveaux d’enseignement, du préscolaire au supérieur97.

A. Des inégalités de réussite entre académies

Dans son référé de 2012, la Cour des comptes établit que « le pourcentage d’élèves n’ayant pas atteint des acquis suffisants lors des évaluations de français en CE1 est deux fois plus élevé dans les académies de Créteil ou de Rouen que dans celles de Rennes ou de Clermont Ferrand et que le taux de réussite au bac dans l’académie de Créteil est inférieur de plus de douze points à celui de l’aca-démie de Nantes »98. Ces écarts de réussite scolaire entre académies s’expliquent par la concentration de populations favorisées ou défavorisées dans certains territoires. En effet, c’est dans les académies de Créteil et de Rouen que le niveau social est le plus faible. Comme le relève l’atlas académique des risques sociaux d’échec scolaire de 2014 dans l’académie de Créteil, le département de Seine Saint Denis se distingue par ses difficultés sociales car « un canton sur deux de ce département relève du type ‘cumul de fragilités économique, familiale, culturelle en milieu urbain’ ». Ce département concentre un grand nombre de chômeurs, de non diplômés, de familles monoparentales et de ménages habitant en logements sociaux.

A l’inverse, les cantons de l’académie de Rennes se singularisent plutôt par des carac-tères économiques et sociaux favorables et aucun ne présente ce cumul de fragilités99. Cette école à deux vitesses, dès le niveau de la primaire, est confirmée par une étude de la Direction de l’évaluation, de la prospective

et de la performance conduite en novembre 2015 auprès d’un très large échantillon d’élèves représentatif de chacune des académies (160 000 élèves de sixième)100. Les niveaux de performance sont contrastés selon les académies et le niveau social moyen de leurs habitants. Ainsi, l’académie de Paris, qui connaît le niveau social moyen le plus élevé de toutes les académies affiche le score le plus élevé en compétence 1 du socle commun101 alors que les DOM ou les académies du Nord, avec un niveau social moyen peu élevé, affichent de plus faibles performances102.

La part des élèves maîtrisant la compétence 1 atteint près de 90 % à Paris alors qu’elle ne dépasse pas 75 % dans les DOM  : Guyane (40,5 %), La Réunion (67,9 %), Guadeloupe (69,1 %). Comme le souligne le groupe

« Outre-mer » du Conseil économique, social et environnemental, dans son rapport sur les inégalités à l’école, « cette situation n’est pas due au fait que les petits ultramarins ne sont pas aussi doués ou aussi travailleurs que les autres, mais à un ensemble de causes qui font que les difficultés et les inégalités rencon-trées à l’école en outre-mer ne peuvent s’expliquer que si elles sont replacées dans un contexte plus global, à la fois écono-mique, social et culturel »103. Il faut souligner combien les enfants ultramarins cumulent les fragilités : ils sont plus nombreux à avoir un parent au chômage (entre 23 % et 27,8 %

contre 9,2 % en moyenne nationale), à vivre dans un foyer monoparental (plus de 40 % contre 18,5 % en moyenne nationale), à vivre dans un logement surpeuplé (plus de 40 % contre 12,5 %, avec 62 % pour la Réunion

et la Guyane). Enfin, c’est en Guyane et à la Réunion que la part d’enfants appartenant à des populations dites « défavorisées » est la plus élevée de France : respectivement 59 % et 50 %104.

B. De la ségrégation résidentielle à la ségrégation scolaire

Outre les différences entre académies, des disparités de réussite s’observent également entre établissements relevant d’une même académie, reflétant la fine ségrégation territoriale et scolaire des élèves. La carte scolaire et la sectorisation mises en place en 1963 dans l’objectif de gérer les flux crois-sants des élèves et de garantir une bonne répartition géographique des établissements et des élèves, ont eu pour conséquence de refléter les divisions spatiales selon l’ori-gine sociale des habitants puisque l’affecta-tion d’un élève dans un collège ou un lycée dépend de son lieu de résidence. Or, si les disparités socio-économiques s’inscrivent depuis longtemps dans l’espace, cette polari-sation sociale de l’espace s’est accentuée ces dernières décennies105.

A la rentrée 2013, sur les près de 5,5 millions d’élèves du secondaire de métropole, plus de 460 000 résident dans un quartier prioritaire et ces élèves se concentrent dans un nombre limité d’établissements106  : un peu plus de 1 000 établissements (785 collèges et 279 lycées) sur près de 11 000 établissements, comprennent plus de 25 % d’élèves résidant en quartiers prioritaires. Dans les collèges publics comprenant plus de 25 % d’élèves de quartiers prioritaires, la part des élèves de 6ème dont les parents appartiennent à une classe défavorisée représente plus de 60 % des effectifs (contre moins de 40 % dans les établissements de moins de 10 % d’élèves de quartiers prioritaires).

Les populations les plus fragiles socialement et économiquement se retrouvent donc concentrées sur les mêmes territoires et dans les mêmes écoles.

Cette ségrégation scolaire est en outre renforcée par les stratégies résidentielles des familles très attachées à la sectorisa-tion scolaire et par les stratégies de contour-nement de la carte scolaire de nombreux parents. Derrière la faiblesse de la mixité sociale affichée par les établissements scolaires se niche le développement d’une école à deux vitesses. Les différents rapports de l’ONZUS montrent en effet que les élèves des quartiers «  politique de la ville  » ont, en moyenne, des résultats scolaires moins favorables que ceux du reste du territoire national et des orientations scolaires diffé-rentes. Une plus grande mixité permettrait d’augmenter la performance des élèves et de pallier les inégalités sociales de réussite scolaire. A ce titre, Marie Duru-Bellat signale à partir des recherches françaises dispo-nibles, que « si l’on prend en compte les acquis scolaires de toute une classe d’âge, ce sont les classes hétérogènes qui s’avèrent les plus ‘productives’, maximisant les progrès des plus faibles sans obérer propor-tionnellement les progrès des plus forts »107. Cette analyse est également partagée par Christian Monseur et Marcel Crahay qui ont exploité les données de l’OCDE sur l’évalua-tion PISA de 2006 relative aux compétences en sciences des élèves : les élèves ont une

performance supérieure à celle que l’on attend d’eux lorsqu’ils fréquentent des écoles favorisées ; lorsque les élèves fréquentent des écoles «  socialement mixtes  », cette situation est « toujours favorable » pour les élèves défavorisés108. L’effet de la

composi-tion sociale n’est pas linéaire mais, comme l’affirme le Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO), « Étudier dans une école très ségréguée pour ce qui est du statut socioéconomique constitue un désavantage pour un élève »109.

S’il n’y avait pas de discriminations, la société serait meilleure. Je pense qu’on est tous les mêmes. Peut-être pas la même couleur ou les mêmes idées, mais

on est tous les mêmes. Tout le monde doit recevoir une bonne éducation.

L’égalité dans l’éducation est importante car ça donne à tout le monde