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CHAPITRE I : LES ETAPES MARQUANTES DU PROCESSUS

3. Entre déclarations de principe et démarches de rupture

La constitution, adoptée à l’issue du referendum organisé en 2001 a certes, contribué à renforcer le cadre institutionnel des collectivités locales et le principe de leur libre administration (article 112). Toutefois, certaines dispositions du Code des Collectivités Locales mettent l’État dans une situation potentielle d’abus de pouvoir. En effet, le président du Conseil régional et le Maire ou le président du Conseil rural peuvent être révoqués, suspendus ou déclarés démissionnaires sous certaines conditions. Le Conseil régional, municipal ou rural, peut être dissout par décret et remplacé par une délégation spéciale

lorsque son fonctionnement se révèle durablement impossible29. Le Ministre chargé des collectivités locales peut déclarer démissionnaire un conseiller qui refuse de remplir ses fonctions. Même si la décentralisation s’est démocratisée ces dernières années et bénéficie d’un contexte plus favorable avec d’importants financements mobilisés par les Bailleurs de fonds, au plan politique elle ne l’a pas été de la manière la plus normale, ni la plus souhaitable. Certaines réflexions font état d’un recul démocratique au Sénégal avec l’avènement de l’alternance qui a révélé certaines dérives de la part de l’Etat. Selon Jacques Habib SY30, dans le contexte post-alternance, la décentralisation évolue en dents de scie en matière de gouvernance publique et s’attache à construire « un Etat au service des ambitions du locataire du Palais présidentiel.» D’abord, la brutalité venue d’en haut, avec la révocation de tous les présidents de région, Maires et présidents de Conseil rural et la mise en place de délégations spéciales, dès 2001, juste quelques mois après l’élection présidentielle de mars 2000. Avec la menace permanente que les Maires " insatisfaisants " soient sanctionnés et démis, le Président de la république avait annoncé la couleur. Il disait aux élus des collectivités locales (encore entre les mains du Parti socialiste pour leur écrasante majorité) « Faites des résultats probants sinon je me charge de vous faire partir, tous élus que vous soyez.» En fait, la démarche était plus subtile. Il ne s’agissait pas de trancher par le glaive mais plutôt de balayer par le souffle politique. La réalité de la motivation se profile ainsi sous les traits peu républicains de la course à l’argent et au pouvoir dans sa forme la moins souhaitable en démocratie : la violence et les entorses à l’esprit des lois. En effet, que ce soit au niveau des Conseils régionaux ou des Conseils municipaux, les batailles sont devenues âpres.Ensuite, les irruptions de l’Etat central ou de ses messagers, dans les espaces politiques municipaux, comme à la Mairie de Kaolack ou de Diourbel31, ne sont pas de nature à pacifier les mœurs politiques dans un processus de décentralisation qui, en soi, demande déjà beaucoup d’ajustements et d’apprentissages. La décentralisation est, avant tout, une affaire de l’Etat considéré dans sa totalité avec ses pouvoirs centraux et ses démembrements que sont les collectivités locales. Mais, lorsqu’un abus de position dominante rejoint un abus de pouvoir local, la décentralisation pourrait perdre son sens.

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Le cas de Diourbel (région du Bassin arachidier) est une illustration avec la dissolution du Conseil Régional dont le Président a fait les frais de son amitié avec l’ancien Premier Ministre Idrissa SECK dont il est devenu le porte-parole. En fait la raison officielle avancée par l’Autorité centrale fait état d’un fonctionnement devenu durablement impossible du Conseil Régional dont les sessions convoquées par le Président, n’arrivaient plus à se tenir dans les conditions requises par la Loi en raison de perturbations résultant de diverses manifestations au sein de l’institution.

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SY H J, (op. cit) 31

Les Municipalités de Kaolack et de Diourbel sont situées dans les régions de même nom et en sont les Chefs- lieux de région administrative

Au plan administratif, dans le cadre de l’élaboration des politiques sectorielles, les ministères techniques, à compétences transférées, ne collaborent pas de manière satisfaisante avec les collectivités locales concernées. C’est pourtant le point de départ d’un réel transfert de compétences même si celles-ci n’ont pas encore la même qualité d’expertise et ont du mal à se positionner comme des interlocuteurs pertinents.

Selon Alain BERGE et Yabsa DIOP32, cette faiblesse justifie la nécessité de mettre en œuvre des programmes de formation susceptibles de prendre en compte les politiques nationales et régionales et de mettre en place des dispositifs d’étude et d’identification des besoins ainsi que des démarches d’appui aux porteurs de projets, à la maîtrise d’ouvrage communale et au montage des dossiers de projets.

Au-delà des relations entre l’Etat central et les collectivités locales, on note aussi des rapports qui peuvent revêtir un caractère conflictuel, d’une part, entre les collectivités locales et les services déconcentrés et, d’autre part, entre les collectivités locales et l’administration territoriale locale.

3.2. Les rapports entre les collectivités locales et les Services déconcentrés de l’État. Les relations entre les services déconcentrés de l’Etat et les Collectivités locales sont définies dans le cadre du décret n° 96-1123 du 27 d écembre 1996. L’État, par mesure de prudence et pour des raisons d’économie et d’efficacité, donne la possibilité aux collectivités locales d’utiliser ses services techniques déconcentrés dans l’exercice des compétences transférées. L’application de ce texte pose problème pour plusieurs raisons : d’abord, parce que les conventions ciblées ne sont pas toujours passées dans les délais requis (avant le 31 mars de chaque année), ensuite, du fait que les Gouverneurs de région utilisent rarement leur pouvoir de substitution pour, au terme échu, prendre d’office un arrêté par lequel ils mettent les services de l’État à la disposition des autorités locales et enfin, parce que les conventions mettent en présence le Gouverneur de la région avec les présidents de Conseil régional, les Maires de commune et les présidents de Communauté rurale alors que ces conventions auraient pu être signées entre chaque ordre de collectivité locale et le niveau de représentation de l‘État correspondant (le Gouverneur et le Président du Conseil Régional, le Préfet de Département et le Maire, le Sous-préfet et le Président du Conseil Rural).

3.3. Les rapports entre les collectivités locales et l’administration territoriale

L’État est représenté au niveau de la région par le Gouverneur, le Préfet de Département dans la commune et le Sous-préfet d’Arrondissement dans la Communauté rurale et les

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Alain BERGE, Yabsa DIOP (2005), Formation en aménagement : les attentes et les besoins des professionnels ; in COLL. J. L., GUIBBERT J.J. (éds.), op. cit, pp. 299-305.

Communes d’Arrondissement. Ces Autorités administratives représentent chaque Ministre dans la Région, la Commune et la Communauté rurale et ont autorité sur les services déconcentrés de l’État dans leur circonscription. Elles assurent la coordination des services de l’État dans la Région et celle des Services Régionaux en rapport avec le Président du Conseil régional, le Maire ou le Président du Conseil rural. Elles signent, au nom de l’État, les Conventions et les Contrats Plans applicables à l’échelon territorial qu’elles dirigent. Dans les rapports entre les collectivités locales et l’administration territoriale, se pose le problème de la frontière entre l’autonomie, l’assistance et la tutelle dès lors que l’allégement des tutelles administratives, financières et techniques est accompagné d’un nouveau dispositif de contrôle exercé par le Gouvernement et le Conseil d’État33. Cette situation engendre parfois des rapports heurtés qui s’expliquent par le fait que le contrôle a posteriori est insuffisant pour libérer les collectivités locales de la tutelle de l’administration territoriale. Le contrôle budgétaire est strict et il subsiste une tutelle particulièrement pesante sur les Exécutifs locaux dont la responsabilité civile et pécuniaire est engagée de même que le contrôle de tutelle de l’élaboration et de l’exécution du budget (la loi prévoit même des cas de tutelle par substitution en cas de carence des autorités locales). Cette situation, dans son ensemble, se traduit généralement par des attitudes de défiance des représentants de l’État vis-à-vis des élus locaux et par des conflits de préséance. A l’inverse, on note ces mêmes comportements des élus à l’égard des représentants de l’État surtout lorsqu’ils cumulent leurs fonctions de Maires ou de Présidents de région avec celles de Ministres ou de hauts responsables de l’administration centrale.

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le Conseil d’Etat est la juridiction compétente pour statuer sur les recours déposés par l’Etat ou par une Collectivité Locale sur des objets relevant de la gestion de la chose publique ou sur des procédures qui semblent entachées d’irrégularité.

En conclusion à ce chapitre on pourrait noter certaines ambiguïtés du processus d’évolution de la gestion municipale. En effet, c’est dans un contexte de crise politique qui a abouti à une forte centralisation et l’avènement du parti unique que l’Etat a engagé les premières réformes de la décentralisation. Le décalage est réel entre le discours d’un Etat affaibli par des mesures drastiques d’ajustement structurel et qui renforce son intervention sur le développement local. Les textes font référence, de façon constante, à la nécessité d’une participation des populations à la gestion des affaires locales mais sans être réellement appliqués de façon effective. L’évolution de la politique de décentralisation au Sénégal a toujours été caractérisée par cette ambivalence. Pourtant l’implication des acteurs, dans les stratégies de développement local, apparaît comme une condition de réussite des politiques de développement et un élément essentiel de gouvernance locale.

CHAPITRE II : DÉCENTRALISATION ET PARTICIPATION DES POPULATIONS À