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CHAPITRE I : LES ETAPES MARQUANTES DU PROCESSUS

1. Le début de la municipalisation

Tableau n° 1 : Rappel chronologique

Années Les réformes Les acquis Les insuffisances 1872

1880 1882 - 1887

• Naissance des quatre Communes (Saint-Louis, Gorée, Rufisque, Dakar

• Communes de plein exercice • Sous tutelle coloniale

1904 Naissance des Communes mixtes

• choix des membres soit par nomination, soit par suffrage restreint, soit par suffrage universel

• Plus de démocratie dans le fonctionnement de l’institution

• Communes dirigées par un Administrateur

• Maire nommé par le pouvoir colonial puis par l’Etat

• Sans participation réelle des populations

1964 Adoption d’un régime municipal à deux statuts : la Commune à statut spécial (Dakar) et la Commune de droit commun (34)

• Plus d’autonomie dans l’administration de la Capitale par un pouvoir élu

• Insuffisance des moyens

• Un Etat plus tourné vers le monde rural

• Absencedes infrastructures structurantes à Dakar

1966 Elargissement du statut spécial aux chefs-lieux de région

• un statut communal existe • Faiblesse des ressources des Communes

1972 Création de communautés rurales en milieu rural

• Election d’un Conseil rural et d’un Président de conseil rural

• La communauté rurale est une personne morale de droit public dotée d’une autonomie financière

• Le sous-préfet est administrateur des crédits et en ordonne les dépenses

• Dans la Commune existence d’une direction bicéphale avec un haut fonctionnaire

Administrateur de la Commune et un Maire, autorité politique sans pouvoir d’administration

1983 un Administrateur Municipal dirige la Commune

• Élargissement des compétences du Maire

• Forte tutelle de l’État

• Maintien du contrôle a priori

• les représentants L’Etat continuent d’administrer et d’ordonner les budgets des Collectivités locales

1990 Suppression des communes à statut spécial qui sont versées dans le droit commun

• Communes dirigées par un Maire élu

• Restructuration de certaines localités en Communes

• Transfert de la gestion des budgets aux Maires et aux Présidents de conseil rural

• Passage à cette réforme peu suffisant pour permettre aux collectivités locales de remplir leurs

• Faiblesse des budgets

• Peu ou pas de ressources humaines qualifiées/ un recours au bénévolat et

risques de gestion informelle du pouvoir local

1996 • Régionalisation avec érection des communes chefs lieux de région en collectivités locales

• Statut unique pour toutes les régions

• Libre administration consacrée par la Constitution

• Meilleure assise donnée à la planification régionale

• Erection de nouvelles localités en communes pour renforcer

• Transfert de compétences aux trois ordres de collectivité locale

• Faiblesse des budgets des

communes et

communautés rurales

• Les régions ne disposent pas de budget tiré d’une fiscalité propre. L’Etat les maintient sous perfusion financière

• Transfert de compétences sans transfert conséquent des ressources pour leur prise en charge

• La notion de responsabilité

partagée des

compétences est floue et donne lieu à des interprétations et des confusions

• Problèmes de préséance entre les représentants de l’Etat et les exécutifs locaux

1999 • Adoption d’une Lettre de Politique de Développement Rural Décentralisée

• Démarrage des projets et programmes d’appui à la décentralisation

• Existence d’un cadre d’intervention

• Adoption des principes de gouvernance locale, de planification participative locale et de l’Appui budgétaire

Absence de mesures d’accompagnement de la part de l’Etat pour renforcer les capacités d’intervention des Collectivités Locales

2001 Suppression des conseils élus et mise en place des délégations spéciales

Recul de la démocratie locale Arrêt des financements des bailleurs de fonds dans le secteur de la décentralisation Confusion de rôles pour les fonctionnaires désignés pour gérer les délégations spéciales

2003 • Mise en œuvre des réformes de la fiscalité locale

Adoption de la Contribution Globale Unique qui synthétise plusieurs impôts et taxes

modalités de répartition peu profitables pour les élus

En observant le processus d’évolution de la municipalisation au Sénégal, on s’aperçoit que l’Etat est resté l’acteur principal et, malgré la crise économique et les politiques d’ajustement, il occupe encore une position centrale dans tous les dispositifs de développement et à tous les échelons. Ce sont surtout les manifestations de ses interventions et leurs implications dans la gestion municipale qui sont mises en évidence. Notre réflexion se fonde sur des éléments d’analyse relatifs à la perpétuation d’une tradition centralisatrice avec une tutelle administrative qui a longtemps existé et qui, en réalité, n’a pas véritablement consolidé l’autonomie de gestion prévue dans les textes. Cette intervention de l’Etat limite les capacités des municipalités à concevoir, par elles-mêmes, une politique de développement cohérente. C’est une logique de dépendance institutionnelle

fortement ancrée dans les relations entre l’Etat et les collectivités locales. Le Code des Collectivités Locales, adopté en 1996, a, certes supprimé le contrôle a priori. En revanche, plusieurs actes qui déterminent le devenir des populations, sont soumis à l’approbation du Représentant de l’Etat (le Gouverneur, le Préfet et le sous-préfet selon les trois ordres de Collectivités locales). On peut citer, par exemple, le cas des plans de développement, l’affectation des terres, les opérations d’aménagement de zones d’habitation, l’accès à l’emprunt, la mobilisation des financements de la coopération décentralisée.

Le second élément de réflexion fait référence à l’intervention de l’Etat à travers les transferts financiers dont les conditions d’utilisation et les capacités d’absorption, par les collectivités bénéficiaires, ne font pas l’objet d’une évaluation.

Le troisième élément porte sur les différentes mesures institutionnelles, les projets d’appui aux collectivités locales ainsi que la création d’agences de développement qui n’ont pas encore permis d’instaurer des relations de partenariat durable avec les collectivités locales. Pour mieux comprendre les péripéties de cette municipalisation, nous insisterons particulièrement sur : le processus d’évolution de la gestion municipale et ses principales caractéristiques ; la participation des populations à la gestion des affaires locales et enfin l’intervention de l’État et de ses partenaires dans la gestion des municipalités.

Les premiers actes de la municipalisation remontent en 1872, date à laquelle Saint-Louis est érigée en Commune, suivie, six ans plus tard, par Gorée en 1878, Rufisque en 1882 et Dakar en 1887. Pour la première fois, dans ces localités, un Maire indigène est choisi et avait pour mission principale d’assurer l’intermédiation entre le Gouverneur des colonies et les populations, de publier les ordres de l’administration, de veiller à leur exécution et d’assurer la police ainsi que la gestion de la voirie. En 1878, le régime municipal et électoral de la Métropole est élargi à Saint-Louis et Gorée et, sept ans plus tard, les habitants des deux Communes obtiennent le droit d’élire un Conseil général (à l’image de la France qui dispose de Conseils généraux dans son paysage institutionnel) et peuvent élire aussi un Conseil municipal. Toutefois, la désignation du Maire reste une prérogative de l’administration coloniale. Ce n’est qu’en 1884 que le Maire sera élu par les conseillers municipaux.

Avec la mise en valeur agricole, au début du XXe siècle, la naissance de l’Afrique Occidentale Française (AOF), le choix de Dakar comme capitale de la Fédération du Mali, l’achèvement des travaux du chemin de fer entre Saint-Louis et Dakar, d’autres escales commerciales et productives se sont développées et revendiquent les mêmes prérogatives que les quatre Communes. Ils n’obtinrent finalement que le statut intermédiaire de Communes mixtes c’est-à-dire qu’elles sont dotées d’un Conseil municipal mais

rigoureusement contrôlé par le Commandant de Cercle21. La gestion des villes, au cours de cette longue période qui s’achève en 1924, a laissé ses marques et pose encore la question des rapports entre le pouvoir central et les pouvoirs politiques locaux de même que la concentration des lieux de décision politiques et économiques22.

Dans ce contexte des années 1920, où se jouent, à la fois, la nature des liens avec le pouvoir central et la répartition des pouvoirs et compétences, les municipalités deviennent, à la fois, partie prenante, enjeux mais également sources de conflits de compétences et de pouvoirs. Une des principales conséquences de cette situation est l’incurie financière qui va fortement caractériser le fonctionnement des institutions municipales marqué par les luttes politiques et un transfert timide de compétences qui restent, malgré tout, concentrées entre les mains des principaux leaders des Communes. Coincés entre leur inféodation aux clans qui dominent le commerce et les manœuvres de l’administration coloniale, les institutions municipales deviennent des sites de patronage et les lieux d’un clientélisme débridé, sous l’étroite surveillance des autorités coloniales.

Les ressources utilisées par les élus dans ce jeu politique, pour mobiliser la clientèle politique, sont : les attributions de parcelles, le recrutement des agents municipaux, les marchés de travaux, les recettes ordinaires notamment les impôts de la patente, les droits de place dans les halles et marchés, les ressources tirées des contributions de la Colonie du Sénégal, des dons et legs. De nos jours, ces mêmes ressources sont souvent orientées vers la satisfaction des intérêts de la clientèle politique au détriment de la prise en charge des services sociaux de base. Malgré l’importance des recettes municipales à cette époque, favorisée par une mise en valeur de la vallée du fleuve Sénégal, dans les années 1920 et un développement du commerce, l’absence d’une véritable politique municipale a empêché des réalisations importantes en matière d’infrastructures, d’offres de services urbains et de gestion efficace des cadres de vie.

De 1960 à 1963, les institutions municipales sont mises à rude épreuve par la contestation de l’opposition et les conflits « crypto personnels » (expression utilisée par l’ancien Président du Sénégal, Mr Léopold Sédar Senghor pour parler des divergences avec ses adversaires). A partir de 1963, l’État amorce une restructuration qui inaugure l’ère d’une forte centralisation avec l’instauration du parti unique. L’autoritarisme qui émerge, caractérise fortement les institutions étatiques et les capture afin d’empêcher le développement d’un

21

Le Commandant de Cercle correspond, présentement, au préfet qui est représentant de l’Etat au niveau du département

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Diouf M. (1992), Les enjeux et les contraintes de la gestion municipale, Programme d’Appui aux Collectivités Locales, Atelier sur la gestion urbaine, Dakar, octobre, 20 pages.

pouvoir autonome. Par le jeu des fusions et des interdictions, la lutte contre les partis d’opposition débouche, en 1966, sur la restriction des libertés d’expression.

Paradoxalement, c’est dans ce contexte politique d’affrontements, de violences mais aussi de marchandage que les autorités adoptent, en 1966, une politique de décentralisation. L’Etat réaménage les dispositions législatives et réglementaires héritées de la colonisation et procède à une réforme de l’administration communale avec l’adoption de la Loi 66-64 du 30 juin 196623.

Pendant cette période caractérisée par de multiples modifications d’ordre institutionnel, les communes ont constitué les creusets internes de la vie politique où beaucoup d’élites se sont formées sans qu’il y ait véritablement leur implication dans des actions de développement à la base. Saint-Louis qui fut, pendant longtemps, capitale de l’Afrique Occidentale Française (AOF) et de la Colonie, a joué un rôle central dans le jeu d’acteurs de la politique municipale. C’est aussi le cas d’autres localités, situées le long de la vallée du fleuve Sénégal, devenues passages obligés dans le cadre de la mise en valeur de ce vaste territoire de plus de 200.000 hectares.

2. Les réformes institutionnelles et la gestion municipale