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Entre convergence et substituabilité des modèles de relation

La littérature sur les relations de clientèle bancaire a généralement considéré le contrat relationnel et le contrat formel comme substituts. La présence de l'un, en particulier le contrat relationnel, dispense de la présence de l'autre. En effet, la confiance réduit les coûts de transaction. Dwyer et Singh (1998) estiment que les arrangements informels supplantent souvent le contrôle formel caractérisant le contrat formel. Gulati (1995) a explicitement estimé que les contrats et la confiance fonctionnent comme substituts : « La confiance élimine les coûts liés aux contrats, diminue le besoin de contrôle et facilite l'adaptation contractuelle. La confiance atténue la peur d'un comportement opportuniste et donc est susceptible de limiter les coûts de transaction associés à l’échange ».

De façon similaire, Uzzi ( 1997) estime que le renforcement de l'échange dans des structures sociales permet d’économiser le temps consacré à la renégociation des contrats.

Le contrôle social informel élimine le contrat formel. Un raisonnement de substitution émerge : si la banque a confiance en son client, il n'y a qu'un besoin minime pour spécifier les actions contractuellement. D'ailleurs, dans la littérature managériale, la notion de confiance est fréquemment présentée comme antinomique de celle de contrat (Ring et Van de Ven, 1992). Il est vrai que tenter d'enfermer l'intégralité du processus relationnel dans un contrat complet et exécuté au pied de la lettre est à la fois inefficace et générateur de méfiance réciproque.

Dans les situations où le hasard est élevé, la combinaison entre le contrat formel et les arrangements informels peut permettre une meilleure performance de la relation bancaire que le contrat relationnel isolé. La présence de termes contractuels clairs, de remèdes et de processus de résolution des conflits ainsi que des normes relationnelles, de flexibilité, de solidarité et de continuité inspire la confiance et la coopération.

Le contrat relationnel dans le modèle économique insiste sur le rôle des échanges répétés dans la création d'une coopération de long terme. Dans ce modèle, la probabilité d'une rentabilité future de l'échange dissuade de la poursuite de gain à court terme qui menace la longévité de la relation de clientèle.

Les contrats formels non seulement permettent la spécification formelle des engagements à long terme, mais ils stipulent clairement les sanctions en cas de comportement opportuniste. La réduction des gains à court terme permet d'améliorer les possibilités de coopération en cas d’échange relationnel. Au contraire, l’absence de clauses contractuelles augmente les incitations à l’opportunisme et baisse donc la probabilité de coopération. La spécification de protections contractuelles incite l’autre partie à adopter un comportement coopératif et complète et pallie ainsi les limites informelles du contrat relationnel. Le contrat formel assure la réussite des premières étapes, assez critiques de la relation.

Le processus de contractualisation peut lui-même encourager la coopération et promouvoir par conséquent une relation de clientèle durable. La création d’un contrat de crédit complexe requiert que la banque et l’emprunteur s’engagent mutuellement dans le processus de coopération, en tenant compte des changements inattendus, des sanctions en cas de conflits. Ainsi, le processus de développement de contrats complexes en réponse aux hasards liés à l’échange affecte positivement la performance des relations futures à travers le développement de relations sociales.

La complémentarité des relations entre le contrat relationnel et le contrat formel peut fonctionner à l’inverse.

Sans tenir compte de la durée de la relation, les dimensions larges de l’échange sont difficiles voire impossibles à spécifier et à cerner contractuellement. Les banquiers sont contraints d’utiliser leurs capacités pour prévoir clairement et contractuellement la résolution future des problèmes potentiels. Il en résulte que, lorsque les événements imprévus apparaîssent, les contractants sont incapables de maintenir la continuité de la relation.

Le contrat formel contribue donc à établir des garde-fous qui encadrent le comportement des parties, mais il ne permet pas à lui seul de garantir qu’elles adopteront toujours des comportements coopératifs. La coopération apparaît donc comme un processus qui n’est que partiellement encadré par le contrat formel.

Le contrat relationnel peut encourager aussi l’affinement des contrats formels. Du moment où une relation étroite est développée, l’apprentissage émanant de la période antérieure est reflété lors de la révision du contrat formel. En conséquence, les échanges relationnels peuvent développer des contrats formels plus complexes, et ce, progressivement.

Si l’on revient sur les comportements bancaires évoqués précédemment, Brule et Blin (1996) affirment qu’il est évident que, pour beaucoup de dirigeants financiers, le banquier n’est pas un simple fournisseur… ils attendent de celui-ci, outre la fourniture de crédits de trésorerie à un niveau suffisant et à un coût acceptable, une prestation de conseil en matière notamment d’ingénierie financière, de financement à l’international et de gestion de risques de taux et de change : c’est un banquier partenaire dont ils affirment avoir besoin. Dans l’enquête du cabinet Brossard (122) apparaîssait le fait que la première qualité du banquier idéal était la fidélité… C’est-à-dire un élément garant de la sécurité de l’entreprise en termes d’approvisionnement en capitaux.

Dans les faits, la recherche des « meilleures conditions » conduit souvent ces mêmes dirigeants à rechercher le banquier moins-disant, ne serait-ce que pour obtenir de leur banquier actuel qu’il s’ajuste sur ces meilleures conditions.

Autrement dit, les entreprises semblent vouloir le meilleur des deux : une fidélité « à l’engagement » mais des conditions « à l’acte ».

Encadré 3 – Exemple de perception de la relation «entreprise» au niveau d’une agence (123).

Lors d’un entretien réalisé auprès d’un directeur d’agence d’une banque française, la recherche continuelle du parfait équilibre entre l’approche relationnelle et les exigences financières est présente. Si l’approche relationnelle est recherchée, notamment parce qu’elle fidélise le client, elle coûte cher… Celle-ci doit donc être optimisée…

Quelques « propos choisis » :

A la question « Comment définissez-vous la relation bancaire ? », ce directeur d’agence a répondu : « Un développement partagé équitablement, c’est-à-dire pour la banque : faire du business, une offre d’opérations, des besoins identifiés et satisfaits – et donc un bénéfice pour l’entreprise ».

(122) – Maque, « Les relations bancaires d’une entreprise : fonctionnement et organisation – une application à la PME », Thèse de Doctorat en Sciences de Gestion, Bordeaux IV, 2007, p. 363.

Suite de l’encadré 3

Les banques cherchent à « industrialiser la relation au quotidien » … pour ainsi accroître la valeur ajoutée et donc la rentabilité, mais « plus il y a d’automatisation plus il faut soigner le client ».

Le client « meilleurtaux.com » ou « meilleurstarifs.com », les banques répondent à sa demande, et c’est tout. « On sait que l’on ne peut pas construire ».

Les grosses affaires demandent beaucoup de contacts et « parfois le chargé d’affaires râle, mais c’est normal puisque ça rapporte ». D’autres clients sont « chronophages ». Il faut aider les chargés d’affaires, leur donner des éléments, tels que le rythme nécessaire de visites par rapport à ce que rapporte l’entreprise. Les clients aussi doivent être informés. « Il faut faire de la mise en relation différenciée ».

« Il faut être vigilant sur le trop de relationnel parce que, quand on va se mettre sur la performance, les chargés d’affaires ne seront pas jugés sur le relationnel… ».

Une étude de Paulin, Ferguson et Payaud (200) met en avant une divergence d’attitude entre des banques ayant une approche transactionnelle de leurs ventes et des clients entreprises ayant une approche relationnelle (124).

Les banques surestiment leur orientation client et les bénéfices de la technologie comme substitut de l’interaction avec leurs clients entreprises.

Les banques ont eu tendance à adopter une approche techno-économique transactionnelle dans la recherche d’une modernisation et rationalisation de leur organisation. L’opinion dominante était que la technologie peut compenser la réduction d’interaction humaine entre un chargé d’affaires et l’entreprise. Il a longtemps été considéré comme un coût d’exploitation plutôt qu’un actif stratégique.

Paulin, Ferguson et Payaud (2000) montrent que les clients valorisent l’aspect relationnel. Ils apprécient la fiabilité dans la relation et ressentent que le chargé d’affaires est une variable clé du succès, qu’il a pour responsabilité d’écouter et d’être conscient des besoins, et ils n’apprécient pas un manque de suivi de leur part. Ils concluent qu’il existe un dilemme pour cette banque encore ancrée dans une stratégie transactionnelle en dépit du fait qu’ils savent que les clients de long terme valorisent et recherchent un échange plus relationnel.

Une autre étude des mêmes auteurs (200) vient compléter ce tableau. Ils trouvent, en étudiant la nature transactionnelle ou relationnelle d’entreprises et de leur banque, que l’efficacité commerciale des relations dépend de la perception des deux parties, la banque et l’entreprise, de la culture de leur propre organisation. En effet, l’efficacité est la plus importante quand les deux parties se perçoivent de culture relationnelle et la plus faible quand elles se perçoivent de culture transactionnelle (125).

Paragraphe II