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Chapitre 3. Les entraînements multisensoriels de la lecture

3.1 Les entraînements classiques auditif et visuel

3.1.1 Les entraînements phonologiques

Nombreuses sont les recherches qui se sont focalisées sur la dimension phonologique impliquée dans l’apprentissage de la lecture et qui ont proposé des entraînements destinés à développer la conscience phonologique des enfants (pour des synthèses voir Bus & Van Ijzendoorn, 1999; Castles & Coltheart, 2004; Ehri, et al., 2001). La majorité des études qui évaluent les effets d’un tel entraînement révèle un effet significatif de l’entraînement phonémique sur le niveau de lecture. Toutefois, l’analyse des différentes méthodologies

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employées révèle que les effets des entraînements phonologiques sont modulés par différents facteurs.

Ehri et ses collègues (2001) mettent en évidence une influence du moment où l’intervention est proposée. En effet, le niveau d'expertise en lecture est lié à l’efficacité des entraînements phonémiques. Ceux-ci bénéficient davantage aux enfants qui présentent plus de risques de devenir mauvais lecteurs ou dyslexiques (notamment lorsqu’ils possèdent des difficultés à manipuler les phonèmes dans les mots) qu’aux enfants normo-lecteurs. Cependant, les enfants déjà lecteurs mais présentant des retards en lecture (i.e., des difficultés d’identification des mots écrits) semblent être les moins avantagés. En d’autres termes, les entraînements seraient plus efficaces pour prévenir l'apparition de troubles de lecture plutôt

que pour y remédier. Dans ce sens, les auteurs notent un effet du niveau de scolarisation des

enfants, l'entraînement serait plus efficace s'il est réalisé avant l'apprentissage formel de la lecture, en grande section de maternelle, plutôt qu'en primaire. Cet effet n’est pas surprenant si l’on considère que ce sont ces enfants qui débutent les entraînements avec les plus faibles compétences phonémiques.

La transparence/opacité de la langue (régularité des liens entre graphèmes et phonèmes) dans laquelle les entraînements sont proposés va également moduler leurs effets. En effet, la transparence des orthographes se répercute sur l’utilisation de la procédure de décodage grapho-phonémique et la facilité de l’apprentissage de la lecture (Ziegler & Goswami, 2005). Ainsi, l’étude de Seymour, Aro et Erskine (2003), conduite dans 13 pays européens, montre que les enfants (5-6 ans) qui apprennent dans une orthographe opaque, telle que celle de l’anglais, ont des scores toujours plus faibles en lecture de pseudo-mots par rapport aux non anglophones apprenant dans des orthographes plus transparentes, comme celle de l’espagnol, de l’italien et même du français. De ce fait, il n’est pas étonnant qu’Ehri et al. (2001) notent un bénéfice plus important des entraînements phonémiques pour les systèmes orthographiques opaques. Dans ces cas, la nécessité d’un entraînement est plus importante puisque, contrairement aux systèmes orthographiques transparents, ils ne favoriseraient pas l’émergence précoce du phonème et l’utilisation des correspondances graphème-phonème. Des recherches inter-langues montrent dans ce sens que le décodage grapho-phonologique est utilisé plus précocement dans une orthographe transparente (Sprenger-Charolles, Siegel, & Bonnet, 1998). Ehri et ses collaborateurs (2001) mettent également en évidence un effet du type de tâches utilisé. Le plus fréquemment, les enfants apprennent à identifier, catégoriser, associer ou segmenter les phonèmes. Parmi les activités

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possibles, sélectionner une ou deux tâches serait préférable pour favoriser l’effet des entraînements. Parmi les diverses combinaisons possibles, deux tâches de manipulation de phonèmes semblent jouer un rôle central dans l’apprentissage de la lecture et de l’orthographe. Proposer des tâches de fusion de phonèmes et de segmentation de mots en phonèmes serait particulièrement efficaces.

Les résultats des différentes études recensées dépendent aussi de la mesure utilisée pour évaluer le niveau de compréhension du principe alphabétique. Par exemple, la différence de performances entre les groupes entraînés et les groupes contrôles est plus faible lorsque les enfants doivent identifier des mots par rapport à des pseudo-mots. Il faut noter qu’une tâche de décodage de pseudo-mots permettrait une évaluation plus directe du niveau de compréhension du principe alphabétique et de son utilisation. En effet, la réussite à cette tâche requiert l’application des correspondances entre les graphèmes et les phonèmes qui témoigne du recours au décodage grapho-phonémique.

Dans leur méta-analyse, Ehri et ses collaborateurs mettent également en évidence une influence du statut de la personne qui conduit l’entraînement. Les effets des entraînements sur la lecture sont plus importants lorsqu’ils sont conduits par les chercheurs plutôt que par les enseignants, différence qui semble cependant disparaître lorsque ces derniers suivent une formation spécifique préalable (Blachman, Ball, Black, & Tangel, 1994).

Enfin, d’autres facteurs relatifs à la mise en place et au déroulement des entraînements

ont été pointés comme ayant une influence sur l’efficacité des entraînements. La taille du

groupe a une importance puisque l'entraînement est plus efficace s'il est réalisé en petits groupes de cinq ou six enfants plutôt qu'en individuel ou en classe entière. C’est l’interaction des enfants entre eux et l’interaction entre les enfants et l'expérimentateur, possible en petits groupes, qui favoriserait l’effet de l’entraînement. Le travail en petit groupe favoriserait le maintien de l'attention et la motivation sociale à réussir. Lorsque les enfants sont attentifs, répartir les séances en plusieurs périodes de 20 à 30 minutes serait également plus efficace que des entraînements plus longs ou plus courts ; la durée totale des interventions devant, par ailleurs, être comprise entre 5h et 18h. Les entraînements destinés à développer les compétences phonémiques n’ont pas besoin d’être longs pour exercer leur plus grand effet.

Par ailleurs, dans leur méta-analyse, Castles et Coltheart (2004) ont inclus les études qui proposent de développer uniquement la conscience phonologique et d’en évaluer les effets sur la lecture. Ils concluent qu’aucune étude n’apporte de preuve univoque d’un lien de cause à effet entre la conscience phonologique et la réussite en lecture. Ils suggèrent que la

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conscience phonologique, particulièrement phonémique, participe à l’apprentissage de la lecture, mais ne permet pas d'améliorer directement les performances en lecture tant qu’elle n’est pas associée à l’apprentissage des lettres. La présence d'un support visuel de la lettre a également été relevée par Ehri et ses collègues (2001) comme étant un élément clé de l’effet des entraînements. Celui-ci permettrait d'expliciter le lien entre les sons et les lettres. C’est la présence du support visuel de la lettre qui marque la différence entre les entraînements strictement phonologiques et les entraînements phonologiques associés à l’apprentissage des lettres et des correspondances lettre-son.

3.1.2 Les entraînements phonologiques associés à l'apprentissage des lettres et