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Avant de porter notre attention sur la trajectoire de participation de Michel en formation professionnelle, arrêtons-nous brièvement sur son parcours antérieur. En effet, nous commençons par relever quelques éléments relatifs à son parcours scolaire et au déroulement de sa transition de l’école obligatoire à la formation professionnelle. Ces éléments nous renseigneront tant sur les circonstances de son entrée en formation professionnelle que sur sa motivation à s’engager dans cette voie.

Le parcours scolaire de Michel (MIC)80 qui précède son entrée en formation professionnelle est linéaire. Il suit toute sa scolarité obligatoire à Genève et passe par les différentes étapes de l’itinéraire scolaire81 (Doray, Picard, Trottier, & Groleau, 2009) sans redoublement ni bifurcation. Il suit ses trois dernières années de scolarité obligatoire dans le filière A du cycle d’orientation82. Contrairement à la majorité des élèves de cette filière qui s’engagent dans une formation gymnasiale à l’entrée dans le secondaire II (Le Roy-Zen Ruffinen & Grin, 2003 ; Rastoldo, Evrard, & Amos, 2007), Michel opte pour la formation

80 Dans les transcriptions des séquences d’interaction, les références aux entretiens et les figures, cet apprenti est désigné par les trois premières lettres de son prénom fictif. Cette remarque est valable pour tous les apprentis auxquels nous faisons référence dans ce travail.

81 Par itinéraire, nous entendons l’itinéraire officiel, prescrit par les systèmes d’éducation, qui englobe

« les étapes d’un cheminement scolaire formel » et « les emboîtements des différents ordres d’enseignement » (Doray et al., 2009, p. 1). En ce sens, l’itinéraire ne correspond pas « nécessairement à la réalité des parcours empruntés par de nombreux élèves » (Doray et al., 2009, p. 1).

82 Michel fréquente le cycle d’orientation (secondaire I) entre 2002 et 2005. A ce moment, le secondaire I est organisé en six filières : les filières principales A, B et C, ainsi que les classes hétérogènes, les classes d’accueil et les classes atelier. La filière A regroupe les élèves qui ont été promus en 6ème primaire et qui ont obtenu une note annuelle d’au moins 4/6 dans les branches principales (français et mathématiques) (Landry, 2006). Les filières A, B et C ont remplacé les filières LS (latine scientifique) et GP (générale et pratique) de l’ancien règlement.

professionnelle duale83. Cette atypie est renforcée par les propos de Michel (Notes de terrain, 16 octobre 2008). D’une part, il dit n’avoir jamais aimé le latin, qui est la particularité de la filière suivie, et avoir pris cette orientation pour « faire plaisir » à sa mère. D’autre part, il dit ne s’être jamais identifié à ses camarades. Cette tendance à se différencier des élèves de la filière A est confortée par les propos des gens qui l’entourent, rapportés par Michel. En effet, certains employés de l’entreprise dans laquelle il fait son apprentissage et certains de ses amis ne trouvent chez lui aucune similarité avec le profil des élèves (masculins) de la filière

« latine »84 qu’ils qualifient d’« efféminés » (Notes de terrain, 16 octobre 2008). Inversement, Denis85, un employé de l’atelier de mécanique automobile dans lequel Michel fait son apprentissage, dit de lui qu’il n’a rien à faire en formation professionnelle et devrait faire des études gymnasiales (Notes de terrain, 16 octobre 2008)86. Michel fait donc partie de la petite minorité de jeunes qui s’engagent en formation professionnelle duale à la suite de la filière A du cycle d’orientation (moins de 10%) (Le Roy-Zen Ruffinen & Grin, 2003). De plus, Michel connaît une transition directe de la scolarité obligatoire à la formation professionnelle duale, ce qui tend à devenir marginal (Keller, Hupka-Brunner, & Meyer, 2010 ; Le Roy-Zen Ruffinen, 2007).

Michel opte pour l’apprentissage de mécanicien d’automobiles à la suite d’un stage effectué dans un garage. Ce stage lui a « énormément » plu (MIC-01-00’22). En effet, durant la troisième année du cycle d’orientation, Michel, tout comme ses camarades, a eu la

83 En effet, les élèves qui fréquentent la filière A optent plutôt pour la filière gymnasiale, alors que ceux qui fréquentent les filières B et C s’orientent en majorité vers la formation professionnelle et de culture générale. Ceci n’est pas sans rappeler les différences d’orientation entre les filières LS et GP de l’ancien règlement (Le Roy-Zen Ruffinen & Grin, 2003).

84 Michel désigne la filière A par l’appellation « latine » en se référant au règlement antérieur à celui en vigueur au moment où il fréquente le cycle d’orientation, ce qui met en évidence la façon dont les filières A, B et C continuent à faire écho aux filières LS et GP, respectivement.

85 Dans les transcriptions des séquences d’interaction, les références aux entretiens et les figures, les employés de l’entreprise dans laquelle Michel fait son apprentissage sont désignés par les trois premières lettres de leur prénom fictif. Cette remarque est valable pour tous les employés des entreprises auxquels nous faisons référence dans ce travail.

86 Cette remarque dénote la force de la sélection opérée par l’organisation du cycle d’orientation en filières, et relève les représentations différenciées des jeunes selon la filière suivie. Elle met aussi en évidence la vision répandue de la formation professionnelle comme concernant les personnes ayant peu de facilité à l’école.

possibilité – ou l’obligation, selon ses propos – de faire un stage :

« quand on était au cycle/ on était obligé de faire un stage/ […] et pis moi j'ai fait un stage- comme je connaissais quelqu'un là/ ((dans l’atelier de mécanique automobile dans lequel Michel fait son apprentissage)) je connaissais Pierre ((un employé de l’atelier)) qui travaillait là/ il m'a dit oh ben viens viens faire un stage de mécanicien/ j'ai dit ouais/ pourquoi pas/ je suis venu et pis euh ça m'a bien bien- ça m'a beaucoup plu en fait\ ça m'a énormément plu\ » (MIC-01-00’22)87.

A la suite de ce stage, Michel décide donc de s’engager dans l’apprentissage de mécanicien. C’est premièrement l’atelier de mécanique automobile dans lequel il fait son stage qui lui propose une place d’apprentissage :

« et pis après eux ((les responsables de l’atelier de mécanique automobile)) ils m'ont proposé eux ils m'ont dit ah tu serais intéressé par d- par faire un apprentissage/ » (MIC-01-00’59).

Il réfléchit ensuite à cette proposition, en parle à sa mère et décide d’accepter :

« pis après j'ai réfléchi j'en ai parlé à ma mère et tout/ et après on a décidé de s'engager dans cette direction » (MIC-01-01’03).

Michel attribue la prise de décision à sa mère88 et à lui-même (« on a décidé »). En effet, parler de la proposition de l’atelier de mécanique automobile à sa mère s’avère être une étape importante de sa décision en raison des projets différents que sa mère a pour lui : « à la base elle aurait bien voulu que j’aille au collège » (MIC-01-01’22), c’est-à-dire que Michel s’engage dans la filière d’enseignement général du secondaire II et poursuive ses études dans le degré tertiaire. A la suite de cette décision collective (l’apprenti, sa mère et l’atelier de mécanique automobile), Michel signe un contrat d’apprentissage, au cours de sa dernière année de scolarité obligatoire, avec l’atelier de mécanique automobile dans lequel il a fait son stage et l’entreprise publique à laquelle l’atelier est rattaché. Il s’agit en effet de l’atelier de mécanique automobile de l’entreprise A.

Des éléments relevés ci-dessus, nous retenons que le parcours de Michel est représentatif d’une minorité de jeunes qui s’engagent dans la formation professionnelle initiale : il s’engage dans la voie duale, sans connaître de période de transition89 et après avoir fréquenté la filière A du cycle d’orientation. Nous retenons aussi que Michel s’engage de

87 Voir conventions de transcription (partie III, § 3.3.2).

88 Les parents de Michel sont séparés, il a très peu de contacts avec son père et vit avec sa mère.

89 Par période de transition, nous entendons une période au cours de laquelle le jeune passe par une structure transitoire ou est sans activité de formation, à la suite de l’école obligatoire (partie II,

§ 1.2.1).

façon volontaire dans cette filière après l’expérience positive d’un stage, et ce même si son orientation a dû faire l’objet de négociations avec sa mère.

Après avoir exposé ces premiers éléments, qui nous renseignent sur l’entrée de Michel en formation professionnelle, nous proposons de suivre cet apprenti à différents moments de son parcours de formation. Nous le suivrons plus particulièrement dans l’entreprise avec laquelle il a signé un contrat d’apprentissage, de son expérience dans le centre de formation de cette entreprise à ses premiers pas dans l’atelier de mécanique automobile, jusqu'à ses derniers mois de formation en entreprise. Si Michel est entré dans le système dual de la formation professionnelle de façon volontaire et atypique, comment participe-t-il aux communautés de pratique dans lesquelles il s’engage ? Comment s’engage-t-il dans les activités de formation et de travail qui lui sont proposées ainsi que dans les interactions avec les membres des différentes communautés (moniteur, formateur en entreprise, mécaniciens, apprentis) ? Comment cet engagement évolue-t-il au fil de sa trajectoire ? Réciproquement, comment est-il accompagné au fil de sa trajectoire? Comment est-il perçu et reconnu par les membres des communautés dans lesquelles il évolue ? Comment cette reconnaissance évolue-t-elle ? C’est à ces questions que nous répondrons au fil de notre analyse. Pour ce faire, nous nous intéresserons à trois étapes du parcours de formation de Michel : la participation de Michel à l’atelier de mécanique générale dans le centre de formation de l’entreprise (§ 2), ses premiers pas dans l’atelier de mécanique automobile (§ 3) et sa dernière année de formation dans ce même atelier (§ 5). Nous nous arrêterons aussi, brièvement, sur les expériences intermédiaires de Michel (§ 4). Pour chacune de ces étapes, nous commencerons par analyser une trajectoire située de participation qui documente la participation de Michel à une activité de travail et/ou de formation. Sur la base de séquences audio-vidéo, nous analyserons finement les interactions dans lesquelles Michel s’engage avec les personnes qui l’encadrent ou avec qui il travaille (moniteur, formateur en entreprise, collègues, apprentis). Nous chercherons ensuite à étendre nos premières analyses en les rapportant à l’ensemble des données qui concernent l’apprenti et l’étape en question. A ce dessein, nous prendrons en compte les notes de terrain, qui retracent les différentes visites du chercheur90, et les tableaux synoptiques, qui rendent compte des différentes situations filmées et dans lesquelles Michel est engagé. Nous nous référerons aussi aux entretiens menés avec Michel et avec deux

90 Ce travail de terrain a été mené par Laurent Filliettaz, pour les données de Michel durant sa première année de formation, et par nous-même, pour les données de Michel durant sa quatrième année, dans le cadre du projet de recherche collectif présenté auparavant (parties II et III).

personnes qui l’encadrent. La combinaison de ces deux temps d’analyse nous permettra d’avoir une vision détaillée de l’expérience de Michel durant chacune des étapes qui nous intéresse ainsi que de sa trajectoire de participation telle qu’elle se déploie sur le temps long du cursus d’apprentissage.