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COMMENT ENSEIGNER ET ADOPTER UNE ATTITUDE FAITE DE RIGUEUR ET DE PRAGMATISME DANS LES SCIENCES DE L’ENVIRONNEMENT ?

Sur le bon et le mauvais usage des mathématiques et statistiques

COMMENT ENSEIGNER ET ADOPTER UNE ATTITUDE FAITE DE RIGUEUR ET DE PRAGMATISME DANS LES SCIENCES DE L’ENVIRONNEMENT ?

Nous avons besoin de rigueur – dans la définition de nos objectifs, dans nos métho-des d’acquisition métho-des données et leurs analyses, par exemple – mais aussi de pragma-tisme : les critères de sélection de modèles ne sont qu’un outil approximatif, nous devons restreindre notre choix de modèles possibles sans essayer de prendre en compte toutes les variantes possibles, tout plan d’échantillonnage ou d’expérience doit intégrer une certaine robustesse face aux changements météorologiques, insti-tutionnels ou autres. La pratique traditionnelle des tests statistiques paraissait rigou-reuse, parce qu’elle prétendait séparer systématiquement le grain de l’ivraie.

Malheureusement, elle ne peut pas s’adapter aux exigences complexes des problè-mes posés dans les sciences de l’environnement. D’autres approches existent, et peuvent sans difficultés majeures être mises en œuvre dès aujourd’hui8.

Cette double exigence doit en plus intégrer une approche pluri-disciplinaire, c’est-à-dire que ce pragmatisme et cette rigueur doivent s’exercer au sein de chaque discipline, mais aussi vis-à-vis des autres disciplines impliquées. Les sciences de l’en-vironnement, dans la mesure où elles font appel à des outils très divers, des hypo-thèses portant sur les mécanismes écologiques aux modèles statistiques et mathématiques, ont besoin de scientifiques ayant une approche qui permet de sim-plifier, afin de pouvoir communiquer et aller à l’essentiel, mais rigoureuse, dans le

8. Ces dernières années ont vu le développement très rapide de méthodes numériques permettant le calcul des degrés de crédibilitéa posteriori,sans avoir recours à des calculs analytiques. Ces méthodes, comme celles utilisant les simulations MCMC (Markov chain Monte Carlo), sont de plus en plus fréquemment utilisées, y compris en écolo-gie (Linket al.,2002 ; O’Haraet al.,2002).

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L’INTERDISCIPLINARITÉ DANS LES SCIENCES DE LA VIE

sens où nous devons savoir en quoi ces compromis pourraient… compromettre nos conclusions ou décisions. Mon expérience d’écologue de terrain et de biométricien est un aller-retour constant entre un souhait théorique d’utiliser des approches sta-tistiques permettant des inférences rigoureuses, comme la randomisation des plans d’expérience, et la nécessité pratique qui conduit le plus souvent à réaliser des étu-des observationnelles (il est difficile de randomiser l’effet du climat sur une popula-tion de rennes !). Mais c’est bien la compréhension du rôle joué par la randomisation dans les plans d’expérience qui aide à construire des plans d’observa-tion permettant des inférences plus robustes.

Comment enseigner une telle pratique ? Il est tellement plus facile en effet de se restreindre à un cadre mathématique strict, par exemple en statistiques, et d’oublier que l’intérêt d’une méthode est d’abord en terme de ce qu’elle apporte aux discipli-nes où on l’emploie. Comment enseigner, pour reprendre GEP Box, que les modè-les sont tous faux, mais que certains sont utimodè-les (Yoccoz, 1999), sans aboutir à un rejet pur et simple de l’emploi des modèles9? Il est assez révélateur de constater qu’il existe un grand nombre d’ouvrages d’enseignement de très bonne qualité dans cha-cune des disciplines, mathématiques, statistiques et environnement, mais qu’il n’en existe pas à ma connaissance qui expose de manière convaincante comment prati-quer cet aller-retour entre les disciplines (mais voir Legay, 1997). Ce dont nous avons besoin est d’un certain nombre d’exemples « grandeur nature », qui ne soient pas des simples exemples d’applications permettant de vérifier si on sait faire tour-ner un programme, et qui montrent l’apport d’une telle approche pluri-discipli-naire. Aalen (2000) faisait récemment remarquer que de tels exemples manquaient en statistiques médicales – il nous reste à prouver que de tels exemples existent dans le domaine des sciences de l’environnement. D’une façon pratique, cette perspec-tive pourra être atteinte progressivement, mais demande dès maintenant une prise en compte de ces aspects par les différents acteurs.

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9. On peut rappeler ici le rejet par une majorité de politiciens américains de l’utilisation de modèles statistiques développés pour corriger le biais du recensement décennal. Il existe des raisons politiques – le biais affecte surtout des circonscriptions démocrates – mais il y a plus fondamentalement une incompréhension majeure du rôle joué par les modèles statistiques.

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Chapitre 11• Sur le bon et le mauvais usage des mathématiques et statistiques dans les sciences de l’environnement

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Chapitre 12

Changements paysagers et transmission

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