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DES RENOUVELLEMENTS SCIENTIFIQUES NÉCESSAIRES

La conservation et la gestion de la biodiversité : un défi pour l’interdisciplinarité*

DES RENOUVELLEMENTS SCIENTIFIQUES NÉCESSAIRES

Altération et destruction des milieux, surexploitation de certaines espèces, expan-sion d’espèces introduites, les acteurs des sciences de la conservation sont confrontés à la nécessité d’apprécier des dynamiques, d’anticiper des évolutions, de corriger des trajectoires et de convaincre de la validité de leurs analyses et propositions d’autres acteurs et utilisateurs de l’espace écologique, qu’il s’agisse des villes ou des campa-gnes, des terres ou des mers, des sols ou des eaux.

Parce que nous sommes engagés là dans des débats de société, il est impératif de pouvoir s’appuyer sur des dispositifs d’analyse rigoureux. Et, pour cela, le dévelop-pement des recherches et la mise en place de dispositifs d’inventaires et de suivis à long terme s’imposent comme une double nécessité.

Quelques atouts de départ

Au cours des deux dernières décennies la biologie de la conservation a produit un corps important de théories visant à prédire et compenser les impacts des activités humaines sur les populations animales et végétales, les espèces et les écosystèmes (Possinghamet al., 2001).

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L’INTERDISCIPLINARITÉ DANS LES SCIENCES DE LA VIE

En fait, la biologie de la conservation moderne repose largement sur les apports théoriques et méthodologiques de l’écologie et de la biologie des populations, qui se sont accumulés tout au long du vingtième siècle et spécialement durant sa seconde moitié.

Je rappellerai seulement deux éléments essentiels de cette culture écologique, qui permet une approche efficace et pertinente des problèmes liés à la conservation de la biodiversité : le concept d’écosystèmes et la théorie de la biogéographie insulaire

À l’entrée du vingtième siècle, un des obstacles épistémologiques majeurs ren-contré par les naturalistes fut l’impressionnante et fascinante multiplicité des espè-ces sauvages, qui présentaient une considérable diversité d’histoires de vie, de formes et de tailles corporelles. Comment se sortir d’une telle vision atomisée de la nature ? Comment rendre compte de tout cela à travers un cadrage scientifique qui le rende intelligible, généralisable ?

Le concept de système écologique a fourni, dans les décennies d’après-guerre, cette approche intégrative et fonctionnelle si attendue par l’écologie en pleine crois-sance puis, dans une seconde phase, à partir des années quatre-vingt, par la biologie de la conservation.

Il est évident que les gestionnaires et autres praticiens de la conservation de la biodiversité ont besoin d’informations sur le fonctionnement des systèmes écolo-giques, sur les interactions entre espèces qui déterminent leurs propriétés fonction-nelles, ainsi que sur les échelles spatiales et temporelles auxquelles elles opèrent. Ils ont besoin de savoir, par exemple, quel type et quelle proportion de perturbations les communautés écologiques qui les intéressent peuvent ou doivent absorber ; quelles peuvent être les conséquences sur ces dernières de la fragmentation des éco-systèmes ; comment et pourquoi, dans quelle mesure, telle ou telle espèce introduite peut altérer l’ensemble de l’écosystème (Soulé et Orians, 2001).

Dans ce domaine, le développement de l’écologie des peuplements (Barbault, 1992 ; Pimm, 1991), de l’écologie des paysages, comme celui de ce que l’on appelle la « macroécologie » (Brown, 1995), devraient être décisifs. De fait, l’un des change-ments important qui s’est produit au sein de la biologie de la conservation au cours des deux dernières décennies a été la prise de conscience croissante de la complexité des interactions qui constituent la trame fonctionnelle de la nature et des échelles et contextes spatiaux et temporels variés auxquelles elles opèrent. Aujourd’hui il y a une attention croissante portée aux rétro-actions complexes qui se produisent à tous les niveaux d’organisation des systèmes biologiques, entre des régions relativement éloignées de la terre, entre des espaces cultivés et des terres « sauvages » ainsi qu’en-tre les êqu’en-tres humains et les auqu’en-tres espèces (Soulé et Orians, 2001).

Où, sur l’étendue géographique de l’espace à gérer, l’effort de protection doit-il s’appliquer ? Où et quels milieux faut-il restaurer ? Quelle amplitude faut-il donner aux aires protégées ?

Voilà quelques-unes des questions que se posent les gestionnaires de la nature.

Il existe toute une gamme de théories qui abordent ces questions ou permettent de le faire, à commencer par la théorie de la biogéographie insulaire de MacArthur et Wilson (1967) et jusqu’à, plus récemment, la théorie des métapopulations et son

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appendice, la théorie des sources et des puits. Elles ont donné naissance a toute une série de règles utiles, telles que : de grandes réserves sont préférables à des petites ; des réserves connectées entre elles sont plus intéressantes que des réserves isolées ; concentrer les efforts de protection sur les populations sources et ignorer les popula-tions puits,etc.

Toutes les règles de ce type ont été utiles en fournissant des principes de conser-vation de portée générale. Cependant, certaines d’entre elles restent discutées et leur portée pratique est relativement réduite ou insuffisante pour résoudre la plupart des problèmes spécifiques de conservation ou de gestion.

Se confronter aux contraintes de la gestion

Pour un gestionnaire de milieux, le type de question qui se pose est : « Quelle frac-tion de mon effort de conservafrac-tion dois-je consacrer à la revégétalisafrac-tion, à la régu-lation des prédateurs, au renforcement de popurégu-lations fragilisées, à la lutte contre les espèces invasives, etc. ? »

Aussi, pour réussir dans leur mission, écologues et biologistes de la conservation doivent faire plus que produire des théories et des principes scientifiques intégra-teurs. En particulier, ils doivent quitter le terrain des seules sciences biologiques pour inclure davantage d’économie, davantage de sciences de la gestion, davantage de théorie de la décision (Possinghamet al., 2001) – même s’il est clair que l’écolo-gie est centrale, en tant que science d’intégration et manière d’observer et de penser un monde complexe qu’il nous appartient de gérer.

Un monde dans lequel nous sommes dépendant des écosystèmes, à travers les ressources naturelles et les services écologiques qu’ils fournissent et où nous sommes devenus le principal moteur des changements de biodiversité (figure 2).

Figure 2. Principaux changements écologiques induits par les activités humaines (d’après Vitousek et al. 1997).

Population humaine

Industrie

Augmentation du CO2

Agriculture

Cycle biogéochimique de l'azote

Changements d'usage des sols

Commerce

Propagation d'espèces exotiques

Changements climatiques

Altération de la biodiversité

Dégradation des milieux

Invasions biologiques CO2

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L’INTERDISCIPLINARITÉ DANS LES SCIENCES DE LA VIE

Cette figure, adaptée de Vitouseket al.(1997), souligne indirectement comment les activités humaines sont en train de changer le monde biophysique. En particu-lier, elle énonce les principales menaces qui pèsent sur la biodiversité :

– la destruction et la fragmentation des habitats, aussi bien que les pollutions, qui résultent directement et indirectement de l’utilisation des terres ;

– l’introduction d’espèces exotiques (dont le succès est probablement facilité par le point ci-dessus) ;

– les effets des changements climatiques.

Reste à ajouter la surexploitation et les cascades d’extinctions qui résultent de tous ces changements pour retrouver les quatre « démons » identifiés il y a déjà deux décennies par Jared Diamond et devenus cinq avec la prise en compte des change-ments climatiques.

Ces changements surviennent aujourd’hui à une si large échelle qu’ils pourraient affecter le fonctionnement de nombreux écosystèmes, de nombreuses espèces, ainsi que la qualité de vie de nombreuses sociétés humaines, avec un coût croissant un peu partout dans le monde.

Mais ce n’est pas toute l’histoire ! Si les changements de biodiversité affectent le bien-être humain, et s’il y a rétroaction, les hommes vont réagir. Aussi devons-nous considérer ces mécanismes de rétroaction – ce qui n’est pas dans le champ et le domaine de compétence de la seule écologie.

Je donnerai deux exemples pour illustrer ce point.

Beaucoup des actuelles directives et conventions internationales, instruments régulateurs locaux et nationaux n’ont pas entraîné une gestion durable de la biodi-versité, généralement parce qu’ils ne reconnaissent pas et ne traitent pas des motiva-tions sous-jacentes des divers acteurs.

Pour aller plus loin dans la gestion de la biodiversité nous devons évaluer les mesures de conservation existantes pour voir comment elles affectent les incitations des hommes à conserver la biodiversité. Par exemple, les aires protégées favorisent-elles ou empêchent-favorisent-elles la conservation de la nature ? Cela dépend largement du contexte humain : comment ces mesures de conservation ont été négociées et appli-quées. Ainsi, exclure les populations de l’accès à la nature accroît souvent les mena-ces plutôt qu’il ne les diminue !

Une importante étape dans l’application des sciences écologiques est la mise en œuvre de plans de restauration pour des espèces menacées ou en danger d’extinc-tion. Puisque, pour être efficaces, les programmes de restauration doivent compor-ter des mesures de restauration des habitats et de réduction des facteurs de menace (construction de routes, développement urbain, agriculture, détournement des eaux, pollution), les gestionnaires sont confrontés à des questions sociétales.

Ainsi, considérer sérieusement l’ensemble du contexte écologique n’est pas suffi-sant : nous devons aussi nous intéresser au contexte culturel, économique et social.

Dans le même esprit, il n’est pas suffisant d’étudier ce qui survient dans les aires protégées : le rôle de la matrice des terres habitées et exploitées qui les environnent

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est tout aussi important. C’est donc une large ouverture et un sérieux approfondis-sement qui est demandé à l’écologie académique pour faire face à de tels défis.

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