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UN BILAN EN DEMI-TEINTE

Réticences disciplinaires en biologie : l’exemple de la théorie chimio-osmotique*

UN BILAN EN DEMI-TEINTE

L’intrusion de la physico-chimie moderne dans le domaine biologique est un succès avéré. La théorie chimio-osmotique a obligé les biologistes à développer la réflexion systémique à un niveau d’organisation du vivant où ils n’étaient pas préparés à la conduire. La pertinence des résultats qui ont nourri la controverse, et l’accumula-tion des données issues des nombreuses validal’accumula-tions expérimentales qui ont suivi ont ouvert des champs de recherche originaux. Ceux-ci ont été explorés activement par les biologistes depuis. Ces recherches ont fait et font encore progresser la connais-sance des mécanismes de transports transmembranaires dans la cellule (Purves et al., 1994a et 1994b), comme celle des échanges de signaux moléculaires entre cellules et entre individus (Purves et al., 1994c)… L’énergétique du vivant (respiration, photosynthèse) est une science constituée et reconnue (Vignais, 2001 ; Weil, 2001).

La découverte des canaux ioniques (généralisations des canaux à protons de la théo-rie initiale) et de leur diversité est une clé de l’essor de la neurobiologie et de théra-peutiques appliquées à des pathologies nerveuses. Le développement des recherches sur le cerveau qui en découlent actuellement, ouvre des perspectives en médecine, en psychiatrie (Ascher, 2000 ; Guyotat, 2000) et en psychologie (Parot, 2000)…

Pourtant, plus de quarante ans après la publication originale de Mitchell (1961) et en dépit du succès avéré, les suspicions et les réflexes de protection vis-à-vis de l’interférence d’une pensée d’origine disciplinaire différente dans la démarche des

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L’INTERDISCIPLINARITÉ DANS LES SCIENCES DE LA VIE

biologistes restent forts. D’une part, en qualifiant de manière assez réductrice le champ scientifique ouvert par la théorie chimio-osmotique de bio-énergétique, les biologistes maintiennent ce domaine en position seconde dans les enseignements universitaires et dans les agendas des institutions de recherche. D’autre part, la neurobiologie a profité de sa spécificité d’objet – le cerveau – pour affirmer son indépendance, et la contribution fondamentale des chimistes dans ce domaine n’est qu’une parmi d’autres. Enfin, la bio-énergétique n’a pas bénéficié, comme la radio-biologie et l’imagerie, de l’effet d’entraînement et de nécessité sociale qu’ont consti-tué pour ces deux secteurs leurs applications médicales, la création de services hospitaliers et de filières spécialisées de l’industrie.

Aujourd’hui, il apparaît que cette intervention de la chimie dans la démarche de la biologie a d’abord eu un impact considérable sur l’avancée des connaissances. En second point et à cause de la menace sur leur pouvoir et leur discipline, les biologis-tes ont réagi en encadrant strictement cet apport. Ils ont veillé à conserver l’identité

« biologique » de la neurobiologie, aidés en cela par l’absence de relation étroite avec les besoins immédiats de la société. Enfin et à long terme, le progrès conceptuel issu de la rupture épistémologique de 1961 entre peu à peu dans la formation. Une pra-tique de la réflexion systémique fait ainsi progressivement sa place. Si l’évidence de sa pertinence, quand sont considérés les problèmes de la biosphère et des écosystè-mes, ne fait plus de doute, on en trouve maintenant les marques, et de plus en plus souvent, les marques au niveau moléculaire, comme par exemple dans l’étude des processus épigénétiques ou du transfert d’informations.

Finalement, au-delà de relations propres à la biologie et à la chimie, l’exemple de la théorie chimio-osmotique révèle deux aspects plus généraux du développement de l’interdisciplinarité. Le premier, le plus évident, est le défaut d’entretien d’une culture scientifique générale pour les spécialistes d’une discipline. Cela constitue un frein et suggère que la réflexion sur la mission de l’enseignement, la formation et l’a-cadémisme est loin d’être achevée… Le second aspect, moins directement percepti-ble mais tout aussi important, concerne les conditions d’émergence et de développement d’une démarche interdisciplinaire. Quelques questions permettent d’en prendre la mesure : qui est demandeur d’interdisciplinarité ? Qui en prend l’i-nitiative ? Qui conduit la démarche ? Comment cette conduite est-elle appréciée et renouvelée ? Comment le produit de l’opération interdisciplinaire trouve-t-il une place dans le corps des connaissances et dans la construction sociale ? Sur ces inter-rogations et pour continuer à cheminer avec les biologistes, d’autres « expériences de rencontre » (sciences sociales/biologie par exemple) pourraient être utiles à exa-miner et à comparer.

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Chapitre 2• Réticences disciplinaires en biologie : l’exemple de la théorie chimio-osmotique

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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GUYOTATJ., 2000, Les maladies mentales et les dépressions,inMICHAUDY. (dir.)Qu’est-ce que l’hu-main ?Université de tous les avoirs, Paris, Odile Jacob, 2, p. 399-409.

MITCHELLP. D., 1961, Coupling of phosphorylation to electron and hydrogen transfer by a chemio-osmotic type mechanism,Nature, 191, p. 144-148.

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PURVESW. K., ORIANSG. H., HELLERH. C. ETLONDONJ., 1994c, Neurones et systèmes nerveux,in Le Monde du Vivant,Sciences, Paris, Flammarion, p. 815-869.

SCHMIDA. F., 2004a, Modélisation et interdisciplinarité,inJ.-M. LEGAY ETA.-F. SCHMID,Philosophie de l’interdisciplinarité, Paris, Éditions Petra, p. 141-146.

SCHMIDA. F., 2004b, Sur le principe de complexité,inJ.-M. LEGAY ETA.-F. SCHMID,Philosophie de l’interdisciplinarité, Paris, Éditions Petra, p. 223-225.

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WEILJ. H., 2001, Bio-énergétique cellulaire et membranaire, dans Biochimie Générale, 9eédition, Paris, Dunod, p. 146-182.

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Chapitre 3

De l’hydrobiologie

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