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CONSERVER ET GÉRER LA BIODIVERSITÉ : OBSTACLES ET ENJEUX

La conservation et la gestion de la biodiversité : un défi pour l’interdisciplinarité*

CONSERVER ET GÉRER LA BIODIVERSITÉ : OBSTACLES ET ENJEUX

En matière de protection de la nature ou de gestion de ses ressources les idées ont beaucoup évolué depuis la création des premiers Parcs nationaux à la fin du XIXe siècle.

BIODIVERSITÉ

Diversité écologique

Diversité des espèces

Diversité écologique

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Chapitre 13 •La conservation et la gestion de la biodiversité, un défi pour l’interdisciplinarité

Catherine Larrère (1997), qui s’est penchée sur les philosophies de l’environne-ment, en donne une excellente synthèse à partir de l’histoire des idées utilitaristes et conservationnistes aux États-Unis.

En complément du regard et de la lecture du philosophe, on peut s’attacher un instant à la présentation que donne Berthie J. Weddell (2002) de la biologie de la conservation dans son récent manuelConserving Living Natural Resources. Les titres qu’elle adopte pour définir la tonalité des trois parties de l’ouvrages sont explicites : 1. « Gérer pour maximiser la production d’espèces particulières – une approche uti-litaire de la conservation » ; 2. « Protéger et restaurer les populations et les milieux – une approche préservationniste de la conservation » ; 3. « Gérer pour maintenir processus et structures – une approche ‘écosystème-durable’ de la conservation ».

Avec ces trois approches, Berthie J. Weddell résume bien les lignes de force qui ont marqué l’histoire des idées dans le domaine – et qui conservent côte à côte leur pleine actualité.

Le point essentiel, qui marque l’émergence de la biologie de la conservation moderne dans la décennie quatre-vingt, réside dans une double rupture épistémolo-gique que souligne clairement Michaël Soulé (2001) en proclamant que la biologie de la conservation serait une réponse de la communauté scientifique à la sixième crise d’extinction : d’une part, la toile de fond théorique et méthodologique de la biologie de la conservation est celle apportée par l’écologie de la seconde moitié du XXe siècle ; d’autre part, la biologie de la conservation est une science d’action, vouée à la préservation de la biodiversité, à la sauvegarde de son potentiel évolutif et à l’anticipation des catastrophes qui la menacent.

Cette double révolution conceptuelle entraîne de nouvelles prises de conscience, qui débouchent sur l’identification de quatre nécessités complémentaires :

– passer d’approches trop strictement populationnelles à des approches plus large-ment écologiques, écosystémiques et macro-écologiques – de l’ordre de l’écologie des paysages ;

– se positionner dans le cadre d’une planète fortement anthropisée, directement ou indirectement ;

– s’inscrire, au niveau de la réflexion et de l’action, dans la perspective d’une gestion durable ;

– développer les échanges et partenariats entre chercheurs, gestionnaires et autres utilisateurs de l’espace.

C’est ce que j’appelle ici le défi auquel doivent répondre aujourd’hui l’écologie et ses acteurs, professionnels ou amateurs, chercheurs, militants ou gestionnaires.

De fait, ainsi que le rappellent Mace, Balmford et Ginsberg (2002) dans le cha-pitre introductif de leur récent ouvrageConservation in a changing world, les biolo-gistes de la conservation ont développé trois approches principales.

La première, baptisée « paradigme des populations déclinantes », a privilégié l’a-nalyse des causes de déclins et les mesures pour y remédier. La seconde, labellisée

« paradigme des petites populations » a largement contribué au développement de nos connaissances sur le fonctionnement génétique et démographique des popula-tions à petits effectifs ainsi qu’aux effets qui en résultent. La troisième, qui s’est

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L’INTERDISCIPLINARITÉ DANS LES SCIENCES DE LA VIE

développée un peu plus tard, s’est intéressée, en reliant données empiriques et trai-tements informatiques, à la définition d’aires prioritaires où concentrer les efforts de conservation.

Quel que soit l’intérêt, indiscutable, de ces approches, elles paraissent insuffisan-tes et limitées ; en particulier, elles pâtissent d’un double « décalage » : d’abord entre l’échelle des mécanismes et processus analysés et celle où s’exercent les menaces qui affectent la biodiversité (et où devrait être posée la stratégie de conservation) ; ensuite, entre les questions abordées et celles auxquelles sont confrontées les ges-tionnaires.

Sur ce dernier point, rapportons une étude entreprise aux États-Unis qui a consisté à confronter les questions que se posaient 50 gestionnaires de Floride et celles auxquelles tentent de répondre 214 articles publiés dans Conservation Biology.

Le résultat le plus saillant de cette étude est l’écart entre la préoccupation domi-nante des gestionnaires, relative aux processus écologiques et évolutifs (38 % des questions contre 13 à 14 % dans la littérature analysée), et la préoccupation domi-nante des chercheurs, relative au designdes réserves et aux petites populations (37 % des questions contre 11 à 12 % chez les gestionnaires). Naturellement cet exemple souffre des limites propres aux deux échantillons : des gestionnaires de Floride et la revueConservation Biology. Il serait dangereux de généraliser.

En fait, ces gestionnaires apparaissent très préoccupés par la sauvegarde des interactions écologiques et des processus évolutifs : comment faire lorsque l’on est responsable de réserves de taille modeste ? Et, parallèlement, comment anticiper les effets sur les contenus des aires protégées de phénomènes à la fois naturels et anthropiques survenant ou susceptibles de survenir à des échelles de paysages plus vastes ? Cette préoccupation rejoint la mise en garde de Perrings et Gadgil (2002) :

« La conservation de la biodiversité possède une dimension locale et une dimension planétaire. Pour qu’elle soit efficace, il est nécessaire de bien comprendre les liens entre ces deux échelles spatiales ».

Il faut bien reconnaître que les biologistes de la conservation restent là à peu près sans réponse. On voit bien qu’il y a lieu maintenant de se tourner vers des appro-ches plus largement écosystémiques relevant de l’écologie du paysage ou de la macroécologie. Et cela conduit très logiquement, dans l’esprit des attentes des ges-tionnaires que je viens d’évoquer, à prendre davantage en compte le contexte forte-ment anthropisé dans lequel nous vivons et où nous tentons d’abstraire des espaces

« protégés » – avec les hommes qui y vivent et y ont d’autres intérêts.

Cette exigence de cadrage plus large, à la fois géographiquement et conceptuelle-ment (parler de planète forteconceptuelle-ment anthropisée c’est appeler le concours d’autres disciplines que l’écologie), qui se prolonge très logiquement aujourd’hui par cette troisième nécessité énoncée au début, à savoir, l’inscription dans une perspective de développement durable – avec ses trois exigences d’efficacité économique, d’équité sociale et de viabilité écologique est d’évidence une exigence d’interdisciplinarité.

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Chapitre 13 •La conservation et la gestion de la biodiversité, un défi pour l’interdisciplinarité

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