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II. Le Bureau du Procureur

II. 3. Les enquêtes du continent africain : un compte rendu des activités de la Cour

Durant les dix premières années d’activités de la Cour, nous pouvons en dégager que seules les situations africaines ont fait l’objet d’une enquête par le Bureau du Procureur. Dans ces affaires, des suspects africains furent principalement impliqués. Mais les choix de situations africaines ne concernait pas forcément toujours des citoyens africains . 89

Plusieurs Etats africains critiquèrent cette approche de la Cour, en l’accusant de ne traquer que les Etats africains. Plusieurs Présidents et Chefs d’Etat ont fait connaitre leur mécontentement par une série de propos tenus lors de conférence ou de discours. Ce fut le cas

Statut de Rome pour la Cour pénale internationale, article 15 (2). 88

Dans la situation en Libye, les forces militaires de l’OTAN ont entrainé des allégations de crimes de guerre. 89

Dans la situation de la Cote d’Ivoire, la France s’est rendue coupable de complicité de meurtres de masse et était alliée parfois des forces républicaines. Dans la situation en République Démocratique du Congo, des sociétés multinationales furent en cause et peuvent contribuer à la poursuite du conflit sur le territoire, ainsi qu’à la

du Président Abdoulaye Wade , du Chef d’Etat Mouammar Kadhafi , de Monsieur Jean 90 91

Ping . Il semblent être unanimes dans leurs critiques érigées contre la Cour. 92

Certains facteurs peuvent intervenir afin d’expliquer l’orientation africaine que la Cour a prise durant ses premières années d’activités. Un des premiers facteurs touche aux modes de saisies de la Cour. Un second facteur tend à l’inactivité des tribunaux africains dans la répression des crimes. En effet, « d’une part, les leaders africains critiquent l’orientation africaine des activités de la CPI, mais d’autre part, ils n’offrent aucune alternative crédible à l’intervention de la CPI dans la répression des crimes commis en Afrique » . Concentrons-nous sur le 93

premier facteur.

En ce qui concerne les renvois des Etats Parties , il eut 5 renvois étatiques. Ceux-ci émanent 94

de l’Ouganda, de la République Démocratique du Congo, de la République centrafricaine, du Mali et de l’Union des Comores. Quatre renvois proviennent alors d’Etats africains. Ils ont renvoyé des situations relatives aux crimes perpétrés sur leurs propres territoires. Notons également qu’il est permis à un Etat de faire une déclaration unilatérale de reconnaissance de compétence . Cela permet à la Cour de connaitre d’une situation d’un Etat non partie au 95

Statut, une fois que cet Etat a reconnu la compétence de la Cour. C’est grâce à ce mécanisme que la Cour eut connaissance de la situation en Côte d’Ivoire.

De ces informations, nous pouvons dire que les Etats africains se sont montrés davantage intéressés de renvoyer des situations à la Cour. De plus, « aucun d’entre eux n’a osé renvoyer

« A la suite de la délivrance d’un mandat d’arrêt contre le président soudanais Al-Bashir (ou El-Béchir), le 90

président sénégalais Abdoulaye Wade fut parmi les premiers à soutenir ‘qu’au vu de la manière dont elle fonctionne [...] beaucoup d’Africains ont l’impression que la [CPI] est un tribunal destiné à poursuivre seulement les Africains’ ». Voy. J.B. MBOKANI, « La Cour Pénale Internationale : une cour contre les africains ou une cour attentive à la souffrance des victimes africaines ? », in Revue Québécoise de droit international, volume 26-2, 2013, p. 49.

Disponible sur : https://www.persee.fr/doc/rqdi_0828-9999_2013_num_26_2_1321

Il avait soutenu que les « actions de ce tribunal étaient sélectives », et que « la CPI appliquait une politique de 91

deux poids deux mesures, en ciblant les États africains et ceux du tiers-monde ». Voy. J.B. MBOKANI, « La Cour Pénale Internationale : une cour contre les africains ou une cour attentive à la souffrance des victimes africaines ? », in Revue Québécoise de droit international, volume 26-2, 2013, p. 49.

Disponible sur : https://www.persee.fr/doc/rqdi_0828-9999_2013_num_26_2_1321

« Monsieur Jean Ping, alors président de la Commission de l'UA, avait déclaré lors du dix-septième sommet 92

de l’UA en juin 2011, qu’il avait l’impression ‘que la CPI ne visait que les Africains, comme si rien ne se passait par exemple au Pakistan, en Afghanistan, à Gaza et en Tchétchénie’ ». Voy. J.B. MBOKANI, « La Cour Pénale Internationale : une cour contre les africains ou une cour attentive à la souffrance des victimes africaines ? », in

Revue Québécoise de droit international, volume 26-2, 2013, p. 49.

Disponible sur : https://www.persee.fr/doc/rqdi_0828-9999_2013_num_26_2_1321

J.B. MBOKANI, « La Cour Pénale Internationale : une cour contre les africains ou une cour attentive à la 93

souffrance des victimes africaines ? », in Revue Québécoise de droit international, volume 26-2, 2013. p. 70. Disponible sur : https://www.persee.fr/doc/rqdi_0828-9999_2013_num_26_2_1321

Statut de Rome de la Cour pénale internationale, article 13, alinéa a et l’article 14. 94

Statut de Rome de la Cour pénale internationale, article 12, §3. 95

une situation relative à des crimes commis en dehors du continent africain » , alors que la 96

possibilité leur était offerte par le Statut.

En ce qui concerne les renvois du Conseil de sécurité des Nations Unies , il y en eut deux, 97

concernant le Darfour, au Soudan , et la Libye . Elles concernent deux Etats africains, non 98 99

parties au Statut. La situation de Darfour connut des complications liées au manque de coopération du gouvernement Soudanais. La situation de la Libye connut également des difficultés. Lors de l’affaire Kadhafi, quatre fonctionnaires de la Cour furent arrêtés par la Lybie pendant un mois. Il fut alors avancé que « compte tenu de ces difficultés, il semble plus approprié qu’à l’avenir, le Conseil réserve ses renvois uniquement aux situations des États Parties » . 100

Deux situations africaines furent encore analysées par le Bureau du Procureur, mais suite à la décision du Conseil de sécurité d’en faire un renvoi. Encore une fois, ce ne fut pas de la volonté du Procureur d’enquêter sur ces situations en premier lieu.

En ce qui concerne la saisine à l’initiative du Procureur , il exerça ce pouvoir pour la Côte 101

d’Ivoire et la République du Kenya. Remarquons que pour la situation en Côte d’Ivoire, il ne s’agit pas d’un exercice proprio motu en tant que tel, puisque le Procureur a saisi la situation à la demande du Gouvernement ivoirien. Le Procureur décida d’ouvrir une enquête au Kenya, suite aux violences postélectorale ayant eu lieu sur ce territoire . 102

Ainsi, des neufs saisines que nous avons énuméré, cinq venaient de renvois étatiques, deux venaient de renvois du Conseil de sécurité et deux étaient issus de l’initiative du Procureur. Nous pouvons alors facilement conclure de ces éléments que ce sont les Etats africains qui ont déterminé cette orientation africaine attribuée à l’activité de la Cour.

J.B. MBOKANI, « La Cour Pénale Internationale : une cour contre les africains ou une cour attentive à la 96

souffrance des victimes africaines ? », in Revue Québécoise de droit international, volume 26-2, 2013, p. 56. Disponible sur : https://www.persee.fr/doc/rqdi_0828-9999_2013_num_26_2_1321

Statut de Rome de la Cour pénale internationale, article 13, alinéa b. 97

Rapports du Secrétaire général sur le Soudan, Rés CS 1593, Doc off CS NU, 5158e séance, Doc NU S/INF/60 98

(2005) 135.

Paix et sécurité en Afrique, Rés CS 1970, Doc off CS NU, 6491e séance, Doc NU S/INF/66 (2011) 393. 99

J.B. MBOKANI, « La Cour Pénale Internationale : une cour contre les africains ou une cour attentive à la 100

souffrance des victimes africaines ? », in Revue Québécoise de droit international, volume 26-2, 2013, p. 62. Disponible sur : https://www.persee.fr/doc/rqdi_0828-9999_2013_num_26_2_1321

Statut de Rome de la Cour pénale internationale, article 13, alinéa c et l’article 15. 101

Situation en République du Kenya, ICC-01/09-19, Décision relative à la demande d’autorisation d’ouvrir une 102

enquête dans le cadre de la situation en République du Kenya rendue en application de l’article 15 du Statut de Rome (31 mars 2010), Cour pénale internationale, Chambre préliminaire II.

Face à cette critique, la Cour s’est défendue en disant qu’elle était attentive aux victimes africaines. Alors qu’elle était Procureure adjointe Madame Fatou Bensouda affirmait qu’elle travaillait « pour les victimes d’Afrique » . 103

Cependant, cette volonté ne fut pas observée en pratique. Nous pouvons citer à titre d’exemple, la situation en Côte d’Ivoire et la situation en République centrafricaine. Dans les deux, le Bureau du Procureur décida d’entamer une enquête suite aux actes de violences qui avaient éclatés dans ces pays. Ces enquêtes durèrent longuement. Pendant ce temps, ni les gouvernements respectifs, ni les victimes étaient au courant de l’état d’avancement de l’enquête. De plus, lorsque les victimes intervenaient afin d’élargir le champ des poursuites

, elles se voyaient déboutées par le Procureur et puis par la Chambre préliminaire .

104 105 106

Il est vrai que durant la première décennie d’activité de la Cour, l’orientation est exclusivement centrée sur les pays en Afrique. Nous avons vu que la raison principale à cela était liée aux renvois opérés par les Etats africains et aux renvois du Conseil de sécurité. Cependant, si la Cour veut justifier ses activités par la volonté de protéger les victimes, il faudrait que cette volonté se concrétise encore plus en pratique. Les victimes ont bien leur place dans la procédure de la Cour. Par contre, leur allégations méritent une plus grande bienveillance.

ii) De 2012 à aujourd’hui : pouvons-nous encore parler d’une orientation africaine ?

Qu’en est-il depuis 2012 ? Nous avons vu précédemment que les dix premières années de la Cour furent fortement marquées par une orientation africaine dans les enquêtes et dans les poursuites menées. Le Procureur a-t-il continué sur cette lancée ou a-t-il porté son attention sur d’autres continents que celui d’Afrique ?

Voy. M.L. MICHEL, « CPI : Fatou Bensouda, fière de travailler pour les victimes d’Afrique », Jeune Afrique, 103

13 juin 2012.

Disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/actu/20120613T110223Z20120613T110221Z/

Droits conférés aux victimes à l’article 68 du Statut de Rome et par la règle 85 du Règlement de procédure et 104

de preuve.

« Dans l’affaire Lubanga, lorsque les victimes, agissant à travers leurs représentants légaux et les ONG qui 105

les soutenaient, ont fait part au Procureur de leur déception par rapport au choix des poursuites du BdP, ce dernier n’y a réservé aucune suite ». Voy. J.B. MBOKANI, « La Cour Pénale Internationale : une cour contre les africains ou une cour attentive à la souffrance des victimes africaines ? », in Revue Québécoise de droit

international, volume 26-2, 2013, pp. 86 à 87.

Disponible sur : https://www.persee.fr/doc/rqdi_0828-9999_2013_num_26_2_1321

« Ce même problème s’est de nouveau posé dans l’affaire Bemba, suite au dépôt de la ‘‘[d]emande du 106

représentant légal de [certaines victimes] aux fins de mise en cause de monsieur Jean-Pierre Bemba en sa qualité de chef militaire au sens de l’article 28-a du Statut pour les crimes dont ses troupes sont présumées coupables en Ituri’’ ». Voy. J.B. MBOKANI, « La Cour Pénale Internationale : une cour contre les africains ou une cour attentive à la souffrance des victimes africaines ? », in Revue Québécoise de droit international, volume 26-2, 2013, p. 94. Disponible sur : https://www.persee.fr/doc/rqdi_0828-9999_2013_num_26_2_1321

Nous pouvons constater une certaine diversité dans les situations mises sous examen préliminaire. Le Procureur a ouvert des examens préliminaires sur des situations touchant divers continents. Outre les continents africains, les continents d’Asie, d’Amérique du Sud et d’Europe sont dorénavant concernés 107. Cette diversité dans les examens choisis par le Procureur rejoint ce que certaines personnes alléguaient auparavant : « il y a des violations des droits de l’homme dans tous les continents » . 108

Dans les situations sous enquête, nous n’avons pas rencontré une telle disparité. Dans les situations depuis 2012 sous enquête, il y a le Mali, par renvoi étatique en 2012, la République centrafricaine, par renvoi étatique en 2014, la Géorgie, par saisine du Procureur en 2016 et le Burundi, par autorisation des juges de la Cour en 2017. De ces quatre situations, trois concernent des Etats africains. Notons toutefois que les situations du Mali et de la République centrafricaine furent renvoyées par leurs gouvernements respectifs. Concentrons-nous alors sur les faits qui ont justifiés les enquêtes érigées par le Bureau du Procureur.

Dans le cas du Burundi, la demande d’une ouverture d’enquête par le Procureur fut autorisée par la Chambre préliminaire III. Cette dernière avait estimé qu’il existait une base raisonnable « que des agents de l'État et d'autres groupes mettant en œuvre les politiques de l'État, et conjointement avec des membres des Imbonerakure, avaient lancé une attaque généralisée et systématique contre la population civile burundaise » . Cette attaque ciblait les personnes 109

qui s’opposaient au Président Pierre Nkurunziza.

Cette demande d’enquête était justifiée nécessaire car, à ce moment, « plus de 430 personnes auraient été tuées, au moins 3 400 personnes arrêtées et plus de 230 000 Burundais forcés de chercher refuge dans les pays voisins » 110. Les crimes contre l’humanité poursuivis par le Procureur étaient le meurtre et la tentative de meurtre, l’emprisonnement ou la privation grave de liberté, la torture, le viol, la disparition forcée, et la persécution. Il est une chose de dire que des atrocités ne sont pas uniquement commises en Afrique, mais partout dans le monde. Il serait par contre erroné d’affirmer qu’aucuns crimes ne sont commis en Afrique. Nous défendons la position du Procureur dans son enquête du Burundi, vu les faits énoncés ci- dessus.

Examens préliminaires : Ukraine en 2014, Iraq en 2014, Palestine en 2015, Afghanistan en 2017, Nigéria en 107

2017, Guinée en 2017, Philippines en 2018, Bangladesh / Myanmar en 2018 et Venezuela en 2018.

Monsieur Bernard Muna, ancien procureur-adjoint du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), le 108

déclarait, le 2 décembre 2011 sur les ondes de la Radio France internationale (RFI). Voy. J.B. MBOKANI, « La Cour Pénale Internationale : une cour contre les africains ou une cour attentive à la souffrance des victimes africaines ? », in Revue Québécoise de droit international, volume 26-2, 2013, p. 50.

Disponible sur : https://www.icc-cpi.int/burundi?ln=fr 109

Quant aux affaires résultant en une condamnation, nous pouvons en citer quatre. Monsieur Thomas Lubanga Dyilo et Monsieur Germain Katanga furent condamnés pour les crimes qu’ils ont commis ou que leurs troupes ont commise en République Démocratique du Congo. Monsieur Jean-Pierre Bemba Gombo fut condamné pour les crimes commis par ses troupes en République centrafricaine. Récemment, Monsieur Ahmad Al Faqi Al Mahdi fut condamné pour destruction de bâtiments de caractères religieux et historiques au Mali. En 2016, la Cour rajoute ainsi une condamnation d’orientation africaine à la liste déjà existante. Ces individus sont, à ce jour, les seuls condamnés par la Cour.

Nous pouvons encore constater une certaine orientation des affaires penchant vers le continent africain. Cela s’explique par les renvois de Etats africains de situations sur leurs territoires propres, et le besoin d’intervention du Procureur lors de situations alarmantes, telle celle du Burundi.

Nous maintenons tout de même que, parmi les nombreux pays mis sous examens préliminaires, il devrait en ressortir, dans les années proches, diverses condamnations de chefs d’Etat ou de dirigeants venant de continents différents, autre que le continent africain. Un examen préliminaire prenant du temps et demandant énormément de ressources venant du budget disponible au Bureau du Procureur, nous devons octroyer encore quelques années au Procureur afin que des enquêtes puissent être érigées.

Le besoin de résultat et d’efficience est de plus en plus exigé de la part du Procureur. Aujourd’hui, certains caractérisent encore la Cour comme étant une Cour d’Europe occidentale, jugeant les crimes dans le tiers monde. Dans le même ordre d’idée, lors de la dernière condamnation, celle de Monsieur Al Mahdi, il fut encore reproché à la Cour de rajouter une condamnation africaine à son compte. L’affaire Al Mahdi pouvant être considérée comme un succès vu la rapidité et l’effectivité dans son déroulement, elle ne suffit pas à effacer les critiques érigées à l’encontre du Bureau du Procureur et à l’encontre de la Cour de manière générale . 111

Le Procureur se doit d’obtenir des résultats probants dans l’avenir proche. Selon Monsieur Schabas, la Cour « se doit de prendre des décisions difficiles pour se réorienter si elle veut survivre, et, pour cela, elle doit étendre sa compétence géographique et ne pas se limiter à l’Afrique » . 112

K. WIERCZYNSKA, A. JAKUBOWSKI, Individual Responsibility for Deliberate Destruction of Cultural Heritage 111

: Contextualizing the ICC Judgment in the Al-Mahdi Case, Oxford University Press, 2017, p. 697.

A. LE ROY, V. ROCHELEAU-BROSSEAU et E. SULLIVAN, « Grande conférence du professeur William Schabas 112

sur l'avenir de la Cour pénale internationale – Résumé », in Revue Québécoise de droit international, volume 26-2, 2013, p. 244.

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