• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 : ANALYSE DES DONNÉES RECUEILLIES

3.4 Enjeux relatifs à la gouvernance

La vision de la fondation réfère à certains enjeux liés à la transformation de l’exercice du pouvoir des gouvernements actuels. En effet, elle démontre que certains acteurs non élus ont ou tentent d’avoir de l’influence sur les orientations qui sont prises par l’État, et ce, dans le cas qui nous intéresse, grâce à des moyens financiers importants, mais aussi en tentant de démontrer sa plus grande efficacité relativement à celle de l’État dans des sphères qui relèvent de ses compétences. Bien que la fondation spécifie ne pas vouloir agir là où l’État intervient déjà, plusieurs semblent exprimer des préoccupations en ce sens. Encore une fois, cette attitude donne l’impression d’une critique de la fondation envers les moyens pris par l’État pour remédier aux problèmes qu’il rencontre entre autres relativement à la question qui intéresse principalement la fondation : la prévention de la pauvreté et de la maladie.

      

16 Tiré du site internet: http://www.fondationchagnon.org/fr/PDF/mission_cible_vision_strategies_etc.pdf, (10 février 2010).

Puis c’est là qu’on a commencé à voir le nom de la Fondation Chagnon un peu partout. Donc, c’est ça, y’a trois institutions qui ont été créées par cette loi-là (en parlant de la loi 112). Il y a le comité consultatif où la fondation n’est pas présente. Mais, il y a le Fonds québécois d’initiatives sociales qui était décrit dans un document comme étant un PPP dans le domaine du social et un PPP avec la Fondation Chagnon. Alors, déjà là on voit l’arrimage entre le gouvernement et la fondation (intervenant nº 7).

Ce que je remarque à date, c’est que les conseils d’administration sont toujours moitié- moitié, gouvernement-Fondation Chagnon. Ce qui peut être une bonne chose parce que ça oblige la fondation à avoir un partenaire aussi fort que lui. Il faut que les ministères acceptent leur rôle, parce que dans les premiers temps, le ministère a complètement laissé faire (intervenant nº 2).

(En parlant de l’arrivée de QE) Moi, je me demandais, «qu’est-ce que c’est, ça? » Et c’est devenu clair… Un moment donné, j’ai fait quelques démarches dans ma tête et j’ai lu ‘Ces

riches qui ne paient pas d’impôts’. Ensuite, changement de loi pour investir dans sa

fondation, pis après pour venir dire au Québec entier comment intervenir en pauvreté. Moi, ça me donne mal au cœur. Les CLSC ont travaillé en petite enfance pendant des années, des années puis ils en ont fait des affaires, mais ils n’avaient pas l’argent de la Fondation Chagnon. Maintenant, ils nous disent LA manière de travailler en pauvreté. C’est l’activité physique, puis la saine alimentation. Puis on va savoir nous autres comment le faire, mais s'il n'y a pas tant de jeunes à votre activité, votre activité n’est pas pertinente (intervenant nº 4).

Je vois le gouvernement s’associer déjà QEF c’était trois ministères associés : Éducation, Loisirs… Maintenant, on est rendu à sept associés avec entre autres le PAG (Plan d'action

gouvernemental de promotion des saines habitudes de vie et de prévention des problèmes

reliés au poids 2006-2012). Et ils sont la caisse de fonds. Alors, comprends-tu que tous nos ministères ont mis de l’argent? Alors là, comprends-tu que moi je ne veux pas qu’ils viennent nous dire comment faire? Mais c’est ça qu'ils sont en train de faire au Québec. Alors moi, le « feeling » c’est : on es-tu en train de voter pour des décideurs qui finalement donnent leurs responsabilités et le pouvoir de décision au privé. Puis, tous les fonctionnaires de l’État vont faire OUI. […] Alors, je trouve ça très inquiétant et très dangereux. Je suis très inquiet : où va le Québec si on est en train de négocier comme ça (intervenant nº 4).

QE est arrivé alors que le CLSC était tout à fait engagé en ce qui était de l’ordre du lien avec les familles. Ça, je ne sais pas du tout ce que ça a apporté. J’en ai aucune espèce d’idée. Et donc où ils veulent s’en aller quand ils parlent de 0-25 ans. C’est un terrain occupé (intervenant nº 4).

QE, la différence c’est qu'ils veulent vraiment que les familles à risque soient comme bombardées de partout et qu’ils aient tout ce qu’il faut pour devenir supposément des parents et des enfants mieux équipés. Sauf que notre constat : on a réalisé que ces familles-là sont déjà bombardées par les programmes SIPPE du CLSC et des centres jeunesses (intervenant nº 5).

Les intervenants du milieu expriment des craintes relativement à la place que prend le privé dans des domaines où le gouvernement intervenait déjà. Il ressort des commentaires un sentiment de manque d'écoute de la part de la fondation. L’expérience et l’expertise développées par les gens qui ont travaillé dans le passé sur les problématiques auxquelles s’intéressent maintenant la FLAC, ne se sentent pas écoutés par ces derniers, qui de surcroît pourraient avoir de l’influence sur les orientations des gouvernements. Plusieurs s'interrogent au sujet de l'influence de la FLAC sur les décisions prises par le gouvernement. Ils se demandent si l’État abdique son rôle de décideur et de régulateur des activités et des orientations adoptées dans certains de ses champs de compétences. Plusieurs avis en ce sens ont été exprimés par différents acteurs durant la commission parlementaire tenue sur le projet de loi nº 7

(voir annexe nº 1) et sur le projet de loi nº 6, tous deux issus de la 39e législature. Voici les points de vue d’intervenants :

Considère que les objectifs visés par le Fonds ne sont pas nouveaux et font l’objet de programmes offerts autant par le gouvernement que par les organismes familles (La confédération des organismes familiaux du Québec).

Les secteurs auxquels s’intéresse la Fondation Chagnon sont des responsabilités étatiques dont les priorités doivent être définies démocratiquement (Centrale des syndicats du Québec).

N’est pas d’accord avec le fait que des programmes qui sont aussi financés par des deniers publics soient orientés par des instances privées (Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec).

Cette nouvelle façon de faire soulève un enjeu majeur. II s'agit de la possibilité que le secteur privé en vienne à décider des actions à poser, qu'il identifie les problèmes et oriente les solutions. Pour le Conseil, l'action de tels Fonds doit s'inscrire à l'intérieur des priorités de l’État et leur être complémentaire (Conseil de la famille et de l’enfance).

Il est pour le moins inquiétant que des fondations privées réussissent à engager des fonds publics selon ce qu'elles jugent important pour la société, selon leurs valeurs et leurs visions, alors que les citoyennes et citoyens, les associations et regroupements n'arrivent pas à faire reconnaître leurs besoins. L'implication de ce partenaire qu'est la Fondation Chagnon se fait sur de nouvelles bases (propos tenus par Mme Mariette Gélinas présidente de l'Association des retraitées et retraités de l'éducation et des autres services publics du Québec, lors de la Commission parlementaire sur le projet de loi nº 6).

Les individus qui décident d’investir dans une fondation ont leurs raisons de le faire. Toutefois, cela soulève des questions de l’ordre de la gouvernance, puisque bien sûr l’argent utilisé par les fondations pour mener leurs activités, provient de fonds dont le gouvernement se prive pour réaliser sa mission. Le cas qui nous intéresse pose avec encore plus d’acuité cet enjeu. En effet, en plus de donner de ses propres deniers libres d’impôts, la FLAC et la famille Chagnon s’associent avec l’État sur des projets qu’elles ont initiés — la FLAC pour les lois instituant des Fonds pour la promotion des saines habitudes de vie et pour le développement des jeunes enfants et un « holding » de la famille pour le Fonds de soutien aux proches aidants des aînés qui est toujours à l’état de projet de loi — en posant comme condition que l'État investisse de son côté de l’argent des contribuables. L’investissement dans la fondation et dans le holding Chagnon sert, à ce moment-là, d’outils pour influencer les orientations prises par les élus relativement aux intérêts de non-élus. Les commentaires et préoccupations des milieux à ce propos sont clairs :

Je pense que la fondation va réussir le jour ou M. Chagnon ne sera plus là, dans le sens où M. Chagnon dans sa tête c’est son argent.[…] Il faut qu’il y ait une stabilité au niveau des structures, au niveau des manières de faire plus de respect aussi pour être capable de changer la dynamique entre les communautés, lui et la fondation. Plus le temps passe, plus il se fait une mauvaise réputation (intervenant nº 2).

Le deuxième niveau de problème c’est qu’on vient de mobiliser 1 milliard 50 millions de dollars pour une période de 10 ans, mélange d’argent public et d’argent privé, mais pour répondre aux objectifs de la fondation. Parce que la fondation et la famille Chagnon, en tout cas si vous parlez un petit peu avec une association des groupes d’aidants naturels, il y a une préoccupation pour les gens atteints de la maladie d’Alzheimer qui est la cible des aidants naturels, mais je connais plein de monde qui sont des aidants naturels pour des maladies autres que l’Alzheimer. C’est vraiment des intérêts de la famille de la Fondation Chagnon qui sont mis au premier plan. Donc ça, c’était un deuxième niveau de problème,

c’était la dimension PPP ou en fait, mobilisation des ressources publiques et privées pour des fins privées (intervenant nº 7).