• Aucun résultat trouvé

2. LE CAS DU PRO JET D’AEROPORT DU GRAND OUEST

2.2 CAS SPECIFIQUE DU TRITON MARBRE ET MESURES ASSOCIEES

2.2.6 Engagements des maîtres d’ouvrage

L’état des lieux environnemental effectué en 2011 par un bureau d’études spécialisé et

concernant les dossiers de demande de dérogation au titre des articles L411-2 et R 411-6 à 14

du Code de l’environnement a permis le recensement de 254 mares sur l’aire d’étude de 2900 hectares comprenant l’aire de la plateforme aéroportuaire, de la desserte routière (figure 3),

ainsi que d’une zone tampon de 100 à 250 mètres autour de celles-ci. Ces sites ont fait l’objet d’expertises consistant en un ou deux passages nocturnes entre février et mai. Les individus de triton marbré ont été recherchés à l’aide de lampes torches, ou capturés à l’aide d’un

troubleau si la végétation aquatique ou une trop forte turbidité perturbaient la détection à la lampe. Parmi les 254 mares, plus de 30% (N=82) abritaient le triton marbré de façon certaine.

Les expertises effectuées ont permis de contacter 285 individus sur l’ensemble des 82 mares

(Biotope, 2012). Le bureau d’études en charge de ces expertises a estimé les effectifs réels

comme étant « probablement compris dans une fourchette allant de 10 à 30 fois les effectifs observés ». Pour le triton marbré, les effectifs étaient de ce fait estimés sur les 2900 hectares

de l’ordre de 1500 à 8000 individus.

Le dossier de demande de dérogation des maîtres d’ouvrage examiné par le CNPN pour avis détaille les impacts prévisibles du projet d’aéroport du Grand Ouest sur le triton

marbré. Ces impacts n’ont pas été évalués spécifiquement dans ce dossier mais au sein du

groupe des amphibiens afin de réaliser une « analyse conjointe de l’intérêt des milieux (…)

sur la base de préférences écologiques globalement proches pour les espèces contactées au

sein de l’aire d’étude » (Biotope, 2012). Les effets prévisibles pour ce groupe étaient principalement la destruction et la dégradation des habitats, la destruction de spécimens

d’espèces en phase de travaux, la dégradation des continuités écologiques, le dérangement

d’espèces (pollution sonore et lumineuse) ainsi que les pollutions chimiques et atmosphériques par rejet d’hydrocarbures des avions, mais aussi des voitures circulant sur la

desserte routière. Le choix du site de Notre Dame des Landes pour accueillir l’aéroport a été

fait initialement en 1968. Ce choix avait été réétudié entre 1992 et 2003 et le choix de Notre Dame des Landes a été réaffirmé lors de la déclaration d’utilité publique en 2006 à la suite

d’un comparatif entre neuf sites de la région. Ce comparatif était basé sur divers critères

économiques (bassin d’emploi, desserte, marché potentiel), sociologiques (urbanisme,

nuisances sonores) et environnementaux (environnement, agriculture) (Biotope, 2012). Le choix du site constitue en général la principale mesure d’évitement si des atteintes

53

particulièrement fortes sur la biodiversité sont attendues sur l’un des sites. Aucun des neuf

sites ne semblait présenter un impact environnemental potentiellement plus élevé que les autres, ce sont donc d’autres critères qui ont permis de départager ces sites. L’autre mesure d’évitement pour ce projet consiste principalement en une limitation des emprises et donc de l’emprise au sol: à l’ouverture, ce sont 537 ha qui seront aménagés au lieu de 762 ha prévus initialement soit plus de 15%. Plus spécifiquement concernant les amphibiens, les mesures de réduction consistent notamment en phase de travaux et d’exploitation (et de manière non

exhaustive) à adapter les plannings de chantier à la biologie de l’espèce concernée (destruction de mares hors de la période de reproduction par exemple), à baliser et protéger

l’ensemble des habitats d’intérêt écologique situés en marge de chantier, à garantir l’absence

de pollutions des milieux aquatiques, et à mettre en place des passages dédiés à la petite faune pour le franchissement de la desserte routière.

Pour le triton marbré, les impacts résiduels après évitement et réduction ont été

considérés comme majeurs (ce qui constitue le plus haut niveau d’impact résiduel, sur une échelle en comportant cinq) par le bureau d’études en charge de l’étude d’impact. En effet, la

quantité d’habitats détruits et effectivement ou potentiellement utilisés par l’espèce est importante. De plus, ces habitats favorables à l’espèce sont en très bon état de conservation. La surface de ces habitats favorables au triton marbré est estimée à plusieurs centaines

d’hectares dont des dizaines de très fort intérêt, ainsi que 52 mares, dont 28 sur lesquelles la reproduction du triton marbré est avérée. En raison des effectifs supposés très élevés sur l’aire

définie, des impacts résiduels majeurs sur l’espèce et de l’importance de cette population pour la conservation de l’espèce, le triton marbré a fait l’objet d’un traitement spécifique de la part des maîtres d’ouvrage. Des mesures de compensation mutualisées avec d’autres groupes

faunistiques avec lesquels les amphibiens partagent au moins une partie de leur habitat ont donc été envisagées afin de compenser ces impacts résiduels majeurs. Nous ne détaillerons

pas l’ensemble de ces mesures ici, elles sont détaillées dans le dossier de demande de

dérogation (Biotope, 2012). Nous pouvons néanmoins préciser que ces mesures de

compensation ont vocation à être mises en œuvre sur « des milieux bocagers à proximité de la zone impactée, avec comme objectifs de préserver, renforcer et étendre ces zones, qui

constitueront des secteurs d’accueil privilégiés pour les populations d’espèces protégées

impactées par le projet » (Biotope, 2012). Les mesures consistent principalement en la création, restauration, amélioration et gestion conservatoire de milieux. Ces mesures comprendront notamment, la reconversion de terres arables en prairies naturelles humides, la

54

reconversion de peupleraies en prairies humides, en mégaphorbiaies ou en boisement alluvial, ou une remise en exploitation sous forme de prairie naturelle humide avec des pratiques de gestion extensives adaptées. Les surfaces dédiées à aux mesures sont définies par la méthode

d’unités de compensation. Elle consiste d’une part à évaluer le « besoin compensatoire » en

fonction de la surface impactée et du niveau d’impact, et d’autre part à évaluer la « réponse au besoin compensatoire » calculé en utilisant le niveau de plus-value de la mesure, la surface sur laquelle elle est mise en place. La méthode de compensation choisie n’est donc pas

surfacique mais fonctionnelle.

Au-delà des mesures de compensation via notamment la restauration, et la création de bocages et de mares, sur des unités de compensation équivalentes d’un point de vue fonctionnel à celles impactées par le projet, les maîtres d’ouvrage se sont engagés à la mise en

place de mesures complémentaires concernant le triton marbré. En premier lieu, des

opérations de transfert d’individus sont prévues, et concernent notamment le triton marbré. Ce

transfert consiste, sur les 19 mares accueillant le plus grand nombre d’individus (sur la base des expertises réalisées en 2011 par le bureau d’étude en charge de cette mission) et se trouvant sur l’emprise directe du projet, en la capture la plus exhaustive possible des individus

et à leur transfert sur des mares non impactées par le chantier. Il s’agit d’une mesure d’accompagnement à caractère expérimental permettant de limiter le nombre d’individus

directement détruits. Dans le dossier de dérogation au titre des articles L411-2 et R411-6, les

maîtres d’ouvrage et le bureau d’étude en charge du dossier décrivent l’objectif de ces

transferts comme un objectif « écologique car les transferts, associés à une amélioration des

habitats terrestres et aquatiques des secteurs d’accueil, doivent viser à dynamiser ou implanter des populations des espèces impactées par les aménagements, hors des zones d’influence de

ces derniers ».

La seconde mesure spécifique mise en place en faveur du triton marbré consiste en la

mise en place d’un projet de recherche visant à quantifier les effets des mesures de

compensation sur la dynamique de la population impactée et de définir les protocoles nécessaires au suivi de la population sur le long terme dans cet objectif. Ces objectifs

nécessitent d’une part l’acquisition de connaissances sur le fonctionnement local des populations de triton marbré, mais également l’évaluation de méthodes d’études permettant le

suivi à long terme de cette population. Nous l’avons vu, les données disponibles pour cette

55

mettre en œuvre, et rarement comparables à d’autres études similaires (Rödel & Ernst, 2004).

En effet, la première caractéristique permettant de juger du succès des mesures de

compensation sont l’équivalence des effectifs d’individus avant et après impact et

compensation ; mais les méthodes applicables dans le cadre de projets de grande ampleur pour les estimer sont peu maitrisées, et l’estimation se fait régulièrement in fine à dire

d’experts sur la base de comptages (Biotope, 2012). Or, il a été montré que souvent, aucune équivalence entre les comptages et les effectifs réels n’existe chez les amphibiens (Schmidt, 2003), ce qui compromet notamment la comparaison des effectifs avant et après impact, et

donc l’évaluation des mesures. De même, le fonctionnement global des métapopulations de

tritons, et même d’amphibiens en général, est peu documenté, et les mécanismes qui en assurent la pérennité ne sont pas établis clairement. Même si la connectivité à large échelle semble nécessaire à la dispersion (Safner et al., 2011), le dimensionnement de mesures visant

à créer ou recréer ces connectivités n’est pas défini avec précision dans un cadre commun et

repose actuellement sur des avis d’experts. L’ampleur des déplacements d’individus pendant

leurs phases de migration saisonnières, mais également leurs fréquences et capacités de dispersion, qui semblent déterminer le fonctionnement global en métapopulation n’ont en effet fait l’objet de que peu d’études chez le triton marbré (Marty et al., 2005). L’utilisation et les critères de sélection de l’habitat terrestre par l’espèce ont aussi été peu étudiés (Marty et al., 2005), du fait de la difficulté à localiser et suivre les individus en phase terrestre. Enfin,

les mesures de transfert d’individus (ou translocations) depuis des sites à détruire vers des

sites périphériques à l’infrastructure sont des méthodes particulièrement mal évaluées (Seigel & Dodd, 2002), et dont le succès est difficile à évaluer concrètement. L’ensemble de ces

limites et manques de connaissances plaident pour la mise en place de programmes de recherche ambitieux sur le fonctionnement des populations d’amphibiens en général dans le contexte de la séquence ERC et sont donc à l’origine de cette thèse.

57

OBJECTIFS ET CHOIX

METHODOLOGIQUES

59