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Les enfants de la décolonisation : encadrer la jeunesse algérienne

« Un problème particulièrement grave se manifeste actuellement en Algérie »

Note sur le problème de la jeunesse en Algérie, AN 19830229/1

Du 14 décembre au 15 janvier 1959 se tient, dans les locaux de l’Office Algérien d’Action Économique et Touristique (OAAET), 28 avenue de l’Opéra à Paris, une exposition consacrée à la Jeunesse d’Algérie. Au même moment est organisé une exposition similaire à Dijon intitulée

« la Jeunesse d’Algérie vous parle ». La jeunesse en Algérie fait l’objet d’une diabolisation particulière pendant la guerre d’indépendance : elle est menaçante, parce qu’elle représente une génération qui n’accepte pas le statu quo colonial. Mais elle apparaît également comme une solution au problème algérien, dans la mesure où les enfants sont encore malléables et influençables, et surtout, n’ont pas directement pris les armes contre le gouvernement français. Il ne faut pas oublier que les jeunes de 15 à 20 ans de 1961 sont les enfants de 8 à 13 ans de 1954, c'est-à-dire que ces jeunes ont grandi et se sont formés pendant la guerre.

La question de la jeunesse et des enfants dans le contexte de la guerre d’indépendance algérienne pose de nombreux problèmes aux femmes du M.S.F. Dans son premier rapport moral, en 1958, faisant un bilan provisoire de l’action sociale du mouvement quelques mois seulement après sa création, Simone Saint-Hillier avoue :

« Une grande œuvre a déjà été accomplie et l’on se rend compte des progrès faits par les enfants ; car malheureusement nous avons été obligées d’admettre des enfants dans nos centres du mouvement de solidarité et de leur faire l’école. Certains ont déjà des notions élémentaires de français. Quant aux jeunes filles, elles ont reçu des notions de puériculture, de couture, et paraissent très heureuses de se retrouver dans une ambiance amicale143. »

Les femmes engagées dans le M.S.F sont prises au dépourvu par le nombre d’enfants participant au mouvement et leur inhabilité à recruter des femmes adultes. La présidente du cercle de Philippeville confirme ces difficultés : « je tiens à signaler que le recrutement se fait particulièrement parmi les jeunes filles et que nous éprouvons de grandes difficultés à intéresser les femmes musulmanes à nos réunions ; même certaines d’entre elles, qui, anciennes élèves de notre école ne se décident pas à prendre l’initiative de se joindre souvent et spontanément à nous144 »

Les jeunes filles qui participent aux cercles ont entre 10 et 14 ans. Elles n’ont pour beaucoup jamais été scolarisées et parlent mal le français. Le mouvement doit donc se substituer au système éducatif en donnant à ces jeunes des cours d’enseignement général, en lecture et en mathématiques.

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Simone Saint-Hillier, rapport moral de Constantine, AN 19830229/2

Fillettes de Philippeville, Mouvement de solidarité féminine, 1960 AN19830229/8 Les fillettes musulmanes sont en effet les plus susceptibles de participer aux activités du M.S.F, étant peu scolarisées et n’ayant pas, à la différence des femmes adultes, de famille à s’occuper. Cette démographie particulière du mouvement de solidarité féminine nous interroge. Comment concilier l’objectif initial de solidarité et d’amitié entre les femmes de différentes confessions lorsqu’une majorité des recrues a entre 10 et 14 ans ? Comment le M.S.F adapte-il ses pratiques à la prise en compte, comme cible de son action, de la jeunesse ?

Par son encadrement des enfants musulmans, envoyés en famille d’accueil en métropole, en colonies de vacances affrétées par l’armée, ou même adoptés; le MSF adapte son action à des problématiques différentes que celles qui avaient été initialement envisagées. Ces choix mettent

en lumière la dualité entre le maternel et le féminin. Si le M.S.F rassemble des ‘sœurs’, celles-ci ont une expérience commune de la maternité.

Si le M.S.F accepte dans ses cercles la participation des enfants, c’est principalement parce que ses dirigeantes espèrent pour attirer les mères de familles nombreuses, considérées comme les moins « évoluées » et les plus prisonnières de leur condition, invisibilisées et absentes dans l’espace public, hors d’atteinte. En donnant des cours aux enfants dans les cercles, les femmes du M.S.F réussissent à engager les mères, qui assistent notamment aux cours de puériculture et de couture. D’autres, mentionne Simone Saint-Hillier, « viennent apprendre le français. Il y a des mères de 10 enfants qui viennent apprendre le français dans certains centres. C’est très changeant suivant les secteurs145 ». Si le mouvement donne une certaine attention aux enfants, c’est avant tout pour attirer leurs mères. Néanmoins, les jeunes filles sont également « émancipées » et formées au même titre que les femmes adultes : elles apprennent, par exemple, dès l’âge de 7 ans, la couture et la puériculture et les soins à prodiguer aux nouveau-nés.

Les enfants dont s’occupe le mouvement sont souvent envoyés en métropole, notamment pour passer les vacances scolaires, dans des familles métropolitaines qui les parrainent. Les colonies de vacances, notamment en métropole, où les petits algériens sont mélangés avec de jeunes métropolitains et peuvent nouer des liens d’amitié, sont particulièrement plébiscités. Il s’agit, là aussi, de rapprocher les communautés ; mais également d’imprégner les jeunes enfants dans un mode de vie et une culture métropolitaine. Comme le rappelle dans son histoire des colonies de vacances Laura Lee Downs, « Pendant plusieurs générations, les colonies de vacances ont occupé une place essentielle dans la vie sociale, politique et ludique des enfants des milieux populaires en France146 » - et ces dernières étaient très souvent structurées par des associations privées et locales, notamment actives dans le domaine de la protection de l’enfance.

Conclusion

145 Simone Saint-Hillier, réunion M.S.F octobre 1958, AN 19830229/6 146

Ainsi, la Femme Nouvelle qui doit émerger des cercles du M.S.F et de l’action de contact prolongée de ce dernier se trouve assignée à des rôles de genre traditionnels. Des notions de genre et d’identité nationale s’imbriquent dans la définition d’un modèle exemplaire – européens – de féminité, où l’émancipation de la femme du carcan d’une société traditionnelle musulmane arriérée doit lui permettre de devenir une « bonne épouse » et une « bonne mère ».

Ces diverses pratiques mises en évidence ont elles eu un effet sur l’opinion algérienne, ou sur la vie des femmes musulmanes ? A Constantine, Mme Olié, femme du général, relève :

« L’influence morale ne peut être mesurée. Pourtant c’est là que se situe notre nécessité et que se justifie notre action. Savoir que des femmes de France, pour la plupart, se penchent vers elles sans le moindre paternalisme mais simplement de tout leur cœur, avec une parcelle d’amour, comme on se penche sur une sœur malheureuse momentanément, a été une révélation pour l’élément féminin que nous contactions. Défavorisée, notre Région est très pauvre, très peuplée, très arriérée. Il semble que beaucoup de femmes abandonnées à leur sort depuis toujours commencent peu à peu à se sentir des êtres comme nous grâce aux relations quotidiennes qu’elles ont avec des femmes qui ne les traitent pas en inférieures, mais bien en égales147. »

Il est cependant très difficile d’arriver à des conclusions objectives sur les effets et conséquences du mouvement sur la société algérienne, notamment sur le long terme.

147

Mme Olié, Constantine, rapport moral, procès-verbal de la réunion du conseil d’administration du jeudi 18 juin 1958, AN1983