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Quels sont les emplois des garçons qui ont suivi une spécialité « féminine » ?

Dans le document Genre et données longitudinales (Page 187-191)

Michèle Bargeot *

7. Quels sont les emplois des garçons qui ont suivi une spécialité « féminine » ?

Les spécialités « féminines » existent seulement aux niveaux IV et V dans les options de services administratifs et services aux personnes, cette dernière étant beaucoup plus importante en effectif que la première. Dans le domaine des services administratifs, nous avons inclus comme l’un des emplois dominants celui de « vendeur, employé de libre service », (16,8 % des garçons, 21 % des filles). Dans cette spécialité, 63 % des garçons titulaires d’un BTA et 75 % de ceux qui ont un BEPA se retrouvent sur d’autres postes. En général, il s’agit d’emplois peu qualifiés : chauffeur, manutentionnaire, magasinier ou ouvrier agricole. Quelques-uns sont classés dans les professions intermédiaires (représentant, responsable de rayon).

Le secteur des services aux personnes est certainement la spécialité qui s’est le plus développée dans l’enseignement agricole. Au niveau V, les effectifs de cette option ont progressé de 67,4 % entre les rentrées scolaires 1991 et 1995, la quasi-totalité des inscrits sont des filles (90 % au niveau IV et 95 % au niveau V). Les emplois dominants concernent la santé ou le social – aide-soignant, agent des services hospitaliers, ambulancier, aide médico-pédagogique, auxiliaire de puériculture, animateur socioculturel – ou les services directs aux particuliers comme assistante maternelle, femme de ménage, auxiliaire de vie. Si plus des deux tiers des femmes se retrouvent dans un de ces emplois dominants, c’est le cas pour à peine la moitié des hommes pourtant peu nombreux. Ces garçons sont plus souvent que les filles sur les emplois d’animateur socioculturel (9 % contre 3 % des filles) et sur des métiers comme ambulancier, pourtant ils sont nombreux, toute proportion gardée, à être aide-soignant (19 % en BEPA et 7 % en BTA).

Conclusion

En résumé :

– Avec un BTSA, les filles vont plutôt travailler dans les bureaux ou les laboratoires comme techniciennes pour le conseil, le contrôle ou les études, alors que les garçons privilégient le « terrain » où ils sont agriculteurs, chefs de culture, chefs d’équipe, responsables de maintenance. Avec ce même niveau de formation, les hommes sont commerciaux (technico-commercial, responsable de secteur, de magasin) alors que les femmes seront plus souvent dans la formation.

– Le secteur de la production offre moins de possibilité d’emplois aux filles qui ont seulement un diplôme de niveau IV ou V, sauf en horticulture.

– Dans le commerce, à diplôme égal, les garçons auront plus souvent des professions intermédiaires commerciales (chef de rayon, représentant) alors que les femmes ne seront que vendeuses, employées de libre- service.

– Les garçons qui ont un diplôme de niveau IV ou V dans une spécialité féminine (services administratifs ou aux personnes) sont souvent sur des emplois sans lien avec leur formation et peu qualifiés comme chauffeurs, manutentionnaires ou engagés dans l’armée.

En conclusion, nous retiendrons d’abord de cette analyse que nos enquêtes donnent des résultats analogues à celles du Céreq (enquêtes Générations 92 et 98) : les filles formées dans l’enseignement agricole ont les mêmes difficultés que les filles en général pour entrer sur le marché du travail. Les mécanismes de disparité sont les mêmes : plus diplômées que les garçons, leur insertion professionnelle est plus difficile (plus de chômage, plus de précarité, plus de temps partiel contraint), même si les inégalités ont tendance à diminuer quand leur qualification augmente.

Pourtant, encore aujourd’hui, l’une des spécificités de l’enseignement agricole par rapport à l’Éducation nationale, est l’insertion encore importante de ses élèves – même si elle diminue d’année en année – dans le secteur de la production agricole. L’agriculture et l’industrie sont deux espaces professionnels traditionnellement très masculins mais leur rapport à l’activité féminine est différent. La femme a toujours été présente en agriculture même si sa place a changé sur l’exploitation agricole. Au XIXe et début du XXe siècle, elle apporte une force de travail indispensable à la survie de la ferme, même si elle est considérée comme une « force d’appoint ». Dans les années 60 à 80, la mécanisation va orienter le travail des femmes vers les tâches de gestion mais c’est toujours l’homme qui conserve les fonctions de décision et le statut de chef d’exploitation. Actuellement, l’agriculture est en crise, le modèle de l’agriculteur producteur est remis en cause et l’exploitation doit se diversifier. Les femmes peuvent saisir cette opportunité pour développer de nouvelles compétences et affirmer leur identité d’exploitante agricole (Jacques-Jouvenot 1997).

Le secteur des services, aujourd’hui si important en effectif, est présent depuis longtemps dans l’enseignement agricole à travers les anciennes écoles ménagères dont le rôle était de former des agricultrices capables de participer à la direction d’une exploitation agricole tout en remplissant leur rôle de ménagère et de maîtresse de maison. Les programmes de ces écoles comportaient des notions d’économie domestique, d’hygiène, de puériculture, de comptabilité que l’on retrouve dans les référentiels pédagogiques des spécialités « services aux personnes »

(Charmasson et al. 1999). Aujourd’hui, une forte demande de services auprès des enfants, des personnes âgées, des malades a permis aux femmes d’intégrer des emplois où elles valorisent leur savoir-faire « féminin ». Mais ce marché de travail n’est pas encore structuré, les conventions collectives sont rares et les emplois offerts peu qualifiés et peu reconnus.

En définitive, dans l’enseignement agricole, ce sont les spécialités récentes7 qui peuvent permettre aux filles de diversifier leurs activités. On a montré que celles qui ont un BTSA « gestion et maîtrise de l’eau » occupaient plus fréquemment des postes de technicienne conseil en environnement, un secteur où des besoins nouveaux émergent, avec des emplois aux fonctions encore mal définies, avec des statuts précaires (contrat emploi jeune), mais qui sont peut-être les métiers de demain. Les garçons, quant à eux, choisissent des emplois plus connus, moins innovants, comme responsable de station d’épuration ou de réseaux d’eau. C’est en investissant ces nouveaux marchés que les femmes pourront peut-être élargir leur « palette » d’emplois.

Au terme de cette étude, nous conclurons que les filles qui choisissent une spécialité « masculine » de l’enseigne-ment agricole doivent persévérer pour s’imposer dans des métiers où personne ne les imaginait auparavant. Cette double ségrégation scolaire et professionnelle (Couppié, Épiphane 2003) est encore très présente en agriculture. Le programme national mis en place par le Ministère de l’Agriculture pour favoriser la professionnalisation des femmes et mobiliser l’ensemble des acteurs (décideurs, formateurs et professionnels) sur ce thème est sans doute l’un des outils qui peut contribuer à faire évoluer les mentalités et les pratiques dans l’enseignement agricole et dans la sphère professionnelle.

7. Nous n’avons pas intégré dans l’échantillon qui a servi à cette étude, les élèves titulaires des BTSA « gestion et protection de la nature » et « services en espace rural », pour cause d’effectifs insuffisants. L’offre de formation du premier a fortement augmenté à partir de 1994, le second n’est encore qu’expérimental.

B

IBLIOGRAPHIE

Bargeot M. & Drouet J.-M. (2003), « Dix années d’enquêtes au Ministère de l’Agriculture, de la Pêche, de l’Alimentation et des Affaires Rurales sur le devenir professionnel des anciens élèves de l’enseignement agricole », In Les données longitudinales dans l’analyse du Marché du Travail, Céreq, Document Séminaires, n° 171, p. 177-188.

Bargeot M. (2003), « Le devenir professionnel des femmes titulaires d’un brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole », Étude, Educagri Éditions, 8 p.

Barthez A. (1982), « Famille, travail et agriculture », Economica, 189 p.

Baudelot C. & Establet R. (1992), Allez les filles, Le Seuil, 243 p.

Bulletin Officiel de l’Éducation Nationale, Convention pour la promotion de l’égalité des chances entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif, http://www.education.gouv.fr/bo

Charmasson T., Duvigneau M., Lelorrain A.-M. & Le Naou H. (1999), L’enseignement agricole, 150 ans d’histoire, Évolution historique et atlas contemporain, Educagri Éditions, 251 p.

Couppié T. & Épiphane D. (1997), « Femmes sur le marché du travail, l’autre relation formation-emploi », Céreq, Étude n° 70, novembre, p.95-111.

Couppié T. & Épiphane D. (2001), « Que sont les filles et les garçons devenus ? Orientation scolaire atypique et entrée dans la vie active », Céreq, Bref, n° 178, septembre, 4 p.

Couppié T. & Épiphane D. (2003), Ségrégation professionnelle des hommes et des femmes : entre héritage éducatif et construction sur le marché du travail, Céreq, communication présentée aux « premières rencontres jeunes et sociétés en Europe et autour de la Méditerranée », Marseille, octobre.

Duru-Bellat M. (1990), L’école des filles, quelle formation pour quels rôles sociaux ? Paris, L’Harmattan, 232 p.

Duru-Bellat M., Kieffer A. & Marry C. (2001), « La dynamique des scolarités des filles : le double handicap questionné », Revue française de sociologie, n° 42-2, avril-juin, p. 251-280.

Jacques-Jouvenot D. (1999), Choix du successeur et transmission patrimoniale, L’Harmattan, 239 p.

Maruani M. (1998), Les nouvelles frontières de l’inégalité. Hommes et femmes sur le marché du travail, La Découverte-Mage, Collection « Recherches », 283 p.

Marry C. & Kieffer A. (1998), « Carrières masculines-carrières féminines : France Allemagne », Revue Française de sociologie, n° 2, avril-juin, p.265-389.

Ministère de l’Agriculture et de la Pêche, Programme national « femmes, formation et emploi en milieu rural : intégration de l’égalité des chances », Circulaire DGER/FOPDAC/C2001-2010, juillet 2001, 29 p.

Mosconi N. (1998), Égalité des sexes en éducation et formation, PUF, Éducation et Formation, Biennales de l’éducation, 265 p.

Mosconi N. (1994), Femmes et savoir, la société, l’école et la division sexuelle des savoirs, L’Harmattan.

A

NNEXES

Tableau 3

PROBABILITÉ DÊTRE AU CHÔMAGE 45 MOIS APRÈS AVOIR OBTENU UN DIPLÔME DUNE SPÉCIALITÉ MASCULINE

BTSA BTA BEPA

Variables de référence Variables actives Coefficient Coefficient Coefficient

Garçon Fille 1,433*** 1,058*** 0,900***

Dans un établissement public Dans un établissement privé -0,003 ns 0,132 ns -0,007 ns

Parents : Agriculteur Artisan, commerçant 0,480* 0,807*** 0,725***

Cadre, profession libérale 0,162 ns 1,017*** 0,308 ns Profession intermédiaire 0,210 ns 1,023*** 0,509 ns

Employé 0,365 ns 1,095*** 0,832***

Titulaire d’un bac technologique Bac professionnel 0,075 ns Bac scientifique 0,242 ns Bac Éducation nationale 0,609***

Autre diplôme -0,451 ns

Seconde professionnelle Seconde technologique 0,495***

Constante -3,508*** -3,841*** -3,107***

Tableau 4

PROBABILITÉ DÊTRE DANS UNE PROFESSION INTERMÉDIAIRE APRÈS AVOIR OBTENU UN BTSA Variables de

référence Variables actives Coefficient Variables de

référence Variables actives Coefficient

Dans un établissement privé 0,061 ns Dans un établissement

Artisan, commerçant 0,902*** Parents : Agriculteur

Artisan, commerçant 0,350 **

Cadre, profession libérale 1,314*** Cadre, profession libérale 0,758***

Profession intermédiaire 1,524*** Profession intermédiaire 0,633***

Employé 0,983*** Employé 0,352***

Ouvrier 0,781*** Ouvrier 0,016 ns

Autre 0,924*** Autre 0,318 ns

Enquête 1994, 1995

Enquête 1996, 1997 -0,390*** Enquête 1994, 1995

Enquête 1996, 1997 -0,577***

Enquête 1998, 1999 -0,541*** Enquête 1998, 1999 -0,867***

Enquête 2000, 2001 -0,498*** Enquête 2000, 2001 -0,616***

Titulaire d’un bac technologique

Bac professionnel -0,003 ns Titulaire d’un bac technologique

Bac professionnel 0,047 ns

Bac scientifique 0,297*** Bac scientifique 0,320**

Bac Éducation nationale 0,253*** Bac Éducation nationale 0,501***

Autre diplôme -0,102 ns Autre diplôme 0,159 ns

Constante -0,224*** Constante 0,437***

Dans le document Genre et données longitudinales (Page 187-191)

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