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4.3 Observation acoustique de l’oc´ eanographie physique

4.3.1 Elephants de mer oc´ eanographes

Le PAM passe g´en´eralement par la mise en place d’observatoires acous-tiques cˆabl´es ou autonomes. Bien que ces observatoires permettent de moni-torer sur de longues p´eriodes de temps une zone restreinte d’int´erˆet (point fixe), ils ne permettent pas d’acqu´erir de connaissance environnementale sur de larges ´echelles g´eographiques. Pour r´epondre `a cette probl´ematique, je propose de transf´erer la m´ethodologie d’observation environnementale par AP sur des porteurs mobiles. De plus, pour minimiser le coˆut de l’observa-tion environnementale, je propose l’utilisal’observa-tion de biologger, i.e. des capteurs miniaturis´es embarqu´es sur des animaux sauvages.

L’´etude r´ealis´ee focalise sur l’Elephant de Mer Austral (EMA, Mirounga leonina), et notamment sur des individus femelles. Depuis 2004 dans les ˆıles subantarctiques fran¸caises (TAAF7), des scientifiques du CEBC ´equipent ce mammif`ere marin de diff´erents capteurs oc´eanographiques, et ce avant la migration de l’animal vers les eaux (sub)antarctiques. Durant ce voyage de plusieurs milliers de kilom`etres, les EMA ainsi ´equip´es ´echantillonnent continˆument les 500 premiers m`etres de la colonne d’eau. Depuis 10 ans, les EMA ont permis de collecter 90% de la donn´ee oc´eanographique mesur´ee in-situ au sud du 60`eme parall`ele. R´ecemment, un nouveau capteur est venu compl´eter les mesures faites par les EMA. Il s’agit d’un hydrophone autonome de type Acousonde8. Il permet d’enregistrer le paysage acoustique rencontr´e par l’animal, tant durant ses plong´ees sous-marines que lors des p´eriodes de respirations `a la surface. La figure 4.9 pr´esente la photo d’un EMA instrument´e.

Jusqu’`a aujourd’hui, les EMA ont ´et´e utilis´es pour mesurer des param`etres oc´eanographiques physiques (e.g. [Roquet et al., 2009]) et biologiques (e.g. [Guinet et al., 2013]) dans des r´egions peu accessibles. La migration en boucle ferm´ee des EMA (qui partent de Kerguelen et reviennent `a Kerguelen) per-mettent ´egalement d’utiliser des Acousondes, enregistreurs acoustiques au-tonomes non-communiquants qu’il faut r´ecup´erer `a la fin de la migration. Les donn´ees acoustiques ont notamment ´et´e utilis´ees pour ´etudier le rythme respiratoire des EMA en mer, lorsqu’ils r´ecup`erent `a la surface apr`es une plong´ee [G´enin et al., 2015]. En mer, les EMA plongent r´eguli`erement `a des profondeurs m´esop´elagiques (300-500 m, parfois jusqu’`a 2000 m), et tendent `a suivre les variations verticales de leurs proies. Durant nombre de ces plong´ees, les EMA passent une large proportion du temps `a d´eriver passivement `a

7. Terres Australes et Antarctiques Fran¸caises 8. Acoustimetrics, Greeneridge Sciences, Inc.

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Figure 4.9 – Photo d’un EMA instrument´e. Photo prise par J. Jouma’a

(CEBC)

travers la colonne d’eau [Richard et al., 2014]. Dans la suite, ces ´ev´enements seront appel´es ”phases de d´erive”. Ils sont particuli`erement importants pour notre ´etude acoustique. En r´eduisant le bruit d’´ecoulement, ils permettent une mesure particuli`erement propre du paysage sonore environnement.

Toute l’´etude pr´esent´ee ici a ´et´e r´ealis´ee en collaboration avec C. Guinet

(CEBC), pilote du projet SO-MEMO9 qui assure l’instrumentation des EMA.

Estimation des conditions m´et´eorologiques

Dans le cadre du post-doctorat de D. Cazau, nous nous sommes int´eress´es `

a l’estimation des conditions m´et´eorologiques (et notamment la force du vent) `

a partir du paysage acoustique enregistr´e par les EMA en plong´ee. Cette th´ematique de m´et´eorologie acoustique sur porteur mobile n’est pas nouvelle. Des campagnes de mesures avec flotteurs ARGO `a profondeur constante ont ´et´e r´ealis´ees par l’Applied Physics Laboratory (Seattle) [Riser et al., 2008, Yang et al., 2015]. Toutefois, nous apportons ici une double contribution. Nous proposons une m´ethodologie d´etaill´ee concernant l’utilisation d’un porteur mobile proche des porteurs standards (gliders, flotteurs ARGO) ayant des trajectoires profil´ees en mont´ees/descentes progressives, et nous portons cette m´ethodologie sur un porteur mobile d’opportunit´e [Cazau et al., 2017]. De plus, le comportement dynamique des EMA (par exemple, profils de plong´ee et type de nage multi-modal) est en fait bien plus complexe que celui porteur 9. Syst`eme d’Observation Mammif`eres Marins Echantillonneurs du Milieu Oc´eanique, http://www.cebc.cnrs.fr/Fso_memo/so_memo.htm

mobile standard. Nous avons donc travaill´e dans un cas d’analyse plutˆot d´efavorable qu’il sera ais´e de simplifier pour un transfert sur d’autres porteurs plus classiques.

Le cadre m´ethodologique mis en place dans notre ´etude repose sur des outils d’analyse statistique pour la corr´elation de donn´ees multi-dimensionnelles, telles que la r´egression multilin´eaire multivari´ee et l’analyse en composantes principales. Deux familles de variables d’influence ont ´et´e d´efinies, une premi`ere li´ee aux EMA (vitesse, profondeur et acc´el´eration tri-axiale) et une deuxi`eme `

a l’environnement (vitesse du vent10). Nous distinguons aussi deux types de nages dans les plong´ees des EMA, les nages actives (caract´eris´ees notamment par des acc´el´erations intermittentes et une vitesse soutenue) et les d´erives passives (mentionn´ees plus haut, et caract´eris´ees par une acc´el´eration quasi nulle et une vitesse faible). Les variables li´ees aux EMA ont ´et´e obtenues grˆace aux capteurs embarqu´es et aux algorithmes d´evelopp´es au CEBC. Les variables environnementales sont obtenues `a partir des observations

satellitaires ASCAT11, interpol´ees par des analyses ECMWF (European

Center for Medium range Weather Forecasting).

Nos r´esultats montrent [Cazau et al., 2017] que la mesure sonore basse fr´equence est largement impact´ee par le comportement des EMA, ce qui s’explique par le bruit d’´ecoulement dˆu au mouvement de l’animal dans l’eau. En revanche, les fr´equences sup´erieures `a 2.5 kHz sont relativement peu affect´ees par le comportement des EMA, ce qui permet une mesure correcte du paysage acoustique. A titre d’exemple, la figure 4.10 pr´esente les spectres moyens enregistr´es en fonction de la vitesse du vent. Nous montrons alors qu’il est possible d’utiliser le paysage acoustique sous-marin pour estimer la vitesse du vent avec les algorithmes classiques de la litt´erature (simple r´egression lin´eaire entre le niveau spectral et la force du vent, e.g. [Vagle et al., 1990]). En consid´erant uniquement la donn´ee acoustique enregistr´ee durant les phases de d´erive, nous obtenons sur nos donn´ees une pr´ecision d’environ 2 m/s. Cette pr´ecision se d´egrade si on consid`ere en plus les phases de nage active, mais nous montrons qu’il est possible de regagner en performance en utilisant des algorithmes d’estimation plus avanc´es (e.g. r´egression multi-lin´eaire et analyse en composantes principales).

Physiologie de l’El´ephant de Mer Austral

Nous avons ´egalement profit´e de la disponibilit´e de la donn´ee acoustique pour compl´eter l’´etude bioacoustique des EMA. Cela a ´et´e effectu´e dans le

10. Le jeu de donn´ees ´etudi´e ne contient pas d’´ev`enement de pluie significatif

11. disponible `a ftp://ftp.ifremer.fr/ifremer/cersat/products/gridded/MWF/ L3/ASCAT/Daily/Netcdf/

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Drift only Drift and active swimming

Figure 4.10 – Spectres moyens mesur´es en fonction de la force du vent

(rouge : 0 `a 5 m/s ; bleu : 5 `a 10 m/s ; jaune : 10 `a 15 m/s ; vert : 15 `a 20 m.s), pour les phases de d´erives uniquement (`a gauche) ou pour tous les enregistrements (`a droite). Figure tir´ee de [Cazau et al., 2017]

cadre de deux stages de c´esure d’´el`eves ing´enieurs agronomes (G. Labadie et L. Day), r´ealis´es entre l’ENSTA Bretagne et le CEBC. Dans un premier stage, G. Labadie a ´etudi´e les donn´ees acoustiques pendant la plong´ee des EMA. Elle a r´ealis´e un inventaire des sons rencontr´es par l’animal pendant les phases de chasse, et a d´emontr´e la possibilit´e d’identifier les tentatives de captures de proies `a partir de ces sons.

Dans un deuxi`eme stage, L. Day a ´etudi´e les donn´ees acoustiques pendant les phases de surface. Cette mesure est particuli`erement int´eressante pour ´etudier la physiologie des animaux, car elle permet un enregistrement des respirations, ainsi que des battements du coeur [Le Boeuf et al., 2000]. Nous focalisons ici sur les battements cardiaques. L’objectif est double. Il s’agit d’´etudier le comportement de r´ecup´eration des EMA `a travers la variation de leur fr´equence cardiaque. On s’int´eresse ´egalement aux liens entre la fr´equence cardiaque moyenne d’une phase de surface avec l’effort de nage et la dur´ee de la plong´ee pr´ec´edent cette phase de surface.

Dans les donn´ees acoustiques, les battements cardiaques prennent la forme d’impulsions courtes dans une bande de fr´equence de l’ordre de 0 `a 150 Hz [Burgess et al., 1998], tel qu’illustr´e sur la figure 4.11. Nous avons d´etect´e manuellement toutes ces impulsions dans nos donn´ees, et avons extrait de ces d´etections la fr´equence cardiaque instantan´ee, ainsi qu’une fr´equence cardiaque moyenne par phase de surface. L’effort de nage pr´ec´edant chaque phase de surface a ´egalement ´et´e quantifi´e grˆace aux acc´el´erom`etres (donn´ees mesur´ees durant la plong´ee), et ce en utilisant les m´ethodes d´evelopp´ees par nos coll`egues du CEBC [Jouma’a et al., 2015].

Notre ´etude [Day et al., 2017] est une des rares ´etudes ayant permis la

Figure 4.11 – Exemple de spectrogramme enregistr´e lors d’une phase de surface. Les bruits large bande encadr´es sont les respirations de l’EMA. Les impulsions indiqu´ees par des fl`eches noires verticales sont des battements cardiaques. Figure extraite de [Day et al., 2017]

moyenne mesur´ee est de 102.4±4.9 battements par minute. Durant chaque

phase de surface, la fr´equence cardiaque instantan´ee des animaux acc´el`ere avec le temps (i.e. elle est significativement plus rapide `a la fin de la phase de surface qu’au d´ebut). Ce r´esultat est probablement li´e `a la fin de tachycardie (acc´el´eration du rythme cardiaque) que les EMA subissent lorsqu’ils retournent

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a la surface en fin de plong´ee. De plus, aucun lien n’a pu ˆetre fait entre le rythme cardiaque et l’effort fourni par l’animal en plong´ee. Toutefois, nos r´esultats sugg`erent que les EMA g`erent leur r´ecup´eration en augmentant la dur´ee des phases de surface, plutˆot qu’en modulant leur rythme cardiaque `a la surface.