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4.2 Bioaoustique des mystic` etes

4.2.1 Baleines bor´ eales et baleines franches en Arctique

Arc-tique

Dans cette section, je pr´esente l’application de m´ethodes mono-capteurs pour la localisation de mystic`etes en environnement petit fond. Tous ces travaux ont ´et´e r´ealis´es en collaboration avec A. Thode (Scripps, San Diego, USA).

Estimation de distance et baleines bor´eales

Tous les automnes, entre fin aoˆut et mi octobre, les baleines bor´eales (Ba-laena mysticetus) migrent vers l’ouest de la mer de Beaufort `a travers le plateau continental, le long de la cˆote nord de l’Alaska [Moore and Reeves, 1993]. De nombreuses ´etudes [Clark and Ellison, 2000] ont utilis´e le PAM pour suivre ces migrations. Tous les ans depuis 2007, Greeneridge Sciences, Inc. a d´eploy´e un r´eseau d’hydrophones directifs DASAR (Directional Autonomous Seafloor Acoustic Recorders), dans les eaux cˆoti`eres de l’Alaska, proche de Kaktovik [Greene Jr et al., 2004]. Les DASAR permettent la d´etection et la localisation de milliers de vocalises de baleines bor´eales chaque ann´ee [Thode et al., 2012]. En 2010, le r´eseau de DASAR a ´et´e compl´et´e avec une antenne verticale (Verti-cal Line Array, VLA) de 15 hydrophones. En utilisant les m´ethodes pr´esent´ees dans le chapitre pr´ec´edent (filtrage modal par warping puis localisation par r´etro-propagation), j’ai d´emontr´e qu’un unique hydrophone du VLA permet d’estimer la distance entre l’antenne et la vocalise ´etudi´ee, avec une pr´ecision

similaire `a celle obtenue par le r´eseau de DASAR [Bonnel et al., 2014]. L’esti-mation de la distance entre une vocalise de baleine et un unique hydrophone est un point crucial si l’on souhaite un jour utiliser les m´ethodes de PAM pour estimer la densit´e des populations [Marques et al., 2013].

La m´ethode mise en place n´ecessite une connaissance pr´ealable de l’en-vironnement, et notamment des propri´et´es g´eoacoustiques des s´ediments. Comme ces derni`eres sont g´en´eralement inconnues, elles sont estim´ees `a partir des vocalises, conjointement `a la distance source/r´ecepteur recherch´ee. Notons que dans notre ´etude, les param`etres g´eoacoustiques estim´es n’ont pas de r´eel sens physique. Cependant, leur estimation permet de d´efinir un mod`ele d’environnement acoustiquement ´equivalent `a l’environnement exp´erimental. Ce mod`ele, potentiellement d´enu´e de toute r´ealit´e physique, permet toutefois de localiser les sources.

0.5 1 1.5 2 2.5 60 80 100 120 Time [s] Frequency [Hz] Call 7 0.4 0.6 0.8 1 1.2 1.4 1.6 1.8 100 120 140 160 Time [s] Frequency [Hz] Call 12 2 2.5 3 3.5 4 4.5 5 80 100 120 140 Time [s] Frequency [Hz] Call 9 7.5 8 8.5 9 9.5 110 120 130 140 Time [s] Frequency [Hz] Call 11 11 11.5 12 12.5 13 80 100 120 140 Time [s] Frequency [Hz] Call 1 7.5 8 8.5 9 9.5 100 120 140 160 Time [s] Frequency [Hz] Call 4 10.5 11 11.5 12 12.5 13 80 100 120 140 160 180 Time [s] Frequency [Hz] Call 2 5 5.5 6 6.5 7 130 140 150 160 170 180 190 Time [s] Frequency [Hz] Call 8 10.5 11 11.5 12 12.5 80 90 100 110 120 Time [s] Frequency [Hz] Call 6 12.5 13 13.5 14 14.5 15 60 80 100 120 Time [s] Frequency [Hz] Call 5 5.6 5.8 6 6.2 6.4 6.6 6.8 7 60 70 80 90 100 110 Time [s] Frequency [Hz] Call 3 1 1.5 2 2.5 3 60 80 100 120 140 160 180 Time [s] Frequency [Hz] Call 10 60 70 80 90 100 110 120

Figure 4.2 – Spectrogrammes des douze vocalises ´etudi´ees. Sur chaque sous-figure, la courbe blanche repr´esente la fr´equence instantann´ee de la source, telle qu’estim´ee apr`es localisation. L’´echelle des couleurs des spectrogrammes est en dB, avec une valeur de r´ef´erence arbitraire. L’origine des temps de chaque vocalise est arbitraire. Figure extraite de [Bonnel et al., 2014].

La figure 4.2 pr´esente les spectrogrammes des douze vocalises ´etudi´ees. On remarque qu’elles ont toutes des propri´et´es diff´erentes (bande de fr´equence, structure temps-fr´equence, rapport signal `a bruit). Les r´esultats de la locali-sation sont illustr´es sur la figure 4.3. Sur cette figure, le point vert repr´esente la position du VLA, et donc de l’unique hydrophone utilis´e. Le cercle vert

4.2. BIOAOUSTIQUE DES MYSTIC `ETES 63 −20 0 20 40 −10 0 10 20 Call 7 Easting (km) Northing (km) −20 0 20 40 −10 0 10 20 Call 12 Easting (km) Northing (km) −20 0 20 40 −10 0 10 20 Call 9 Easting (km) Northing (km) −20 0 20 40 −10 0 10 20 Call 11 Easting (km) Northing (km) −20 0 20 40 −10 0 10 20 Call 1 Easting (km) Northing (km) −20 0 20 40 −10 0 10 20 Call 4 Easting (km) Northing (km) −20 0 20 40 −10 0 10 20 Call 2 Easting (km) Northing (km) −20 0 20 40 −10 0 10 20 Call 8 Easting (km) Northing (km) −20 0 20 40 −10 0 10 20 Call 6 Easting (km) Northing (km) −20 0 20 40 −10 0 10 20 Call 5 Easting (km) Northing (km) −20 0 20 40 −10 0 10 20 Call 3 Easting (km) Northing (km) −20 0 20 40 −10 0 10 20 Call 10 Easting (km) Northing (km) VLA DASARs

Figure 4.3 – R´esultats de localisation pour les 12 vocalises. Le point vert repr´esente la position de l’hydrophone utilis´e, et le cercle vert entourant ce point est la distance estim´ee par notre m´ethode. Les triangles rouges donnent les positions des DASAR, et les lignes bleues qui en ´emanent les azimuts estim´es par ces DASAR. La position estim´ee par le r´eseau de DASAR est indiqu´e par un carr´e noir, et l’ellipse noire correspondante donne l’intervalle de confiance `a 90% de cette estimation. Figure extraite de [Bonnel et al., 2014].

repr´esente la distance estim´ee avec cet unique hydrophone. Chaque triangle rouge repr´esente un DASAR, et chaque ligne bleu l’azimut de la source tel qu’estim´e par un DASAR. Le point noir, `a l’intersection des azimuts, est la position de la source telle qu’estim´ee avec le r´eseau de DASAR, et l’incerti-tude de cette estimation est repr´esent´ee par l’ellipse noire. Pour toutes les vocalises, la distance estim´ee avec un unique capteur est coh´erente avec la position estim´ee par les DASAR, d´emontrant la pertinence de notre m´ethode d’estimation mono-capteur.

Estimation de profondeur et baleines franches

Un verrou majeur avec la plupart des syst`emes PAM actuels est leur

incapacit´e `a estimer la profondeur des animaux acoustiquement actifs. On pourrait imaginer que connaˆıtre cette profondeur est moins important que connaˆıtre leur position 2D (latitude-longitude). Cependant, il existe au moins trois raisons pour lesquelles cette profondeur est un param`etre capital pour l’´etude des mystic`etes en eau peu profonde :

1. L’intensit´e apparente d’un signal basse fr´equence enregistr´e par un hydrophone (le ”Received Level”, RL) d´epend largement de la profon-deur de la source et/ou de celle du r´ecepteur. Deux sources d’intensit´e comparable mais plac´ees `a diff´erentes profondeurs dans la colonne d’eau (e.g. proche de la surface et largement immerg´ee) peuvent avoir des RL qui diff`erent de 6 `a 10 dB, alors qu’elles sont s´epar´ees de moins de 50 m. A contrario, si ces deux sources sont `a la mˆeme immersion, il faut parfois les ´ecarter de 6 `a 10 km pour obtenir des RL variants de 6 `

a 10 dB. En conclusion, il est capital de connaˆıtre la profondeur d’une source pour estimer son niveau d’´emission (”Source Level”, SL). Ces SL sont des param`etres critiques pour estimer les performances des syst`emes PAM utilis´es.

2. Comme expliqu´e pr´ec´edemment, les RL d´ependent largement de la profondeur. Il est notamment bien plus facile de r´eduire le RL en s’approchant de la surface qu’en fuyant dans une direction oppos´ee `a la source. En cons´equence, il faut se donner les moyens d’estimer la profondeur des animaux si on souhaite ´etudier leur comportement en r´eponse `a des pollutions sonores anthropiques.

3. La profondeur de vocalisation pourrait permettre de distinguer des esp`eces pour lesquelles ces vocalises sont difficiles `a diff´erencier autre-ment. A titre d’exemple, les ”upcalls” de baleines franches du Pacifique nord (North Pacific Right Whale, NPRW), des baleines bor´eales et des baleines `a bosse ont la mˆeme bande de fr´equence, la mˆeme dur´ee et la

4.2. BIOAOUSTIQUE DES MYSTIC `ETES 65 mˆeme structure. Il est particuli`erement compliqu´e de les diff´erencier sans information contextuelle (e.g. g´eographie, saison), mˆeme pour un expert. S’il s’av`ere que ces esp`eces vocalisent `a des profondeurs diff´erentes, alors une estimation de la profondeur des cris pourrait permettre d’identifier l’esp`ece source.

La NPRW (Eubalaena japonica) est une esp`ece tr`es largement menac´ee, dont la population ne d´epasse probablement pas les quelques dizaines d’in-dividus [Wade et al., 2006]. Lorsqu’on l’´etudie avec du PAM, il est donc particuli`erement crucial de ne rater la d´etection d’aucune de ses vocalises. Reconnaˆıtre les vocalises de baleines franches au milieu d’une myriades de vocalises de baleines `a bosse et/ou bor´eales est un vrai d´efi, tant pour les algorithmes de classification que pour les experts [Wright, 2015]. Cependant, de s´erieux indices laissent supposer que les profondeurs `a laquelle ces vocalises sont ´emises pourraient ˆetre diff´erentes. Une ´etude des baleines franches de l’Atlantique r´ealis´ee dans la baie de Fundy en instrumentant les animaux avec des biologgers montre que cette esp`ece vocalise `a de faibles profon-deurs, inf´erieure `a 8 m [Parks et al., 2011]. Il n’existe que peu d’information sur la profondeur de vocalise des baleines bor´eales et `a bosse. Toutefois, deux ´etudes sugg`erent qu’elles vocalisent `a de plus grandes profondeurs [Thode et al., 2007, Abadi et al., 2014]. Il est donc possible qu’une m´ethode permettant d’estimer la profondeur des vocalises puisse permettre d’identifier l’esp`ece source.

Dans ce contexte, nous avons r´ealis´e avec A. Thode une ´etude pr´eliminaire sur l’estimation de la profondeur des vocalises des NPRW. Nous avons ap-pliqu´e les m´ethodes d´evelopp´ees dans le chapitre pr´ec´edent (filtrage modal par warping puis localisation par Matched Mode Processing) pour proposer une m´ethode d’estimation de la profondeur des vocalises [Bonnel and Thode, 2014b]. Nous avons ensuite utilis´e cette m´ethode pour estimer la profondeur de deux types de vocalises de NPRW : les ”gunshots” (signaux impulsionnels) et les ”upcalls” (signaux modul´es en fr´equence). Une ´etude de 32 vocalises montre que les profondeurs d’´emissions des deux types de vocalises sont statistique-ment diff´erentes [Thode et al., 2017]. Une grande partie de l’analyse de ces vocalises, ainsi qu’une ´etude sur d’autres esp`eces ont ´et´e r´ealis´ees dans le cadre du stage de M2R de M. Thieury [Thieury, 2016]. La figure 4.4 illustre les profondeurs estim´ees des vocalises de NPRW ´etudi´ees.

Du traitement du signal `a la biologie marine

Les r´esultats obtenus sugg`erent qu’un grand nombre de jeux de donn´ees bioacoustiques existants enregistr´es en milieu cˆotier et ciblant les mystic`etes, contient de l’information sur la localisation des animaux, tant en terme de

Figure 4.4 – Distribution de la profondeur des vocalises de NPRW : (a) gunshots et (b) upcalls. Figure extraite de [Thode et al., 2017].

distance que de profondeur. Cependant, un frein majeur `a l’application massive des m´ethodes illustr´ees plus haut est qu’elles ne sont pas 100% automatiques, et requi`erent l’intervention d’un expert. Le rˆole de cet expert est particuli`erement ardu, et n´ecessite des comp´etences pouss´ees en bioacoustique (pour diff´erencier les signaux ´emis par diverses esp`eces), en acoustique sous-marine (pour reconnaˆıtre les vocalises contenant de l’information modale permettant la localisation), et en traitement du signal (pour r´ealiser la localisation).

Pour lever ce verrou, A. Thode et moi travaillons ´etroitement avec des scientifiques de la NOAA (National Oceanographic and Atmospheric Ad-ministration, USA). Nous nous effor¸cons de leur transf´erer nos m´ethodes. Cela a par exemple permis de localiser un rorqual commun Atlantique nord (Balaenoptera physalus) hors de l’aire de r´epartition connue de ces animaux [Crance et al., 2015]. Nous pr´evoyons ´egalement des projets futurs o`u nous formerons des biologistes de la NOAA `a nos m´ethodes. Dans le cadre du stage de c´esure de C. Arisdakessian effectu´e `a cheval entre l’ENSTA Bretagne et Scripps [Arisdakessian, 2014], nous avons notamment d´evelopp´e une interface graphique permettant une utilisation simplifi´ee de ces m´ethodes.

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