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ELEMENTS DE DISCUSSION – PERSPECTIVES METHODOLOGIQUES

Ce travail n’est qu’une étape dans la compréhension de la microcirculation corticale. Il n’existe pas à notre connaissance de base de données aussi importante sur le réseau vasculaire du cortex sachant qu’à l’échelle de cet organe les informations que nous avons traitées n’en représentent qu’une infime partie. C’est là l’ambiguïté qui nous a accompagnés tout au long de la manipulation de cet échantillon du réseau. Ceci n’exclut pas que les données collectées puissent constituer la première partie d’une base de données qui pourrait être complétée et analysée dans un projet de recherche multicentrique (116).

La principale limitation est la faible épaisseur des mosaïques. Nous avons mesuré l’épaisseur des coupes de Duvernoy aux alentours de 300 µm, les caractéristiques du microscope confocal utilisé nous ont conduit à en sacrifier un tiers, le post-traitement des images nécessitant d’éliminer des zones vides liées au recalage en z et une partie du bruit situé essentiellement dans la zone la plus profonde en a sacrifié près d’un autre. Nombre des résultats présentés sont certainement affectés par cet élément.

La base de données constituée à partir des coupes de Duvernoy contient une somme d’informations qui n’ont été que partiellement abordées ici. L’analyse de la maille capillaire en fait partie, orientation des vaisseaux, analyse fractale, connectivité, géométrie. Il est certain que chaque résultat exposé dans ce travail appelle une autre question dont la réponse (ou des éléments de réponse) est probablement à notre disposition dans les 200 000 segments qui constituent cette base de données épurée.

Le temps passé dans l’observation des vaisseaux du cortex cérébral humain constitue à proprement parler un travail d’anatomiste où l’analyse morphologique donne la piste à suivre pour déterminer les critères pertinents de l’analyse morphométrique.

Un exemple de ce parti-pris méthodologique peut en être le suivant. La maille capillaire apparaît morphologiquement comme un polygone irrégulier, pentagone ou hexagone présentant souvent un grand et un petit côté. L’aspect bimodal de la distribution des longueurs capillaires observé pourrait-il s’expliquer par cette observation anatomique ? Si l’anatomiste s’inspire du résultat quantitatif pour orienter sa compréhension de l’organisation du réseau, le physicien s’attache aux données morphologiques, qualitatives (et cliniques) pour valider son interprétation des résultats. Ce travail est donc avant tout le reflet d’une collaboration multidisciplinaire, interactive et productive.

L’étude des structures artério-veineuses proprement dites (arborescences) est probablement à aborder selon d’autres techniques anatomiques bien que nous ayons pu extraire des vaisseaux quasiment complets, vaisseaux appartenant aux couches superficielles et moyennes du cortex. Ces vaisseaux sont ceux qui sont décrits par 4 ou 5 ordres successifs par la classification de Strahler modifiée par Kassab (73). Dans son étude portant sur les coronaires du porc Kassab décrit 11 ordres successifs depuis leur origine sur l’aorte jusqu’au lit capillaire (70, 71). Il est probable que compte tenu de l’épaisseur du cortex la réalité du nombre d’ordre des vaisseaux qui l’occupent soit ici systématiquement sous-estimée d’un ordre mais il paraît peu probable que ces vaisseaux puissent être décrits par plus de 6 ordres successifs. Là encore le matériel de Duvernoy garde tout son intérêt car un examen plus large des coupes qui composent cette collection permettrait

probablement d’isoler une population de vaisseaux complets pour affiner nos résultats.

D’autres techniques anatomiques et surtout d’autres techniques d’imagerie microscopique permettent d’accéder à une information tridimensionnelle de résolution identique. Nous avons pu participer à la confection d’échantillons destinés à la microtomographie synchrotron (115). Les premiers résultats quantitatifs obtenus par ce type de protocole sur le cerveau du rat et du marmouset sont extrêmement intéressants et ont donné lieu récemment à une thèse (126). Cependant, d’un point de vue anatomique, on note que les injections étudiées dans ce travail ne sont pas réplétives et sont amputées probablement de tout ou partie du secteur veineux. Ceci rend délicate toute comparaison des résultats mais n’enlève rien à la valeur méthodologique de l’analyse quantitative concernant notamment ses implications en matière de caractérisation de la néo- angiogénèse tumorale. Heinzer (55) a proposé récemment une étude en microtomographie synchrotron utilisant des moulages vasculaires dont la radio- opacité a été obtenue par vaporisation de tetroxyde d’osmium avec des résultats qualitatifs extrêmement probants. Il a visualisé semble-t-il la totalité du réseau vasculaire de la surface piale au lit capillaire chez la souris avec une résolution de l’ordre de celle utilisée ici (1.4 µm).

L’expérience en matière d’injection anatomique montre que les injections réplétives dédiées à une analyse tridimensionnelle peuvent être obtenues indifféremment par la méthode gélatine-encre de Chine ou par injection de résine acrylique de basse viscosité type Mercox (29, 34, 78, 122). Dans le premier cas on conserve l’information topographique, anatomique, localisatrice qui permet de savoir clairement à quelle zone du cortex on s’intéresse ; dans le second cas on perd tout ou partie de cette information même en étant très rigoureux dans le traitement des informations.

Il semble que Heinzer (55) ait apporté une partie des solutions à ce dernier problème et l’application de ce type de protocole au cerveau humain dans une étude post-mortem semble envisageable et fait partie de nos préoccupations. Quel que soit le produit utilisé des imperfections d’injection(25) sont régulièrement observées et mises en balance avec d’autres procédés qui sont de l’ordre de la coloration histologique et ne donne qu’une information bidimensionnelle incomplète et surtout inadaptée à l’étude d’une structure dont la réalité tridimensionnelle n’est plus à démontrer (139).

D’autre part l’influence du produit d’injection et du traitement infligé à la pièce sont autant d’éléments à prendre en compte dans la précision d’une analyse quantitative. En ce sens les moulages en résine basse viscosité sont largement supérieurs aux injections gélatine-encre de Chine qui nécessitent une étape de fixation, de diaphanisation et de conditionnement sous lamelle qui sont autant de facteurs de rétraction et de déformation de l’échantillon.

Le facteur de rétraction est difficile à apprécier (126), et il semble très arbitraire d’affecter un coefficient de correction aux valeurs mesurées. L’idée que la rétraction puisse être globale et homogène (isotrope) permet de penser que les valeurs de densité et l’analyse des distributions des diamètres et des longueurs ne sont que peu affectées par ce phénomène.

Les moulages en résine donnent des informations morphologiques plus précises en microscopie électronique (34, 50, 100, 122, 127) visualisant les impressions nucléaires et les structure péri-vasculaires. Par contre leur numérisation en microscopie confocale reste délicate même si le contraste obtenu est spectaculaire, la profondeur d’acquisition grandement optimisée et la segmentation probablement idoine, la manipulation de ces échantillons extrêmement fragile à l’air libre reste éminemment problématique (95). Les essais

réalisés entre nos mains avec la collaboration du laboratoire d’anatomie de Barcelone se penchent actuellement sur l’intégration de ces échantillons dans un gel de silicone pour tenter de résoudre ces problèmes de manipulation. La localisation de ces échantillons dans l’espace est un autre problème dans la mesure où sont gommées toutes les structures anatomiques qui permettent habituellement de se repérer dans cet organe. On pourrait comparer cette situation à l’interprétation d’IRMf sans aucune image morphologique associée.

87 Essai de numérisation d’un moulage du réseau vasculaire cérébral en mercox. L’échelle de couleur codant la profondeur développe 500 µm du bleu au rouge.

Indépendamment de ce problème de localisation de l’échantillon à l’échelle d’un gyrus, d’une aire fonctionnelle, ou d’un lobe cérébral…, l’information histologique reste fondamentale tant il reste de spéculations en cours sur la façon dont l’architecture vasculaire se superpose à l’organisation tissulaire voire fonctionnelle du cortex. C’est l’un des points les plus attractifs de ce travail. Pour valider son étude Duvernoy avait pris soin de réaliser régulièrement une coupe histologique de 20 µm d’épaisseur pour bénéficier de l’information cyto- architectonique. Dans cette optique l’attitude qui semble la plus adaptée à obtenir des informations portant simultanément sur la vascularisation et le parenchyme cérébral est d’utiliser des techniques de marquages immuno-histochimiques couplées à un fluorochrome permettant une visualisation en microscopie confocale en fluorescence (29, 127).

L’approche dynamique de la vascularisation, de même que l’analyse des rapports du compartiment vasculaire et du compartiment tissulaire profite actuellement du développement de la microscopie biphotonique, technique non destructrice qui permet d’étudier des tissus vivants (22, 108).

Outre le fait que ce travail apporte un certain nombre d’éléments quantitatifs qui puissent directement trouver des applications notamment en matière d’IRMf et d’interprétation du signal BOLD (89), il reste essentiellement une approche méthodologique originale dédiée à la microcirculation. La numérisation et la segmentation du réseau en 3 dimensions redonne à ce domaine d’étude sa dimension anatomique, par opposition aux nombreuses études histologiques dont sont issues des informations partielles et par définition bidimensionnelles (95- 97).

On pourrait insister sur l’intérêt de coupler la séculaire observation anatomique à la description topologique de la vascularisation. L’une et l’autre se complètent pour arriver à une interprétation cohérente des données. Pour exemple, nous ne nous sommes pas arrêtés sur une classification définitive des vaisseaux du

cortex notant que celle proposée par Duvernoy ou par Reina De La Torre et Rodriguez Baeza avaient chacune leurs avantages, mais nous avons montré comment la simple description des vaisseaux par la classification de Strahler- Kassab pouvait résumer les observations de ces auteurs avec précision. Cette classification topologique est une étape indispensable vers la construction d’un modèle mais il est certain que les travaux qui suivront profiteront de ce procédé et permettront (si nécessaire) d’en déduire une classification anatomique (structurelle) peut-être plus appropriée. Il s’agit simplement de définir les éléments nécessaires à une description plus explicite des vaisseaux que ne le fait habituellement le discours anatomique. Nous n’avons pas retrouvé d’exemple d’applications de la classification de Strahler à la vasculature du cortex cérébral (56) mais elle a été validée dans d’autres organes tels que le cœur, le poumon ou le rein (67, 70, 106). D’autre part, les progrès de l’imagerie médicale (clinique) et des techniques de segmentation sont probablement en passe de permettre l’extraction d’un arbre vasculaire à un niveau distal (intra-organe) de manière presque routinière (24, 83, 151). Au-delà de l’intérêt biomécanique que présente la classification de Strahler modifiée par Kassab, il est possible de prévoir « sa vulgarisation anatomique » tant elle fait le lien entre le qualitatif et le quantitatif. Parmi les outils développés dans ce travail, le logiciel d’extraction des arborescences (Contrôle Réseau) nécessite d’être remarqué pour sa contribution à une approche fonctionnelle du réseau. Celle-ci devra être privilégiée et développée dans de futurs travaux. « Contrôle Réseau » est basé sur une modélisation sommaire du réseau résistif qui ne tient pas compte des variations de l’hématocrite qui elles, supposent résolu le problème de l’écoulement. Si l’on examine le procédé d’extraction des arborescences tel qu’il est réalisé par ce logiciel et que l’on suppose par ailleurs la segmentation réaliste, l’incrémentation de la résistance permet d’arrêter l’extraction dès lors que l’on atteint une résistance qui « allume » ou « opacifie » le réseau capillaire. Lorsque, en cours d’extraction, apparaissent d’autres structures arborescentes que celle ciblée, pour des valeurs de résistance qui ne sont pas de l’ordre de celles des capillaires on conçoit aisément que nous sommes en face d’une probable anastomose. Il en résulte que tous les vaisseaux « bloqués » pour isoler telle ou telle arborescence méritent un examen particulier car ils correspondent potentiellement à un phénomène anastomotique. Or, si au cours de l’extraction de 245 arborescences nous avons pu globalement observer et interpréter certains phénomènes par leur caractère répétitif (arcades vasculaires de la couche moyenne, shunt sous- corticaux, canaux préférentiels…), nous n’avons pas pris le temps de les quantifier précisément. Ce travail fait partie des projets prioritaires à mettre en œuvre dans la mesure où il existe d’une part de grandes incertitudes sur la réalité notamment fonctionnelle de ces anastomoses et qu’indépendamment des implications cliniques que peuvent avoir leur caractérisation précise, nombre de tentatives d’interprétation du signal en imagerie fonctionnelle (88) ou d’essais de modélisation des processus d’angiogénèse (37, 82) supposent notamment l’absence de shunt artério-veineux.

Les anastomoses intra-corticales ont fait l’objet de descriptions spécifiques (51, 121)

. Les anastomoses artérielles pouvant pour les uns être définies comme une entité anatomique (2) ou ne pouvant être discernées au sein d’un réseau capillaire continu pour les autres (121). Les anastomoses veineuses ne sont jamais retrouvées (2, 34, 121), ce que nous pouvons corroborer. Les shunts intra-corticaux (joignant des troncs de diamètre importants) sont considérés comme rares ou absents (121), par contre les anastomoses artério-veineuses, considérées comme des « canaux préférentiels » capables de redistribuer le volume sanguin en fonction de la demande fonctionnelle, semblent relativement fréquentes (51). Elle constitue pour Ravens un système évolué de la microcirculation corticale (neo-

vascular system) en opposition avec un système vestigial (paleo-vascular system) fait d’anastomoses de grand diamètre, séquelles de la disposition en boucles artério-veineuses rencontrée chez certains invertébrés (ver de terre), les vertébrés inférieurs et certains mammifères tels que les marsupiaux (opossum) (20, 81, 84, 146)

. Par contre certains auteurs insistent sur le fait qu’il est difficile de prouver la réalité de ces anastomoses à partir d’observations en microscopie optique. (34, 130). « Contrôle Réseau » est ici particulièrement adapté et les pistes ouvertes par ce travail préliminaire pourraient conduire à une description plus systématique de cette particularité.

8 PERSPECTIVES D’APPLICATIONS ET CONCLUSION