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1.5 Elasticit´´ e non-lin´eaire

Une onde ´elastique est une perturbation locale et r´eversible du milieu mat´eriel dans lequel elle se propage. Sa dynamique temporelle et sa propagation d´ependent alors des propri´et´es m´ecaniques du milieu. Dans le cas d’ondes de faible amplitude ou de mi-lieu homog`ene, le comportement du mat´eriau au passage de l’onde est dit lin´eaire et ne d´epend donc, ni de l’intensit´e ni de la forme de celle-ci. En revanche, pour des mat´ e-riaux plus complexes tels que les roches, incluant des h´et´erog´en´eit´es, des comportements non-lin´eaires apparaissent. Ils se traduisent alors par une d´ependance des propri´et´es du mat´eriau notamment vis a vis de l’amplitude de l’onde le traversant. Deux types de non-lin´earit´e se distinguent dans la litt´erature. Celle dite « classique » est couram-ment expliqu´ee dans la th´eorie par la prise en compte de termes d’ordres sup´erieurs dans la loi de Hooke. Cette th´eorie ne permet cependant pas d’expliquer une partie des ph´enom`enes non-lin´eaires observ´es. Ils sont alors regroup´es sous la d´enomination de non-lin´earit´e « non-classique ». Les observations font alors ´etat d’effets de m´emoire et d’hyst´er´esis constat´es en premier lieu lors d’exp´eriences portant sur des ´echantillons de roche (Johnson et al. (1996), Guyer et al. (1995), Guyer et Johnson (1999)). Cette non-lin´earit´e caract´erise la d´ependance de la r´eponse d’un mat´eriau non pas `a la sollicitation `

a laquelle il est soumis mais `a son histoire. En effet, suite `a une sollicitation dynamique, les propri´et´es ´elastiques de celui-ci se d´egradent rapidement puis entament, apr`es l’ar-rˆet du chargement, un lent recouvrement vers leurs valeurs initiales. Johnson et Sutin (2005) d´esignent ces deux phases respectivement comme la Dynamique Non-lin´eaire Ra-pide Anormale (Anomalous Nonlinear Fast Dynamics (ANFD)) et la Dynamique Lente (Slow Dynamics (SD)). De nombreuses observations de Dynamique Lente ont ´et´e r´ eali-s´ees sur des ´echantillons en laboratoire (TenCate et al. (2000), Johnson et Sutin (2005)), sur des structures de g´enie civile (Clinton et al. (2006), Gu´eguen et al. (2016)) et mˆeme `

a l’´echelle de la croˆute terrestre (Peng et Ben-Zion (2006), Brenguier et al. (2008),Wu et al. (2009)) apr`es des s´eismes.

TenCate et al. (2000) ainsi que Johnson et Sutin (2005) indiquent que ce comporte-ment non-lin´eaire est dˆu `a la micro-structure des mat´eriaux. Ainsi, ils d´ecomposent ces derniers en un assemblage de grains li´es entre eux par des contacts et des joints (voir la figure 1.7 (a)). Ceux-ci, lors du conditionnement du mat´eriau peuvent alors ˆetre rompus par glissement frictionnel pour se reformer progressivement apr`es l’arrˆet du chargement. La dynamique temporelle logarithmique du recouvrement des propri´et´es ´elastiques ob-serv´ee par TenCate et al. (2000) (voir la figure 1.7 (b)) est alors expliqu´ee par les auteurs via le d´eveloppement math´ematique repris et comment´e ci-dessous.

Consid´erons un mat´eriau caract´eris´e par un module d’Young E0 au repos. Il est alors soumis `a un conditionnement se terminant `a un instant t que l’on choisit ´egal `a 0. La perturbation du module ´elastique r´esultant du chargement est alors not´ee δE(t) telle que E(t) = E0 + δE(t) (1.60) d´ecrit l’´evolution temporelle du module au cours de la phase de Dynamique Lente suivant l’arrˆet de la sollicitation. La quantit´e du module ´elastique non encore recouvr´ee, δE(t),

DYNAMIQUE DES STRUCTURES OBSERV ´EE `A PARTIR DE DONN´EES EXP´ERIMENTALES

Figure 1.7 – (a) Mod`ele de microstructure propos´e par Johnson et Sutin (2005) sous forme d’une matrice de grains solides associ´es entre eux par des contacts. (b) Dynamique temporelle du recouvrement de la fr´equence normalis´ee par la valeur asymptotique f0

et la d´eformation || appliqu´ee pour le conditionnement de l’´echantillon observ´ee par TenCate et al. (2000) sur divers mat´eriaux.

est proportionnelle `a la quantit´e de contact encore rompus `a l’instant t consid´er´e. Le temps caract´eristique de formation d’un contact suit une loi cin´etique dite d’Arrhenius traduisant le processus de saut par dessus des barri`eres d’´energie potentielle U (Bocquet et al. (1998)) :

τ (U ) = τ0eU/(kBT )

(1.61) avec une vitesse r correspondante :

r(U ) = ω0e−U/(kBT ) (1.62) avec τ le temps caract´eristique de formation d’un contact, τ0 un temps caract´eristique microscopique et ω0 = 1

τ0 sa pulsation correspondante, kB la constante de Boltzmann et T la temp´erature. Si on note ρ0(U ) la densit´e initiale de surface sans contact (imm´ edia-tement apr`es le conditionnement du mat´eriau), celle `a l’instant t s’exprime alors sous forme de d´ecroissance exponentielle :

ρt(U ) = ρ0(U )e−r(U )t (1.63) Les figures 1.8 (a) et (b) fournissent une visualisation d’un exemple pour r(t) et ρt(U ). La quantit´e δE(t) ´etant proportionnelle au nombre de contacts encore bris´es s’exprime donc :

δE(t) = −A Z U2

U1

dU ρt(U ) (1.64)

avec A une constante d’´echelle et U1 et U2 les limites inf´erieure et sup´erieure de la distribution d’´energie des barri`eres dans le mat´eriau. La diff´erence de module ´elastique

1.5 ´Elasticit´e non-lin´eaire

entre les temps t1 et t2 peut alors s’´ecrire :

E(t2) − E(t1) = A Z U2

U1

ρ0(U ) e−r(U )t1 − e−r(U )t2 dU (1.65)

Tant que la distribution ρ0(U ) ´evolue plus lentement qu’une exponentielle et que les temps ´etudi´es t1 et t2 sont dans les limites d´efinies par l’´equation 1.61 pour les limites ´energ´etique U1 et U2, la diff´erence de module ´elastique entre les temps t1 et t2 peut ˆetre approxim´ee par :

E(t2) − E(t1) ≈ Aρ0(Ucar)kBT Z inf 0 dr r e −t1r− e−t2r ≈ Aρ0(Ucar)kBT ln t2 t1  (1.66)

Ce d´eveloppement math´ematique reposant sur des lois ´etablies de la physique permet bien d’expliquer la dynamique logarithmique en temps du recouvrement des propri´et´es ´elastiques d’un mat´eriau apr`es une perturbation (voir la figure 1.8). Les lois utilis´es dans le d´eveloppement ci-dessus sont des lois g´en´erales de la physique et mˆeme de la chimie. Elles ne permettent donc pas de rendre compte d’un ph´enom`ene sp´ecifique mais donne acc`es aux ordres de grandeur des ´energies et dynamique en jeu au cours de la dynamique lente. On remarquera de plus que cette cin´etique n’est valable que dans un intervalle de temps d´elimit´e. En effet, cette loi ne permet pas d’explorer les temps infiniment courts et longs de par la divergence de celle-ci `a ces deux limites. TenCate et al. (2000) indique par exemple une ´energie caract´eristique Ucar environ ´egale `a 1 eV avec des limites temporelles correspondantes de l’ordre de 10 et 103 secondes.

Snieder et al. (2016), en reprenant les ´el´ements de base du d´eveloppement pr´ec´edent de TenCate et al. (2000), ont ´etablit une cin´etique respectant la variation logarithmique du temps pour les temps interm´ediaires mais convergeant aux temps courts et longs avec le raisonnement d´evelopp´e ci-dessous. Consid´erons l’´equation 1.67 d´ecrivant l’´evolution temporelle du module d’Young d’un syst`eme perturb´e `a l’instant t = 0 :

E(t) = E0+ SR(t) (1.67) avec S une constante d’´echelle et R(t) la fonction d´ecrivant le processus de relaxation. En supposant comme dans le raisonnement pr´ec´edent, une superposition de processus de relaxation caract´eris´es par des barri`eres ´energ´etiques d’activation U et des temps caract´eristiques τ correspondant, la fonction R(t) s’´ecrit alors :

R(t) =

Z τmax

τmin

P (τ )e−t/τdτ (1.68)

avec P (τ ) la densit´e d’´etat des temps de relaxation et les limites τmin et τmax ´etant calcul´ees avec la loi d’Arrhenius :

τmin = τ0eUmin/(kBT ) τmax = τ0eUmax/(kBT ) (1.69)

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Figure 1.8 – a) Loi cin´etique d’Arrhenius de r´etablissement des contacts. b) Densit´e de surface de contact non encore r´etablie (´echelle de couleur) en fonction du temps et de l’´energie d’activation. La densit´e initiale ρ0 est d´efinie comme ´etant uniforme. c) Recouvrement normalis´e δE(t)/δE(t1) calcul´e via l’int´egration de la densit´e de surface ρt(U ) (´equation 1.64) d´efinie discr`etement dans l’espace temps-´energie (visible en sous figure b)). La ligne en tirets rouge repr´esente une fonction en ln(t).

avec Umin et Umax les limites inf´erieure et sup´erieure de la distribution des ´energies d’activation dans le mat´eriau. Si N (U ) d´esigne la densit´e d’´etat des ´energies d’activation telle que de le nombre de m´ecanismes d’activation avec une ´energie entre U et U + dU est ´egal `a N (U )dU , la densit´e d’´etat P (τ ) s’´ecrit :

P (τ ) = N (U )dU

(1.70)

Or d’apr`es la loi d’Arrhenius 1.61, dτ dU = τ0 kBT e U/kBT = τ kBT (1.71)

Et donc P (τ ) s’´ecrit finalement :

P (τ ) = kBT

τ N (U ) (1.72) Si la distribution d’´energies d’activation N (U ) est uniforme et donc constante, et si la temp´erature T est ´egalement constante, la densit´e d’´etat P (τ ) est alors proportionnelle `a

1.5 ´Elasticit´e non-lin´eaire

1/τ . En int´egrant dans la constante S de l’´equation 1.67 l’ensemble des valeurs constantes de l’´equation 1.72, on peut ´ecrire la fonction R(t) :

R(t) = Z τmax τmin 1 τe −t/τ dτ (1.73)

Cette expression du recouvrement est valable quel que soit l’instant t positif ou nul. En effet, la fonction R(t) converge pour t tendant vers 0 vers la valeur :

R(0) = ln τmax τmin



(1.74)

et vers 0 pour t tendant vers l’infini (voir la figure 1.9) La cin´etique de R(t) pour τmin < t < τmax est cependant approximable par une fonction en ln(t). En effet, sa d´eriv´ee peut s’´ecrire : dR(t) dt = 1 t e −t/τmin − e−t/τmax (1.75)

En consid´erant τmin  t  τmax,

e−t/τmin ≈ 0 e−t/τmax ≈ 1 (1.76) d’o`u,

dR(t) dt ≈ −1

t (1.77)

En int´egrant l’´equation 1.77, avec B, une constante d’int´egration,

R(t) ≈ B − ln(t) (1.78)

Les recouvrements observ´es exp´erimentalement peuvent donc ˆetre caract´eris´es par dif-f´erents param`etres d’apr`es les deux d´eveloppements th´eoriques ci-dessus. Ainsi, la pente et l’amplitude de l’alt´eration, `a un temps initial, du module ´elastique ou d’une mesure ´equivalente (fr´equences modales par exemple) sont les deux variables d’importance se-lon la premi`ere th´eorie. La deuxi`eme fait, elle, intervenir des temps caract´eristiques τmin et τmax en lien avec les ´energies mises en jeu dans le processus de r´etablissement des contacts de tailles diff´erentes. Ces deux variables donnant des informations plus pr´ecises sur les h´et´erog´en´eit´es dans le mat´eriau (distribution de taille des fissures notamment) peuvent ˆetre d´etermin´ees `a partir des donn´ees en utilisant une r´egression non-lin´eaire entre les r´esultats exp´erimentaux et l’´equation 1.73. Cette m´ethode et l’application de cette th´eorie d´evelopp´ee par Snieder et al. (2016) peuvent cependant ˆetre remises en question par une r´esolution insuffisante aux temps courts pour d´eterminer τmin et une dur´ee d’enregistrement trop courte ne permettant alors pas d’observer la courbure finale et donc de mesurer τmax.

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Figure 1.9 – Fonction de relaxation R(t) pour a) τmax = 104 s et τmin = 1 s (noir), τmin = 10 s (bleu) et τmin = 100 s (rouge) et b) τmin = 1 s et τmax = 104 s (noir), τmax = 103

s (bleu) et τmax = 102 s (rouge)