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Certains effets de la variabilité du coût marginal de court terme de transport d'électricité

Conclusion du troisième chapitre

CHAPITRE 4 LE COÛT MARGINAL DE TRANSPORT EN PRATIQUE

4.5. Certains effets de la variabilité du coût marginal de court terme de transport d'électricité

Nous avons analysé dans les sections précédentes les situations dans lesquelles l'efficacité tarifaire des coûts marginaux de court terme est affectée par différentes formes de non-convexités dans les fonctions de coût de réseau, et quelques règles de bon sens applicables à ces situations. Il nous faut désormais aborder l'autre limite importante de l'efficacité des coûts marginaux de court terme, qui a trait au 'coût d'utilisation du mécanisme des prix'. La grande variabilité des coûts marginaux de court terme, conjuguée à leur imprévisibilité lorsqu'il s'agit de coûts constatés (ex post)"159 laissent en effet prévoir des inefficacités tant du côté de la demande que du côté de l'offre.

Quant à la demande, l'argument fréquemment avancé est que les consommateurs ne sont pas en mesure de faire des choix de long terme sur la base de prix variables à court terme même si ces prix sont connus à l'avance (argument de rationalité limitée). Cet argument, même s'il doit être modulé en fonction de la taille du client considéré, est néanmoins fondé : un arbitrage s'impose entre la recherche de l'efficacité instantanée et les considérations d'efficacité effective (incluant les coûts de transaction induits pour les consommateurs par un signal tarifaire très fluctuant).

1 5 6 M.C. Calviou et alii, op. cit., p. 386. 1 5 7 Transition Appendices... annexe 3, p. 16. 1 5 8 ibid., p. 12.

1 5 9 Cette variabilité est apparente dans l'exemple des fluctuations du prix du marché spot de l'électricité et Grande Bretagne.

Nous ne chercherons pas à quantifier cet effet que le modèle de base de la théorie marginaliste ignore ; on peut naturellement sortir du cadre du modèle de base, mais il convient alors de ne pas le faire 'unilatéralement' : l'argument de rationalité limitée ne s'applique pas aux seuls consommateurs mais également au producteur du service (ici : la compagnie de réseau). Il faut alors prendre en compte les effets possibles d'un biais dans les anticipations de ce dernier160.

L'invocation des coûts de transaction est une objection plus sérieuse : le système de prix ne doit être sophistiqué que dans la mesure où les gains résultant de la sophistication excèdent les coûts qu'elle induit. S'agissant toutefois des coûts de transaction supportés par les consommateurs, la littérature sur la tarification lui oppose classiquement les bonnes propriétés d'une gamme de tarifs optionnels : optimalement, un consommateur donné ne doit choisir un tarif plus sophistiqué que s'il en espère un gain supérieur au 'coût de réponse' qu'il devra consentir ; par le biais de tarifs optionnels, l'offreur du service (et donc du tarif) décentralise cette décision au niveau des consommateurs161.

Du côté de l'offre, l'on ne dispose pas d'un outil symétrique aux tarifs optionnels. Les coûts de transaction sont une réalité incontournable. Les prix doivent a minima être évalués et diffusés162. En termes généraux, le

monopole ne doit pas proposer un tarif sophistiqué si le bénéfice (social) attendu est inférieur au coût de la mise en oeuvre de ce tarif. Ce coût, qui ne doit pas être négligé, est cependant difficile à représenter de façon pertinente dans un modèle formel.

Mais un autre phénomène, souvent implicite et parfois clairement énoncé, est réputé limiter les propriétés bénéfiques de prix très variables : ceux-ci semblent induire une incertitude importante sur le revenu de l'offreur (ici la compagnie de réseau), incertitude considérée comme coûteuse à gérer163.

1 6 0 Redisons ici que cet argument ne tient naturellement pas pour n'importe quel consommateur, mais qu'il mérite d'être retenu lorsque l'on compare les anticipations de l'offreur du service et des gros consommateurs dont l'un des métiers est la prévision économique ; de plus, ce raisonnement s'applique sans doute mieux aux prévisions sur le coût de l'énergie que sur le coût du transport, mais les deux dimensions sont fortement liées.

1 6 1 Cf Brown & Sibley, op. cit., p. 67 sq.

1 6 2 Ce qui représente apparemment un coût non négligeable dans le cas de prix spot, si l'on en juge par le coût de gestion du pool anglais (réf XXX).

1 6 3 On peut penser par exemple que le coût des actions réglementaires garantissant que la compagnie de réseau retire de son activité un profit raisonnable (ou nul dans certains contextes

4.5.1. Un modèle élémentaire prenant en compte l'aléatoire

La discussion dont nous venons de résumer les principaux arguments, concerne tant la fourniture que le transport d'électricité164. Elle indique une

voie possible pour l'étude formelle des bénéfices et des coûts associés à l'adoption de prix 'contingents' de transport (reflétant les coûts marginaux de court terme), par comparaison à des prix uniformes. D'un côté, les prix contingents auraient une 'efficacité allocative' supérieure (mesurée par l'accroissement du surplus social), notamment à court terme. De l'autre, ils accroîtraient coûteusement l'incertitude sur les paramètres décisionnels de l'entreprise et sur son profit, induisant inefficacités de long terme et surcoûts de réglementation. Notre objet ici est d'affiner cette analyse dans le cadre d'un modèle élémentaire, conservant une géographie minimale à deux noeuds.

Soient une entreprise de transport et des consommateurs, dont on veut étudier le comportement dans un contexte aléatoire. Les aléas sont de deux sortes. D'une part, la loi de demande n'est pas connue ex ante avec certitude. En d'autres termes, la connaissance du prix dans un état du monde ne suffit pas à déterminer le niveau correspondant de la demande. (Cet aléa est compliqué par l'influence en boucle du niveau de la demande sur celui du prix.) D'autre part, le coût des facteurs de production du service de transport n'est qu'imparfaitement prévisible. Il s'agit en l'occurence du coût de l'énergie employée à la compensation des pertes de transport. Nous supposerons que ces deux aléas symbolisés dans la suite par les lettres grecques <p et \\f sont indépendants.

Avertissement. On trouvera dans la suite du texte la présentation du modèle puis la discussion des résultats obtenus. Les calculs sous-jacents ont été rassemblés dans l'annexe à la fin du document.

réglementaires) est d'autant plus élevé que les transferts financiers (hors recettes tarifaires) sont fluctuants et/ou importants.

,4 Ainsi les économistes de NGC, certainement convaincus pourtant de l'efficacité des prix spot pour le marché de l'énergie, la mettent en doute en matière de prix de transport (M.C. Calviou et alii, op. cit.)

La disposition à payer (ou l'utilité) des consommateurs dans l'état du monde co,co' est de la forme :

(4.5.1) Dans cette formule, co (resp. co') indice l'aléa sur la demande (resp. le coût de l'énergie) ; q©,©' désigne la demande de transport dans l'état du monde co.co' ; a, b, a', b' sont des paramètres relatifs à la demande ; enfin, q = Eqmcg,.

L'utilité espérée des consommateurs s'en déduit immédiatement : (4.5.2) La forme de cette fonction d'utilité obéit à l'hypothèse de l'espérance de l'utilité165. On voit d'après (4.5.1) que le comportement de consommation

dans l'état du monde co,co' dépend à la fois de la situation effective (constatée) et de la situation moyenne (ou plus rigoureusement de son anticipation par les consommateurs).

On dérive de la fonction d'utilité (4.5.2) la fonction de demande de transport dans l'état du monde <Ù,<Ù :

(4.5.3)

où les paramètres oc,p,P' s'expriment simplement en fonction des paramètres a,a',b,b'. Le double paramétrage permet un allégement sensible des écritures. P' représente une pseudo élasticité-prix de court terme. Nous supposons que l'élasticité-prix de court terme (y compris l'effet de décalage de la consommation des périodes à prix élevé vers les périodes à prix réduit) est faible par rapport à l'élasticité de long terme (qui renvoie par exemple aux choix d'équipement des consommateurs). Enfin, on comprend d'après la formule (4.5.3) l'effet de l'aléa (pa sur le niveau de la demande.

Comme précédemment (section 4.3), la fonction de coût de transport est de la forme :

(4.5.4) où l'on a noté \j/a' l'aléa sur le coût de l'énergie servant à la compensation des pertes, q est le vecteur des demandes dans les différents états du monde.

35 Voir la présentation et la discussion de l'hypothèse de l'espérance de l'utilité dans Jean-

Jacques Laffont, Economie de l'incertain et de l'information, Vol. 2 du Cours de théorie microéconomique (Paris : Economica, 1991), chap. 1. Cette hypothèse est amplement suffisante pour notre propos.

166 po u r u n e compréhension intuitive de ces régimes tarifaire, on peut voir le prix 'uniforme' comme un tarif stable sur l'année et annoncé à l'avance, et les prix 'contingents' comme des prix horaires constatés.

Table 4.5.1. Table comparative des principales grandeurs économiques significatives, selon le régime tarifaire

manière, en incitant les consommateurs à une meilleure utilisation des installations existantes. La ligne (2) du tableau montre que, dans le cadre du modèle, il n'en est rien : la valeur (espérée) du surplus social réalisée est indépendante du régime tarifaire. Il nous faut nous demander si ce résultat n'est pas seulement dû aux approximations de calcul qui tendraient à 'gommer' tout effet réel des prix contingents. L'analyse des autres résultats rassemblés dans le tableau 4.5.1 permet de rejeter cette explication.

On peut en effet affiner l'analyse. On observe alors (lignes (3) et (4) du tableau) que le régime tarifaire a des conséquences sensibles (au second ordre) sur le partage du surplus entre la compagnie de transport et les consommateurs. Le changement de régime d'un prix uniforme vers des prix

instantanés induit un transfert financier d'une valeur des consommateurs vers la compagnie. Ce transfert peut d'ailleurs être

significatif pour la compagnie puisqu'il est du second ordre non par rapport à son résultat financier (-F) mais par rapport à son chiffre d'affaire (pq).

Ceci nous conduit à moduler l'évaluation précédente reposant, comme seul indicateur, sur le surplus social de l'activité de transport. En effet, l'accroissement du profit de la compagnie de réseau par rapport à un profit initial négatif équivaut à un meilleur recouvrement des coûts de transport. Certes, les relations (4.5.6) nous indiquent que le comportement des consommateurs de transport n'en est pas modifié (en moyenne). Mais d'un point de vue plus général, cette amélioration signifie que les transferts financiers nécessaires pour assurer l'équilibre budgétaire de la compagnie de réseau (ou un niveau de profit raisonnable) sont moins importants dans un régime de prix contingents. La source potentielle d'inefficacités que constitue ce transfert1 6 7 s'en trouve diminuée. En particulier, les arbitrages

réglementaires entre consommateurs de transport et autres clients du réseau en sont facilités. En conséquence, les coûts de réglementation peuvent être diminués.

En revanche, l'incertitude sur le profit s'accroît dans un régime de prix contingents (ligne (5) du tableau). On peut supposer que cette incertitude induit à l'inverse du phénomène précédent un surcoût dans la réglementation de la compagnie de réseau.

4.5.3. Anticipations divergentes des agents économiques

Le modèle présenté ici offre des perspectives intéressantes pour analyser les effets de certains problèmes informationnels. Par exemple il se peut que la compagnie de réseau connaisse mal les caractéristiques de la demande, qu'elle surévalue son élasticité-prix ou qu'elle sous-évalue sa variabilité aléatoire. Ou bien, il se peut que les consommateurs anticipent mal le niveau moyen des prix. Le modèle précédent permet de représenter les effets de ces biais informationnels sur les décisions d'investissement, la valeur du surplus social ou le partage de ce surplus entre les agents. Ceci provient de ce que l'on peut représenter deux phases de décisions, des décisions 'de long terme' sur base d'informations anticipées, et des décisions 'de court terme' sur base d'informations observées qui peuvent être partiellement divergentes (la première phase influant de surcroît sur la seconde). Discutons brièvement un de ces cas, dont l'importance dans la réalité ne fait guère de doute.

4.5.4. Portée des résultats obtenus

La comparaison entre régimes tarifaires ne fournit pas dans le cadre de notre modèle de résultat clairement tranché. On peut cependant avancer une conclusion qualitative : en effet, la prise en compte des coûts d'administration et d'utilisation des prix contingents suggère qu'en l'absence de bénéfices directs nets en termes d'efficacité (accroissement du surplus social), l'avantage des prix contingents n'est pas probant. Le bénéfice d'un meilleur recouvrement des coûts ne doit pas être négligé ; il ne pourrait cependant être étudié de façon formelle que dans le cadre d'un modèle plus général.

La portée pratique de ce modèle est évidemment dépendante de la validité des hypothèses sous-jacentes. Considérons-les sucessivement. Nous avons d'abord supposé que les deux sources d'aléas (q> et y/) étaient indépendantes, loi qui n'est certainement pas rigoureusement vérifiée : en particulier, le coût marginal de production d'électricité est très corrélé au niveau de la demande. Cependant nous avons souligné plus haut le découplage partiel entre les fluctuations des quantités d'énergie fournie et celles des flux sur le réseau168. Cette hypothèse paraît donc justifiée en

première approximation. Ce choix est également rendu nécessaire par le fait que l'on ne possède pas une connaissance fine des phénomènes modélisés (notamment sur l'ampleur de l'aléa par rapport aux prévisions de consommation de transport). En d'autres termes l'amélioration du modèle passe par des études économétriques. La même remarque vaut pour la pseudo-élasticité /?'.

Une autre hypothèse est implicite dans le fait que le modèle ne représente pas les effets de la saturation des lignes. La prise en compte de T'inélasticité' des lignes ne semble toutefois pas devoir inverser les principaux résultats obtenus en en ce qui concerne les transferts financiers vers la compagnie, ou la variabilité de son profit. Car l'effet principal de l'inélasticité, qui est de renforcer l'accroissement du coût marginal de transport en fonction du flux transporté, apparaît essentiellement comme un prolongement du phénomène représenté par le modèle. Pour le reste nous renvoyons aux discussions des sections 4.1. et 4.2.

Sur un plan plus général, le problème qui nous occupe ici est de choisir la moindre de deux inefficacités. En optant pour un tarif uniforme alors que les coûts sont fluctuants, on crée des inefficacités parce que le signal tarifaire est inapproprié. En optant pour un régime de prix contingents, on restaure théoriquement les conditions de l'efficacité, à condition que les agents soient en mesure d'adapter leurs comportements à ces signaux.

De ce point de vue, l'une des justifications les p l u s contestables du régime de prix contingents est parfaitement résumée dans cet argument 'théorique' :

«Dans le principe, la question de savoir si les utilisateurs du réseau peuvent ou non adapter leur comportement à des différenciations tarifaires est sans objet, puisque l'efficacité économique requiert seulement que les prix reflètent adéquatement les coûts et ne présuppose aucunement que les agents économiques peuvent y adapter leur comportement.»^

Cette formule traduit à l'évidence une conception limitée de l'efficacité économique, car il ne sert à rien de mettre en oeuvre un dispositif coûteux pour émettre des signaux tarifaires qui ne produisent aucun gain d'efficacité dans le comportement des agents économiques qui les reçoivent.

1 6 9 National Grid, op. cit., p. 21. Les économistes de la compagnie anglaise mobilisent cet argument dans un autre contexte (celui de la differentiation géographique des prix), mais il est d'application immédiate à la question discutée ici.