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CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE ÉCONOMIE ET RHÉTORIQUE DES RÉSEAU

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CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE ÉCONOMIE ET RHÉTORIQUE DES RÉSEAU

N o u s voici parvenus au terme de la première partie de notre étude, dans laquelle nous avons mis en perspective historique dans différents contextes institutionnels le m o u v e m e n t actuel d ' o u v e r t u r e des réseaux électriques p o u r mieux en cerner les p r i n c i p a u x enjeux. Dans cette conclusion, nous poursuivons trois objectifs. N o u s voudrions (i) montrer que notre analyse est confortée par la comparaison avec d'autres industries de réseau, (ii) mettre en évidence les raisons profondes pour lesquelles selon nous il en est ainsi, et (iii) en tirer divers enseignements pour la suite de notre travail.

U n r a p i d e p a n o r a m a des é v o l u t i o n s r é g l e m e n t a i r e s affectant actuellement diverses industries de réseau révèle en effet des analogies surprenantes d ' u n secteur à l'autre. Le mouvement d'ouverture des réseaux est général1 8 0. Initié pour l'essentiel aux Etats-Unis181 pour s'étendre ensuite

en Europe, il concerne tant le transport aérien1 8 2 que ferroviaire1 8 3, les

t é l é c o m m u n i c a t i o n s1 8 4 que les services p o s t a u x1 8 5. La question de la

réglementation des conditions d'accès aux réseaux (et notamment des prix d'accès), ainsi que celle, liée, de la séparation comptable ou fonctionnelle des activités qui étaient a n t é r i e u r e m e n t intégrées au sein des monopoles

80 Voir pour un panorama européen le numéro spécial déjà cité des Annales des Mines (avril

1991).

81 Même si, sectoriellement, des réformes ont été entreprises antérieurement dans différents

pays. Ainsi le Chili a réformé son système électrique dès 1982 (voir S. Berstein, «Competition, marginal cost tariffs and spot pricing in the Chilean electric power sector», Energy Policy 369-77 (August 1988).

82 David Encaoua et Anne Perrot, Concurrence et coopération dans le transport aérien en

Europe, Rapport pour la direction générale de la Concurrence (Bruxelles: Office des publications officielles des communautés européennes, octobre 1991).

83 Conférence européenne des ministres des transports, La privatisation des chemins de fer,

Table ronde 90 (Centre de recherches économiques, 1993).

84 Nicolas Curien et Michel Gensollen, Economie des télécommunications, ouverture et

réglementation (Paris: ENSPTT/Economica, 1992).

85 Michael A. Crew and Paul R. Kleindorfer (éd.), Regulation and the Nature of Postal and

réglementés (unbundling), sont au coeur des débats politiques, juridiques, économiques et techniques dans ces différents secteurs.

Pourtant les caractéristiques économiques, la nature des services fournis, la tradition réglementaire diffèrent fortement d'un secteur à l'autre. S'agissant d'échanges d'information, l'obligation mutuelle de transit est évidemment essentielle. Il en va ainsi par exemple en matière postale186 :

cette obligation est contenue dans les dispositions de la première convention de l'Union postale universelle, tenue à Berne en 1874 !187 De ce point de vue,

l'exemple français d'un modèle homogène des services publics locaux188,

voire des services publics en général189 doit être vu davantage comme une

exception que comme la forme la plus aboutie d'une loi générale.

D'autre part, lorsque des notions réglementaires ont été transférées d'un secteur vers un autre, c'est parfois avec un délai considérable. Ainsi la nature d'essential facility des infrastructures ferroviaires est reconnue dans la jurisprudence américaine depuis 1912190, contre 1973 (comme nous l'avons

vu) pour les réseaux électriques d'interconnexion191. De sorte que c'est non

seulement de l'universalité du nouveau paradigme192 qu'il faut ici rendre

compte, mais encore de la synchronicité des évolutions qu'il produit (autour des années 1980).

186 Q£s io r s qu e je s différents Etats ou institutions privées ont été empêchées de ou ont renoncé à établir leurs propres réseaux postaux internationaux (c'est-à-dire dès à partir du XVème siècle en Europe).

1 8 7 On notera cependant que la fixation, à cette occasion, des droits de transit entre administrations postales a donné lieu à de vives controverses, «most acrimonious discussions», selon James I. Campbell, «The Future of the Universal Postal Union» in Michael A. Crew & Paul R. Kleindorfer (eds), op. cit., p. 10.

188 Y0jr Dominique Lorrain «Les services urbains, le marché et les politiques», in Claude Martinand (dir.), L'expérience française du financement privé des équipements publics (Paris : Economica & MELT/DAE1, 1994).

1 8 9 Georges Ribeill, «Réseaux techniques : le développement à la française», Metropolis 83-8 (n° 73-74, 2ème trim. 1986); Georges Ribeill, «Quelques aspects sur la longue durée de l'évolution du profil de l'opérateur de réseau», Cahiers du groupe Réseaux (LATTS-ENPC, n° 10, février 1988).

1 9 0 United States v. Terminal Rail Road Association, 224 U.S. 383 (1912). 1 9 1 Otter Tail Power Co v. United States, 410 U.S. 370 (1973).

1 9 2 Ainsi «malgré les différences entre les secteurs et entre les approches réglementaires du problème il y a un trait commun à toutes les réponses à la question des relations verticales entre concurrents [dans les secteurs] qui étaient préalablement soumis à une réglementation stricte. Les régulateurs ont établi un prix raisonnable d'accès des 'concurrents non-intégrés' aux segments de réseau pour lesquels cet accès est restreint, de manière à ce que la concurrence à armes égales (on equal terms) se substitue à la réglementation du reste du système.» (W. Tye, op. cit., p. 342).

Causes de nature générale

Certaines causes de ces évolutions sont largement reconnues. Le plus souvent, elles ne concernent pas spécifiquement les industries de réseau. On peut noter en premier lieu l'occurence simultanée de deux facteurs de changement exogènes. Les préoccupations environnementales, d'une part, qui ont motivé l'adoption par le Congrès américain de la loi PURPA de 1978 sont également l'une des justifications principales de la directive européenne d'ouverture des réseaux ferroviaires193. Les progrès technologiques rapides

dans les domaine des télécommunications et de l'informatique d'autre part, sont largement à l'origine des pressions en faveur de l'ouverture des marchés de télécommunications194, et de manière indirecte dans les autres secteurs de

réseau dont les modalités de gestion se sont trouvées modifiées195.

Puis, la diversification des besoins des consommateurs (tant individuels qu'industriels) exige une réponse mieux adaptée de la part des entreprises en général, et des entreprises de réseau en particulier. Or c'est une idée communément admise que des fournisseurs en concurrence sont incités à satisfaire au mieux les exigences de leurs clients —par opposition au monopole qui est suspecté de toujours chercher à plier la demande à ce qu'il souhaite offrir. La 'culture de marché' forme le socle d'une 'idéologie de la concurrence' qui pousse à la démonopolisation.

Dans le même temps, la croissance économique faible ou nulle qui, sauf exceptions, caractérise depuis deux décennies les sociétés occidentales produit un mouvement de rationalisation des dépenses des entreprises. Celles-ci, de plus en plus fortes consommatrices de services de réseau, remettent alors en cause les régimes de subventions croisées qu'elles alimentaient traditionnellement.

La stagnation ou la récession économiques mettent également les entreprises de réseau en situation de surcapacité (puisque la demande est moins élevée que prévu, ou diminue alors que la capacité d'offre est très

1 9 3 Directive 91/440, Journal officiel des communautés européennes, L237, 24 août 1991. 1 9 4 N. Curien et M. Gensollen, op. cit., p. 214-6.

1 9 5 Deux exemples importans sont : les systèmes informatiques de réservation dans les transports aériens ou de commercialisation dans les transports routiers de marchandises ; et les services de télécommunications fournis à partir des systèmes d'exploitation de certains réseaux techniques (distribution d'eau, d'électricité, de télévision câblée).

rigide à la baisse). Cette surcapacité196 conduit généralement à des hausses de

tarif. C'est alors la réglementation publique dans son ensemble qui est remise en cause. Ainsi du secteur électrique aux Etats-Unis : nous avons vu comment la légitimité des commissions de réglementation était bousculée, tant au niveau des Etats qu'au niveau fédéral, et comment celles-ci pouvaient chercher à recouvrer partiellement celle-là en donnant un rôle accru aux mécanismes 'anonymes' de la concurrence. L'ouverture des réseaux devient alors le symbole d'une réglementation à distance (arm's length regulation). Cependant, l'analyse concrète des évolutions réglementaires met en évidence une réglementation de plus en plus détaillée.

Causes de nature plus spécifique

Nous en arrivons ainsi aux causes plus spécifiques de la convergence réglementaire actuelle. Les résistances montantes à l'intervention économique de la puissance publique, confortées en Europe par la montée en puissance de la Commission européenne essentiellement fondée sur les dispositions libérales du Traité CEE, favorisent la promotion de la régulation marchande. Cette évolution s'applique principalement aux secteurs de réseau.

Mais cela ne suffit encore pas à expliquer la similarité observée dans les modalités d'évolution réglementaire. Un facteur explicatif essentiel provient en effet de ce que nous appellerons ici la 'rhétorique des réseaux'. Depuis Saint-Simon, les réseaux techniques sont collectivement perçus comme l'instrument privilégié d'action de la puissance publique sur l'organisation économique et sur la cohésion territoriale197. Cette vision est celle des

fondateurs de l'Europe, exprimée à la conférence de Messine198. Selon les

termes de la résolution finale, la première disposition de nature économique propre à favoriser l'établissement d'une Europe unie est

«l'étude en commun de plans de développement axés sur l'établissement d'un réseau européen de canaux, d'autoroutes, de lignes électrifiées et sur une

ib Eventuellement jointe à des taux d'intérêt élevés qui alourdissent le poids de la dette des

companies.

?7 Gabriel Dupuy, article «Réseau», Encyclopedia Universalis XXX

^ La conférence de Messine (1955) est une étape essentielle de la formation de la Communauté économique européenne.

standardisation des équipements, ainsi que la recherche d'une meilleure coordination des transports aériens.»199

Plus près de nous, c'est aussi la vision de la Commission européenne :

«Les exigences du fonctionnement du marché intérieur peuvent être comparées à celles d'un organisme en croissance. Il doit posséder quatre éléments fondamentaux : un système de circulation sanguine (les infrastructures de transport), un système nerveux (les infrastructures de télécommunications), un système musculaire (les réseaux d'énergie) et un système cérébral (les équipements éducatifs).»200

Elle est notamment incarnée dans les projets actuels de réseaux trans- européens, prévus dans le Traité de l'Union européenne (titre XII) et repris dans le livre blanc de la Commission européenne sur la croissance, la compétitivité et l'emploi201.

Mais cette rhétorique des réseaux est aussi à l'origine de phénomènes de contagion réglementaire. Réunis par l'analyse de politique économique, ils deviennent liés en matière de pratique réglementaire. Si l'on en croit Ronald Coase, cette contagion des approches réglementaires n'est pas un phénomène nouveau. Evoquant la réforme de 1839 qui introduisit un tarif postal uniforme en Grande-Bretagne, l'économiste (historien pour l'occasion) note :

«il ne fait pas de doute que la revendication de prix uniformes sur l'ensemble du territoire national pour le téléphone et l'électricité (par exemple) est largement suscitée par la référence aux prix uniformes effectivement mis en oeuvre dans le cas du service postal202.»

Cette contagion réglementaire est aujourd'hui un facteur décisif pour analyser le mouvement général d'ouverture des réseaux. Un exemple tiré de la pratique de la Commission européenne suffira à l'attester. En même temps que le projet de directive «concernant des règles communes pour le marché

1 9 9 Titre I, art. Al.

2 0 0 Towards Trans-European Networks, Com (90) 310 final (Bruxelles: Commission des communautés européennes, 19 juillet 1990).

201 CCE, Pour entrer dans le XXlème siècle. Croissance, compétitivité, emploi, Livre blanc de la Commission des communautés européennes, présenté par Jacques Delors (Paris Ramsay, 1994). On peut aussi songer aux projets d'autoroutes électroniques, très en vogue aux Etats-Unis comme en Europe.

2 0 2 Ronald H. Coase, «Rowland Hill and the Penny Post», Economica 423-35 (November 1939), p. 424. L'ironie de l'histoire veut que Hill ait en fait préconisé l'inverse de la péréquation, mais au contraire une tarification reflétant les coûts, en l'occurence un prix double pour la distribution postale à la campagne!

intérieur de l'électricité»203, la Commission a diffusé un projet de directive

«concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel». Au-delà des intitulés, la plupart des dispositions sont au mot près identiques dans les deux textes204. L'on voit ainsi que, si les objectifs réglementaires ont

changé, le mécanisme de 'contagion' perdure.

Conséquences pour notre étude

Les réseaux partagent certaines caractéristiques économiques (existence de coûts fixes élevés et plus généralement de rendements croissants, importance des effets externes). Les services qu'ils fournissent comportent des dimensions d'intérêt économique général (qui justifient un certain degré de régulation publique). D'autres raisons, celles que nous venons de développer, contribuent à faire converger les considérations économiques et sociales qui président aux évolutions réglementaires en cours dans les différentes industries de réseau. C'est pourquoi notre étude s'enrichit de la comparaison avec d'autres industries de réseau : ces évolutions traduisent une même conception réglementaire et soulèvent les mêmes enjeux.

Pour autant le mécanisme de contagion décrit ci-dessus ne peut suffire à justifier les transferts de notions théoriques ou de pratiques réglementaires. Nous aurons dans la suite de notre étude l'occasion d'illustrer cette réserve méthodologique par rapport à la question de Yunbundling qui soulève dans le cas de l'électricité des difficultés spécifiques. Tant d'un point de vue conceptuel que d'un point de vue pratique, en effet, la séparation des coûts de production et des coûts de transport d'électricité comporte nécessairement une part d'arbitraire205.

2 0 3 Analysé supra.

2 0 4 En particulier le projet de directive 'gaz' inclut des dispositions sur des règles et des prix non discriminatoires d'accès aux réseaux de transport (articles 11, 12) et sur la séparation comptable et organisationnelle des fonctions de prodution, transport, stockage et distribution (chapitre V).

PARTIE B

LA TARIFICATION AU COÛT MARGINAL