• Aucun résultat trouvé

Effets relatifs de la perte et de la fragmentation per se de l’habitat

CHAPITRE 5 - DISCUSSION GENERALE

V.1.1 Effets relatifs de la perte et de la fragmentation per se de l’habitat

Bien qu’il existe de nombreux questionnements quant aux effets de la fragmentation des habitats sur la biodiversité, un résultat consensuel se dégage. En effet, il est maintenant plutôt bien accepté que la perte d’habitat à un effet important sur la biodiversité. En revanche, l’effet de la fragmentation per se est, soit considéré comme faible voir absent par les uns, soit considéré comme potentiellement important par les autres (Miller-Rushing et al. 2019).

Pour certains auteurs, la fragmentation per se a un effet mineur par rapport à la perte d'habitat et il n’est pas obligatoire de la prendre en compte pour expliquer les patrons de biodiversité observés. Cette idée a été conceptualisée avec l’Habitat Amount

Hypothesis (HAH ; Fahrig 2013), qui suggère que la quantité d'habitat dans un paysage

est le principal déterminant de la richesse spécifique et que la configuration spatiale des parcelles dans le paysage n’a que peu d’effet sur la richesse observée. Une manière indirecte de tester l’HAH consiste à comparer la courbe de richesse cumulée en fonction de la superficie d’habitat, soit par un échantillonnage de la plus petite à la plus grande parcelle (Figure 41 boite bleue), soit de la plus grande à la plus petite (Figure 41 boite rouge). Si l’effet de la configuration spatiale des parcelles est faible, les deux courbes doivent se superposer (Figure 41a). En revanche, s’il est fort, les deux courbes ne doivent pas se superposer (Figure 41b et c). Dans ce contexte, des travaux ont validé cette hypothèse (Melo et al. 2017, De Camargo et al. 2018, Archaux et al. 2018, Watling et al. 2020) mais dans un même temps, d’autres l’ont rejetée (Haddad et al. 2017, Torrenta & Villard 2017, Lindgren & Cousins 2017). Il y a deux principaux arguments qui sont à l’origine de cette position quant à l’effet mineur de la fragmentation per se. Premièrement, les effets sont faibles et généralement non significatifs quand ceux-ci sont testés indépendamment de la perte d’habitat (Fahrig 2003, 2013). Deuxièmement, les effets de la fragmentation per se qui sont significatifs sont généralement conduits à l’échelle des parcelles. Or, les études à l'échelle des parcelles ne permettraient pas de faire la différence entre la perte et la fragmentation per se de

l’habitat : une parcelle est plus petite et plus isolée seulement parce qu’il y a une surface réduite de l'habitat dans le paysage. De plus, les mécanismes observés à l’échelle de la parcelle ne sont pas forcément extrapolables à l’échelle du paysage. Fahrig (2017) considère donc qu’il ne faut pas les prendre en compte (un effet lisière négatif au niveau

Figure 41 : Courbe de richesse cumulée en fonction de la surface des parcelles échantillonnées, soit par ordre croissant de superficie (points bleus sur les graphiques a, b et c ; séquence d’échantillonnage des parcelles (délimitées en vert) représentée dans la boite

bleue), soit par ordre décroissant de superficie (points rouges sur les graphiques a, b et c ; séquence d’échantillonnage des parcelles représentée dans la boite rouge). (a) Représentation graphique de « L'Habitat Amount Hypothesis », qui prédit que le nombre

d'espèces devrait augmenter avec la superficie totale, quel que soit le nombre, la taille ou l’isolement des parcelles constituant ce total. Dans ces conditions, la fragmentation per se

n’a donc pas d’importance, seule la quantité d’habitat est importante pour expliquer la richesse spécifique observée. (b) Lorsque la fragmentation per se a un effet négatif sur la

richesse spécifique, plusieurs petites parcelles contiennent moins d'espèces qu'une seule grande parcelle. Au contraire, (c) lorsque la fragmentation per se a un effet positif sur la

richesse spécifique, à surface d’habitat échantillonnée égale, plusieurs petites parcelles contiennent plus d'espèces qu'une seule grande parcelle.

de la parcelle ne veut pas dire qu’il y a forcément un effet négatif de la fragmentation

per se à l’échelle du paysage). En opposition à cela, Fletcher et al. (2018) considèrent

que la perte d’habitat a un effet majeur sur la biodiversité. Ils défendent ainsi la nécessité de la prise en compte des études menées à l’échelle de la parcelle. Pour eux, même si la fragmentation per se est un processus paysager, les changements se font à l’échelle de la parcelle et ces études permettent d’appréhender les mécanismes par lesquels la fragmentation per se influence la biodiversité (un effet lisière négatif au niveau de la parcelle suggère un effet négatif de la fragmentation per se à l’échelle du paysage). Ils prennent l’exemple d’une étude conduite au niveau de parcelles qui sont soit reliées par des corridors (parcelles non-fragmentées), soit isolées (parcelles fragmentées) avec une quantité d’habitat qui est contrôlée (Haddad et al. 2017). Ces travaux ont, en plus d’invalider l’Habitat Amount Hypothesis, montré un effet de la connectivité aussi fort que la quantité d’habitat sur la richesse en espèces.

Si l’on place nos résultats dans ce débat, nous avons montré que la fragmentation per se avait un effet supérieur à celui de la perte d’habitat, que ce soit au niveau de la prévalence de plusieurs parasites hémosporidies (Annexe 1), au niveau de la structure des réseaux d’interactions hôtes-parasites (Annexe 2) ou au niveau de la compétition apparente potentielle entre espèces-hôtes (Annexe 4). Cet effet supérieur de la fragmentation per se a par ailleurs été observé, que l’on prenne en compte des mesures de la fragmentation des habitats au niveau des parcelles (Annexe

1) ou non (Annexe 2 et 4). Il ne dépend donc pas de l’échelle spatiale utilisée (i.e.,

parcelle et/ou paysage). Dans ce contexte, nos résultats ne sont donc pas en accord avec les travaux qui affirment que la fragmentation per se de l'habitat a un effet beaucoup plus faible sur la biodiversité que la perte d'habitat (Trzcinski et al. 1999, Cushman & McGarigal 2003, Fahrig 2003, 2013, Ferraz et al. 2007, Uezu & Metzger 2011, De Camargo et al. 2018). Ici, nous avons montré que l’effet de la fragmentation

per se était supérieur à la perte d’habitat sur plusieurs réponses biologiques, même s’il

est à noter que nous avons étudié les mêmes modèles biologiques et les mêmes territoires. La modification de la structure des réseaux hôtes-parasites et l’augmentation de la prévalence chez la majorité des combinaisons hôte-parasite étudiées sont deux manières complémentaires d’étudier les effets de la perte et la fragmentation per se de l’habitat mais ne sont pas pour autant mutuellement exclusive. En effet, un même mécanisme pourrait être la fois responsable de la réponse des prévalences et de la structure des réseaux à la fragmentation (Figure 42). L’augmentation de la fréquence de déplacement des oiseaux dans la matrice pourrait

augmenter le contact entre l’hôte et le vecteur [qui est globalement plus abondant dans la matrice (Grieco et al. 2006, Yasuoka & Levins 2007, Steiger et al. 2012, Diallo et al. 2019)]. Cela pourrait à la fois être responsable d’une augmentation de la prévalence des parasites (cf. Annexe 1) et responsable d’une modification de la structure des réseaux d’interactions (cf. Annexe 2).

Figure 42 : Mécanisme possible permettant d’expliquer l’effet de la fragmentation per se de l’habitat sur la prévalence en hémosporidies et sur la structure du réseau d’interactions (e.g., par une spécialisation des espèces dans ce réseau). Les flèches bleues indiquent une augmentation. Les points rouges correspondent à des points d’intérêts pour les oiseaux (site

de nourrissage ou de reproduction par exemple). Les traits rouges représentent les déplacements que les oiseaux doivent faire pour se déplacer d’un point d’intérêt à un autre,

soit au sein de la forêt (représentée en vert), soit dans la matrice (en gris).

Il est maintenant intéressant de discuter du contraste existant entre la littérature et nos résultats ainsi que leurs explications possibles. D’abord, les conclusions sur les effets relatifs de la perte et de la fragmentation per se de l’habitat sont très largement basées sur l’étude des milieux tempérés (Fahrig 2003). Or, dans les milieux tropicaux, l’effet lisières pourrait être plus fort (Lindell et al. 2007). En effet, de nombreuses espèces tropicales ont un fort comportement d’évitement des lisières

et sont incapables de traverser des clairières, même étroites (Laurance et al. 2009). Dans ce contexte, les forêts tempérées ont déjà subi de grosses dégradations de leurs milieux et les espèces strictement forestières pourraient donc soit déjà avoir disparu, soit s’être adaptées et donc être à ce jour, plus tolérantes à ces perturbations au niveau des lisières (Betts et al. 2019). D’une manière plus générale, il a été proposé que les oiseaux tropicaux pouvaient être plus impactés par la fragmentation per se, car ces espèces ont des distances de dispersion et de colonisation plus faibles que les oiseaux en milieux tempérés (Harris & Reed 2002). Une plus forte diversité d’espèces dans les tropiques conduirait à des aires de répartition plus petites et des barrières au mouvement plus grandes pour les populations d’une espèce par le biais d’une compétition entre les individus plus importante. Les oiseaux seraient donc globalement plus spécialisés à leurs habitats et donc plus sensibles à la fragmentation

per se de ceux-ci que leurs homologues en milieux tempérés.

La deuxième explication possible du contraste entre nos résultats et la littérature est la réponse de la biodiversité utilisée. Nous avons montré que la fragmentation per se avait un effet plus fort que la perte d’habitat sur les interactions entre les hôtes et leurs parasites. La réponse étudiée n’est donc pas la richesse ou l’abondance en espèces, mais l’interaction entre les espèces. La fragmentation a beaucoup été étudiée pour son effet sur les nœuds (les espèces) des réseaux écologiques et non sur les liens (les interactions). Il est donc possible que ces deux composantes (les nœuds et les liens) n’aient pas une réponse similaire à la perte et la fragmentation

per se de l’habitat. La quantité d’habitat pourrait être un paramètre critique pour la

persistance d’une espèce dans une zone donnée, alors que la connectivité de l’habitat pourrait être le paramètre critique pour expliquer la présence d’une interaction entre deux espèces dans une zone donnée. Les nœuds seraient donc plus sensibles à la perte d’habitat alors que les liens seraient plutôt sensibles à la fragmentation per se de l’habitat. Cette hypothèse d’une sensibilité des nœuds et des liens des réseaux écologiques à la perte et la fragmentation per se demande à être appuyée par plus de travaux à la fois théoriques et empiriques et pourrait remettre en question le consensus selon lequel les effets de la fragmentation per se sont plus faible que les effets de la perte d’habitat sur la biodiversité.

Dans ce contexte, cinq études ont évalué les effets relatifs de la perte et de la fragmentation de l'habitat sur les interactions hôte-parasite. Bien que ce nombre très faible études ne permettent pas d’établir une tendance générale, l’ensemble de celles-ci ont mis en évidence un effet significatif de la fragmentation per se de l'habitat, alors que seulement la moitié d’entre elles ont détecté un effet de perte d'habitat (Roland 1993, Steckel et al. 2014, Pérez-Rodríguez et al. 2018, With & Pavuk 2019, Simpson et al. 2019). Les travaux de Steckel et al. (2014) permettent d’ailleurs d’appuyer en partie notre hypothèse. Ces auteurs ont montré, à partir d’un système hôtes (abeilles et guêpes) - parasites (diverses espèces), que la composition du paysage (i.e., la perte d’habitat) était très importante pour expliquer la richesse spécifique des hôtes alors que la configuration du paysage (résultant de la fragmentation per se de l’habitat) était très importante pour expliquer le taux de parasitisme et la richesse spécifiques des parasites. Ils en concluaient que les programmes de gestion de la conservation devaient accorder une importance à la fois à la composition et à la configuration du paysage pour préserver la diversité fonctionnelle et les interactions trophiques dans les paysages fragmentés.

V.1.2 La fragmentation des habitats est-elle bénéfique pour la biodiversité du point

Documents relatifs