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Contexte général et méthodologie

CHAPITRE 3 - EFFETS RELATIFS DE LA PERTE ET DE LA FRAGMENTATION

III. 1 : E FFETS SUR LA PREVALENCE DE PLUSIEURS COMBINAISONS HOTE - PARASITE

III.1.1 Contexte général et méthodologie

Il existe différents descripteurs permettant de quantifier la relation entre un hôte et son parasite. Ces descripteurs sont mesurés à l’échelle de l’individu-hôte à partir : (i) de la présence ou de l’absence d’un parasite chez cet individu et (ii) du nombre de parasites que l’on trouve au sein de cet individu. Ces données individuelles permettent par la suite de calculer des descripteurs à l’échelle de la population. Parmi ces descripteurs, les deux plus important sont la prévalence et l’intensité moyenne de l’infection d’un parasite au sein d’une population-hôte. La prévalence correspond au nombre d'hôtes infectés par un parasite divisé par le nombre total d'hôtes dans la population alors que l'intensité de l’infection (aussi appelé parasitémie) est le nombre moyen de parasites que l’on trouve au sein d’un hôte infecté dans la population (Bush et al. 1997). La prévalence est plus simple à étudier que l’intensité de l’infection, car elle ne nécessite que la détection de la présence du parasite chez un individu-hôte et non le dénombrement des parasites présents au sein de celui-ci. Dans ce contexte, le fait qu'un individu soit infecté par un parasite donné dépend des facteurs environnementaux qui influencent l'exposition de l’hôte au parasite, par exemple les effets météorologiques ou de la fragmentation sur le développement et l’abondance du vecteur, ainsi que des facteurs intrinsèques de l'hôte qui influencent sa résistance, par exemple sa constitution génétique, son âge, sa condition corporelle ou encore son immunité (Knowles et al. 2011). Bien que ces deux types de facteurs (environnementaux et intrinsèques de l'hôte) ne soient pas mutuellement exclusifs pour expliquer les patrons d’infections, certains travaux suggèrent que la prévalence serait plutôt sensible aux variations environnementales alors que l’intensité de l’infection serait plutôt liée à la résistance de l’hôte (Loiseau et al. 2013, Bichet et al. 2014).

Dans l’optique de déterminer les effets de facteurs environnementaux tels que la perte et la fragmentation per se de l’habitat sur l’interaction entre un hôte et son parasite, la prévalence semble donc être un bon descripteur à utiliser. Elle est par

ailleurs le descripteur le plus utilisé (Bush et al. 1997) et permet donc de mettre les résultats obtenus en parallèle avec d’autres études empiriques. En effet, il existe dans la littérature un grand nombre de travaux qui traitent de l’effet de la fragmentation des habitats et plus largement du changement d’utilisation des sols sur la prévalence parasitaire (revue par Brearley et al. 2013, Gottdenker et al. 2014, White 2015). Globalement, plus de la moitié des publications utilisées dans les méta-analyses ont montré une augmentation de la prévalence en parasites en réponse à la fragmentation des habitats, à l’urbanisation ou au développement de l’agriculture (Tableau 4). Cependant, cette augmentation est loin d’être une règle générale puisqu’il existe aussi des exemples de baisse de la prévalence, ou même une réponse variable à ces changements d’utilisation des sols et cela même en n’étudiant que des hôtes et/ou des parasites proches. Par exemple, Ferraguti et al. (2020) n’ont pas montré de réponse tranchée de la prévalence parasitaire aux changements d’utilisation des sols alors qu’ils ne se sont focalisés que sur un système hôtes-parasites (i.e., le système oiseaux-hémosporidies). Bien que les études concluent souvent que la fragmentation des habitats augmente la transmission de parasites, il est encore difficile de déterminer si des principes écologiques généraux régissent les réponses des interactions hôtes-parasites aux changements environnementaux ou si ces interactions sont uniquement dépendantes de certains paramètres [i.e., hôtes, parasites ou environnements locaux étudiés (Gottdenker et al. 2014)].

Tableau 4 : Revues de littérature sur l’effet du changement d’utilisation des sols (tous types de changement confondus) sur la prévalence parasitaire. Les publications qui ont montré une augmentation, une diminution ou une relation variable (à la fois une augmentation et

une diminution) significative ont été relevées pour chacune de ces revues de littérature. Ferraguti et al. (2020) ne se focalisent que sur un système hôtes-parasites

(oiseaux-hémosporidies) alors que les autres revues ont un large panel de systèmes.

Publication Augmentation Diminution Variable Brearley et al. 2013 10 (53%) 4 (21%) 5 (26%) Gottdenker et al. 2014 116 (58%) 21 (11%) 62 (31%)

White 2015 22 (63%) 6 (17%) 7 (20%) Ferraguti et al. 2020 5 (50%) 3 (30%) 2 (20%)

Dans ce contexte, pour un même parasite, la prévalence chez deux hôtes peut répondre différemment et c’est par exemple le cas pour deux espèces de singes du parc national de Kibal en Ouganda. Le Colobe bai à tête rousse (Procolobus rufomitratus) a une prévalence en parasite qui augmente en milieux fragmentés alors qu’elle

n’augmente pas pour le Colobe guéréza (Colobus guereza). Il a été suggéré que ces réponses variables pourraient être dues au fait que le Colobe guéréza était capable d’exploiter les cultures agricoles à proximité, ce qui lui permettait de minimiser le stress nutritionnel causé par la fragmentation contrairement au Colobe bai à tête rousse qui n’exploitait pas ces cultures (Chapman et al. 2006, Gillespie & Chapman 2008). De plus, pour un même hôte, la prévalence de deux espèces-parasites différentes peut répondre différemment à la fragmentation des habitats (Chasar et al. 2009, Valdespino et al. 2010, Rakotoniaina et al. 2016, Carbayo et al. 2019, Forti et al. 2020). C’est par exemple le cas chez deux espèces d’amphibiens (Crossodactylus

caramaschii et Crossodactylus schmidti) que l’on trouve en forêt atlantique

brésilienne. Chez ces deux espèces-hôtes, la prévalence d’un microparasite (Batrachochytrium dendrobatidis) augmentait avec la fragmentation forestière alors que la prévalence en helminthes (Nematoda) diminuait (Forti et al. 2020). Les auteurs ont suggéré que ces deux types de parasites ne répondaient pas de la même manière, car des mécanismes spécifiques au système hôte-parasite pouvaient être à l’œuvre [i.e., variation de diversité d’hôtes potentiels, des conditions de microclimat ou de la réponse immunitaire de l'hôte (Forti et al. 2020)].

Si la bibliographie décrit des effets divers de la fragmentation des habitats sur les prévalences parasitaires, la plupart des études sont basées sur une approche qualitative (une comparaison unidimensionnelle) entre des sites fragmentés et non-fragmentés. L’utilisation d’une approche quantitative est rare et peu d’études ont tenté de séparer les effets indépendants de la perte d'habitat et de la fragmentation per se. Cette compréhension est pourtant essentielle pour la conservation de la faune dans les paysages modifiés par l'homme, en particulier dans les zones où des augmentations de la prévalence parasitaire ont déjà été observées (Brearley et al. 2013). De plus, la grande majorité des études restent focalisées sur une seule espèce-hôte, ce qui reste encore limité pour comprendre l’effet de la fragmentation aux échelles d’organisation supérieures (communauté et écosystème). Dans ce contexte, il a été proposé que les études dans le futur devaient inclure l’effet de la fragmentation des habitats sur la prévalence de tous les hôtes et/ou réservoirs disponibles (White 2015).

Dans l’étude que nous avons conduite (Annexe 1) nous avons ainsi comparé la réponse de la prévalence de plusieurs hémosporidies à la perte et la fragmentation per

se de la forêt chez six espèces de passereaux forestiers en Guadeloupe et en Martinique

(Figure 19). La Guadeloupe et la Martinique sont deux îles voisines au même climat tropical et où la pression anthropique (si l’on exclut l’histoire précolombienne insuffisamment documentée à ce sujet) a commencé à la fin du XVe siècle avec l'arrivée des Européens aux Antilles (Ricklefs & Bermingham 2008). Nous avons donc testé la variabilité des réponses de la prévalence parasitaire à la perte d’habitat et la fragmentation per se en utilisant des espèces de parasites proches dans la même zone géographique et dans un système de fragmentation similaire.

Dans le système oiseaux-hémosporidies, les insectes vecteurs sont très sensibles aux changements de température et de microclimats, tandis que les oiseaux sont très affectés par les changements de taille, de forme, d'isolement et autres caractéristiques du paysage forestier (Santiago-Alarcon & Marzal 2020). Il est donc important dans ce système de prendre en compte à la fois les effets de la structure du paysage (i.e., la perte et la fragmentation per se de l’habitat) et les effets météorologiques sur la prévalence, car ces deux facteurs sont potentiellement importants. Cette prise en compte à la fois des facteurs de fragmentation et météorologique est assez rare (Pérez-Rodríguez et al. 2013, Gonzalez-Quevedo et al. 2014, Pérez-Rodríguez et al. 2018), les études se focalisant généralement sur les effets de l’un sans contrôler pour ceux de l’autre. Les objectifs spécifiques de notre étude étaient alors de tester les effets relatifs de la structure du paysage par rapport à la météorologie (et à la topographie) pour expliquer les patrons de variabilité spatiale de la prévalence parasitaire et de mesurer les effets relatifs de la perte et de la fragmentation per se de l’habitat forestier sur ces variations spatiales de prévalence. Finalement, nous avons déterminé le sens de la relation (i.e., positive ou négative) entre ces différentes composantes de la structure du paysage et la prévalence.

Figure 19 : Sites d’échantillonnage des six espèces d’oiseaux étudiées en Guadeloupe et en Martinique. Les cases jaunes et rouges du tableau correspondent aux sites

d’échantillonnage où moins et plus de 10 individus ont été capturés, respectivement. Seules les données des sites d’échantillonnage avec plus de 10 individus ont servi dans les analyses

présentées plus tard dans cette partie (cela a permis de limiter les biais d’estimations des prévalences lorsque trop peu d’individus étaient capturés). Les cases blanches correspondent aux sites d’échantillonnage où les espèces n’ont pas été capturées et les cases

noires représentent l’absence de l’espèce sur le territoire. De gauche à droite, les espèces-hôtes sont le Sucrier à ventre jaune, le Sporophile rouge-gorge, le Viréo à moustaches, l’Elénie siffleuse, la Grive à pieds jaunes et la Paruline caféiette. Sur les cartes, les habitats

forestiers et non-forestiers ont été respectivement colorés en vert et en gris.

Nous avons analysé statistiquement nos données grâce à la régression des moindres carrés partiels (PLSR) pour tester les effets de différentes variables (météorologique et de fragmentation) sur la prévalence de chaque combinaison hôte-parasite-territoire. La PLSR est conçue pour traiter des jeux de données dans lesquels

les prédicteurs sont nombreux, en particulier lorsqu’il y a plus de prédicteurs que d’individus statistiques (Carrascal et al. 2009). Bien que rarement utilisée en écologie, la PLSR est considérée comme ayant des performances égales ou meilleures que les autres méthodes de régression qui traitent de jeux de données où la colinéarité entre les prédicteurs est élevée (Carrascal et al. 2009). Dans ce type d’analyse, chaque prédicteur reçoit un poids ainsi qu'un signe positif ou négatif qui reflète le sens de son effet sur la variable réponse. Ce poids permet de décomposer la variance expliquée de la prévalence pour chacun de ces prédicteurs et permet ainsi d’évaluer l'importance relative de chacun des prédicteurs. Finalement, nous avons utilisé des modèles linéaires mixtes pour :

(i) Comparer l’importance relative globale 1) de la structure du paysage par rapport à la météorologie et à la topographie et 2) des trois composantes de la fragmentation des habitats [perte forestière (mesurée à partir de la quantité de forêt), fragmentation per se (mesurée à partir de la configuration spatiale de la forêt) et hétérogénéité du paysage (mesurée à partir des caractéristiques du paysage)].

(ii) Tester si chaque composante de la fragmentation a un effet globalement positif ou négatif sur la prévalence parasitaire (sur l’ensemble des combinaisons hôte-parasite-territoire étudiées).

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