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Chapitre I : La dosimétrie patient en radiothérapie externe

I. A.1 Effets des rayonnements ionisants sur les tissus biologiques

L’impact radiobiologique

Les rayonnements ionisants sont des rayonnements capables de déposer suffisamment d’énergie de manière à ioniser la matière qu’ils traversent. Les effets biologiques d’une irradiation sur les tissus sont l’aboutissement d’une chaîne de phénomènes physico-chimiques déclenchés par le passage du rayonnement. Les événements initiaux sont des ionisations (éjection d’un électron) ou des excitations (passage d’un électron sur une couche d’énergie supérieure), provoquées par l’interaction des rayonnements incidents avec les atomes des molécules cellulaires. Ces modifications physiques entraînent des perturbations physico-chimiques, puis chimiques, pour aboutir enfin à un effet biologique.

Ce sont les collisions entre les électrons secondaires et les molécules du milieu qui sont responsables des effets physico-chimiques et chimiques. Dans une cellule vivante, toutes les molécules présentes peuvent être touchées. Cependant, les effets biologiques des rayonnements ionisants sont essentiellement dus aux dommages sur l’ADN (acide désoxyribonucléide), bien que des dommages sur d’autres sites peuvent aboutir à la mort cellulaire. Les dommages causés sur la molécule d’ADN peuvent être produits suivant deux voies :

- les dommages directs ;

- les dommages indirects par radiolyse de l’eau cellulaire.

I.A.1.a.i Les dommages directs

L'action directe est due au transfert direct de l'énergie du rayonnement. La molécule ionisée ou excitée devient instable et va expulser l'excédent d'énergie soit par émission de photons de fluorescence, soit par rupture homolytique d’une liaison covalente en deux radicaux qui pourront être à l'origine de lésions moléculaires. Ce type de dommage est essentiellement produit par des rayonnements dont le transfert d’énergie linéique est élevé (cf. section I.B.1.c). Cet effet est classiquement considéré comme mineur (15 à 20 % des lésions).

I.A.1.a.ii Les dommages indirects par radiolyse de l’eau

L’effet indirect correspond à l’interaction des produits de la radiolyse de l’eau avec les biomolécules présentes dans la matière. Il est prépondérant dans les systèmes vivants (80 % des lésions). Le phénomène initial de la radiolyse de l’eau est l’ionisation d’une molécule d’eau due à une absorption d’une énergie minimale de 13,6 eV (énergie de liaison) dans le milieu.

𝐻2𝑂 𝐻2𝑂++ 𝑒−

Le radical cation (𝐻2𝑂+) formé est instable et se stabilise en donnant naissance à un radical hydroxyle 𝑂𝐻., qui est très réactif, selon le mécanisme suivant :

𝐻2𝑂+ 𝐻++ 𝑂𝐻. 𝐻2𝑂 + 𝑒− 𝑒𝑎𝑞− 𝑂𝐻−+ 𝐻.

Ce radical 𝑂𝐻. est considéré comme le principal agent de radiolésions. De plus, les électrons arrachés par ionisation des molécules d’eau perdent leur énergie par collisions (à l’origine de la formation de radicaux 𝐻.) pour être piégés par les molécules d’eau donnant naissance à des électrons aqueux (𝑒𝑎𝑞−) très réducteurs.

Le second effet pouvant aboutir à la radiolyse de l’eau consiste en une simple excitation : 𝐻2𝑂∗ 𝐻.+ 𝑂𝐻.

𝐻2𝑂∗ 𝐻++ 𝑂𝐻.+ 𝑒−

I.A.1.a.iii Les lésions sur l’ADN

La molécule d’ADN peut donc être lésée directement par les électrons ou plus souvent indirectement par les radicaux libres produits par la radiolyse de l’eau. Les principaux dommages radio-induits de la molécule d’ADN se répartissent en deux groupes (cf. figure I-1) :

- les lésions aboutissant à des cassures simple brin de l’ADN. Ces cassures simple brin représentent une part importante des dégâts engendrés par l’irradiation (environ 1000 par Gy et par cellule pour une irradiation gamma). Les cassures doubles brins sont plus rares (40 par Gy et par cellule pour une irradiation gamma) et correspondent à deux cassures sur les brins opposés situées à moins de dix paires de base l’une de l’autre [TUB97] ;

- les dommages localisés sur le cytosquelette de l’ADN : altération de bases, destruction de bases, destruction de sucres, pontage et formation de dimères, addition de produits de la peroxydation lipidique…. Ces dégâts sont largement prépondérants (environ 1500 par Gy et par cellule pour une irradiation gamma). Leur réparation est rapide.

Figure I-1 : Représentation schématique des lésions de l’ADN induites par les effets directs et indirects des rayonnements ionisants [LUC10]

La nature des dommages ainsi que leur nombre dépendent du type de rayonnement. De plus, la complexité de ces dommages s’accroît avec la densité des ionisations reflétée par le transfert linéique d’énergie (TEL).

I.A.1.a.iv La réponse cellulaire

La réponse d’une cellule face à une exposition de rayonnement ionisant dépend de la capacité de la cellule à réparer les dommages induits. Celle-ci varie selon le type de cellule et la quantité des dommages induits. Si la quantité ou la gravité des dommages sont trop importantes, la cellule peut activer une mort cellulaire programmée ou apoptose.

La plupart de ces lésions peuvent être réparées, surtout si elles ne touchent qu'un seul des deux brins de l'ADN et si elles sont éloignées dans le temps et dans l'espace. En cas de cassure double brin, la réparation est beaucoup plus complexe et peut être en cas d'erreur à l'origine de mutations. Les conséquences des lésions de l’ADN peuvent se diviser en deux grands types : les phénomènes de mortalité cellulaire et les mutations (cf. figure I-2).

Les atteintes cellulaires dépendent étroitement des lésions moléculaires. Les différentes possibilités sont représentées dans le schéma suivant :

- le plus souvent, les lésions sont fidèlement réparées et la cellule endommagée redevient normale. L'effet de l'irradiation est donc nul.

Si les lésions sont non ou mal réparées, deux situations peuvent se présenter :

- perte de la viabilité de la cellule ou incapacité de la cellule à se diviser, il s'agit de la mort cellulaire ;

- modification permanente du patrimoine héréditaire de la cellule, c'est la mutation.

Figure I-2 : Représentation schématique des conséquences de lésions sur l’ADN

Les effets recherchés en radiothérapie

La radiothérapie consiste en l’utilisation de rayonnements ionisants afin de détruire les cellules tumorales. Cependant, un faisceau de photons ou d’électrons ne fait pas de distinction entre une cellule tumorale et une cellule saine. Cette dernière va donc aussi subir l’effet des rayonnements ionisants. Il existe donc un compromis entre efficacité et toxicité : la dose absorbée doit être suffisamment grande pour permettre un contrôle local alors que la dose absorbée aux tissus sains doit

être minimisée pour limiter les effets secondaires du traitement. On recherche donc un effet différentiel maximal entre tissus sains et tumoraux. Il peut être de deux types :

- le fractionnement temporel ; - le fractionnement géométrique.

I.A.1.b.i Le fractionnement temporel

Les courbes de survie cellulaire représentent la fraction de la survie des cellules en fonction de la dose de rayonnement délivrée. Elles sont généralement de type curviligne avec un épaulement au niveau des faibles doses (cf. figure I-3 a). Avant cet épaulement, les capacités de réparation ne sont pas saturées : c’est cette propriété que l’on utilise dans le fractionnement en laissant le temps aux cellules de se réparer. Or, les cellules tumorales ont globalement moins de capacité de réparation que les cellules normales, ce qui permet de mieux protéger sélectivement les tissus sains par rapport aux tissus tumoraux. Le fractionnement temporel permet donc de diminuer les effets biologiques des rayonnements ionisants en protégeant les tissus sains et tumoraux mais pas dans les mêmes proportions (cf. figure I-3 b). C’est cet effet différentiel qui est recherché.

(a) (b)

Figure I-3: (a) Illustration d’une courbe de survie cellulaire (modèle linéaire quadratique) et de l’effet du fractionnement temporel (b) [EDO10]

I.A.1.b.ii Le fractionnement géométrique

Le fractionnement géométrique consiste à utiliser une balistique des faisceaux de traitement optimale afin d’irradier le volume cible à la dose prescrite tout en diminuant au maximum la dose délivrée aux tissus sains. Cela peut passer par l’augmentation du nombre de portes d’entrée afin de répartir au mieux la dose délivrée dans les tissus sains, et/ou par l’utilisation de techniques plus complexes telles que la RCMI (Radiothérapie Conformationnelle par Modulation d’Intensité) ou le VMAT (Volumetric Modulated Arc Therapy) (cf. figure I-4).

Figure I-4 : Comparaison d’une irradiation conformationnelle 3D (à gauche) et d’une irradiation avec modulation d’intensité (à droite) sur les aires ganglionnaires pelviennes

I.A.1.b.iii Autre effet recherché : la nécrose

Certains volumes cibles que l’on irradie (métastases), sont entièrement constitués de cellules tumorales. L’intérêt du fractionnement temporel, afin de créer un effet différentiel entre tissus sains et tissus tumoraux, devient donc minime. Dans ce cas, si leurs tailles ne sont pas trop importantes, les traitements sont en général hypo-fractionnés (3 ou 5 séances) voire mono-fractionnés (1 seule séance) avec des doses par fraction beaucoup plus importantes (jusqu’à 20 Gy par fraction) que pour les traitements normo-fractionnés (1,8 à 2 Gy par fraction). Le but de ces irradiations est de rechercher la nécrose complète des tissus tumoraux. Ce genre d’irradiation est réalisé en conditions stéréotaxiques (cf. section IV.A.1) du fait de la petitesse des volumes à traiter et des doses par fraction très importantes que l’on délivre.

I.A.2 Étapes de la planification d’un traitement de radiothérapie