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Conclusion de partie

Chapitre 3 : Quand les institutions renforcent le rôle des acteurs culturels dans le développement urbain

2. Les effets d’un activisme de l’intérieur

Recyclart s’est donc émancipé de ses origines institutionnelles tout en préservant une relation privilégiée aux institutions. Cet activisme de l’intérieur semble avoir des effets positifs sur la pratique. Cela lui permet de faire évoluer les pratiques classiques ou traditionnelles dans l’urbanisme, d’apporter sa propre sensibilité tout en ayant une forte intégrité critique. Les pratiques classiques en urbanisme, en lien avec des politiques sécuritaires, nuisent à l’effectivité des droits

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culturels. Agir depuis l’intérieur, comme le fait Recyclart, influence ces pratiques, grâce à la proposition d’alternatives et à leur médiatisation.

Les résistances durables, ont des effets sur du plus long terme contrairement aux actions directes et immédiates6. La stabilité de Recyclart (vingt-et-un ans d’existence) et la fréquence des projets urbains confirment cela. L’association a trouvé un équilibre intéressant ; elle sait s’adapter, faire des compromis, avec les institutions, tout en maintenant une intégrité critique. L’IBAI par exemple aurait pu devenir une grosse institution, comme le CIVA7, mais Recyclart a privilégié le maintien de sa mission originale : l’équilibre entre réflexion sérieuse et action spontanée et informelle de l’activisme urbain.

Les questions d’institutionnalisation, de professionnalisation voire de croissance, sont des questions que se posent l’équipe de Recyclart ; mais ils se positionnent dans une négociation continue avec les institutions à ce sujet. Asef Bayat parle notamment d’ « empiètement tranquille », de « militantisme discret », ou de « non-confirmité silencieuse »8. Ils poursuivent leur quête de pouvoir sur l’espace urbain de façon silencieuse, prolongée mais généralisée. Grâce à des entrelacements de projets et de missions, et à des manœuvres assez discrètes, les projets de Recyclart passent plutôt inaperçus9. Il n’empêche qu’ils ont des impacts significatifs sur l’architecture et le design urbain par le soutien, la reconnaissance et la médiatisation des projets. Ils contribuent ainsi au processus d’émancipation architecturale, comme l’explique Isabelle Doucet : « the activities of the collective Recyclart were vital in the innovation of architectural and urban

design cultures »10. Les effets de l’activisme de l’intérieur ne sont pas spectaculaires, comme pourrait l’être l’activisme radical, ils sont lents et graduels.

Les activistes de l’intérieur sont en constantes négociations avec les institutions. Ces négociations peuvent donner lieu à des compromis ou à des ententes conformes, mais ce sont avant tout des formes de résistances. Ils peuvent comprendre et analyser les processus institutionnels, conserver leur intégrité critique et agir en conséquence. Le choix de participer (au projet public) ou de s’opposer est toujours ouvert ; cela dépend des périodes de la trajectoire de l’activiste. Cela est permis à Recyclart par une stratégie de multiplication des sources de financements pour ne pas être

6 Doucet, The Practice Turn in Architecture, p.102.

7 CIVA, Centre international pour la ville, l'architecture et le paysage, est à la fois un musée, un centre

d'archives, une bibliothèque et un lieu de rencontre et de discussion pour les passionnés de l'architecture. Disponible sur https://civa.brussels/fr consulté le 08.06.18.

8 Asef Bayat, « From “Dangerous Classes” to “Quiet Rebels”: Politics of the Urban Subaltern in the Global

South », International Sociology, n°3 (September 2000), p.533-557. Cité par Doucet, The Practice Turn in

Architecture, p.94.

9 Doucet, ibid. p.94. 10 Doucet, ibid. p.101.

dépendant d’une institution. Ils ont donc une marge de manœuvre en permanence afin de pouvoir se rétracter.

L’activisme peut être comparé à une « société vivante »11, dans le sens où il est prêt à se transformer et à se laisser influencer par son environnement. La capacité d’agir des activistes dépend plus selon Isabelle Doucet de leur volonté d’être affecté par leur environnement que de leur capacité à être autonome. Elle conclue son chapitre consacré à l’activisme interstitiel sur : « The

guarantor for critically then is not autonomy, but attachment. »12.

Doucet a analysé l’activisme de l’intérieur comme un vecteur d’efficacité de l’action ; la participation aux projets publics peut être partielle et prudente, mais aussi très intéressante quand elle contribue à l’établissement de sa mission d’activiste. L’activisme radicale a aussi des avantages, notamment parce qu’il arrive à pousser des portes plus rapidement et à faire beaucoup de bruits, mais l’activisme de l’intérieur a des mérites évidents, il constitue une forme intéressante de résistance.

Après s’être détachée progressivement des institutions qui l’ont créées, Recyclart a affirmé son activisme à travers la portée politique et militante de ses actions. Mais l’association continue à entretenir des relations institutionnelles pour mener certains de ses projets. Ces collaborations lui confèrent un rôle d’activiste de l’intérieur, qui est discutable, mais qui a des effets positifs notamment au regard des droits culturels et du droit à la ville. En effet, cela lui permet de développer et diffuser des pratiques urbaines alternatives. Cela pose la question, la même que dans le cadre de l’injonction à la participation, de la situation paradoxale du financement par les pouvoirs publics d’un contre-pouvoir.

Assiste-t-on à un glissement de la figure de l’activiste radical, qui a démontré pourtant son efficacité dans la seconde moitié du XXe siècle vers un activiste qui agit proche des détenteurs du pouvoir ? Le qualificatif d’activiste peut être questionné au sujet de Recyclart ; peut-on parler réellement d’activisme quand soixante-dix pour cent des ressources propres sont issues de subventions publiques ?

Les politiques publiques et les pratiques professionnelles des institutions sont remises en questions par le travail d’activisme de Recyclart. Comment les politiques publiques, et notamment les politiques urbaines pourraient-elles s’appuyer davantage sur l’expérience vécue par les citoyens, comme réussi à le faire Recyclart ?

11 Doucet, The Practice Turn in Architecture, p.102. 12 Doucet, ibid. p.102.

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Chapitre 5 : Des politiques publiques urbaines et culturelles qui