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L’évaluation des politiques publiques au regard des droits culturels par la démarche Paiedeia

Conclusion de partie

Chapitre 5 : Des politiques publiques urbaines et culturelles qui partent des usagers

2. L’évaluation des politiques publiques au regard des droits culturels par la démarche Paiedeia

En 2012, l’Institut Interdisciplinaire d’Ethique et des Droits de l’Homme et le réseau Culture 21 développent la démarche Paideia. En grec, paideia signifie « éducation au sein de la société ». L’idée de cette démarche d’évaluation est d’étudier les facteurs culturels qui influent sur la participation des personnes dans les politiques publiques. La définition de la culture et des droits culturels utilisée dans cette démarche est celle de la Déclaration de Fribourg ; donc dans son acception large recouvrant « les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et

les arts, les traditions, institutions et modes de vie par lesquels une personne ou un groupe exprime son humanité et les significations qu’il donne à son existence et à son développement »4.

Les droits culturels sont essentiels aux individus pour comprendre ce qui se jouent au niveau des débats publics. Si les codes et les normes ne sont pas partagés par l’ensemble des participants aux débats, les échanges sont biaisés. La considération de la diversité culturelle est essentielle pour l’exigence démocratique. Le respect des droits culturels doit donc permettre aux citoyens de mieux comprendre et de participer aux politiques. Tel est l’objectif de la démarche Paideia : évaluer les politiques publiques sous le prisme des droits culturels pour permettre à tous les citoyens de se sentir concernés et de participer à la chose publique. Une des causes du non- recours aux droits5 est la non compréhension des informations liées à ce droit. Les situations de

3 Stéphane Vincent et La 27e Région, éd., Design des politiques publiques. 4 art. 2a, Déclaration de Fribourg, 2007.

5 Définition du non-recours par le laboratoire Odenore : « le non-recours renvoie aux personnes qui, en tout

état de cause, ne bénéficient pas des droits ou des services, plus globalement des offres publiques, auxquels elles peuvent prétendre ». Le non-recours, dans le champ du social, représente selon Odenore 20% des

non demande découlent souvent de « conflits de normes et de pratiques »6. Ces normes et pratiques sont culturelles, donc un des moyens pour lutter contre cette explication du non-recours se situe dans l’exercice des droits culturels. Selon le laboratoire Odenore7, les personnes les plus touchées par le phénomène du non-recours sont les personnes qui subissent les inégalités sociales. Donc afin de rétablir l’équilibre social, l’exigence démocratique induite par les droits culturels est un enjeu de taille.

Pour en revenir à notre sujet, la participation des citoyens à la politique et au débat public, notamment en ce qui concerne les politiques urbaines, dépend donc de l’adaptation des politiques aux références culturelles, entendues comme normes, moyens d’expression et valeurs des citoyens.

L’ambition de la démarche Paideia se situe à ce niveau d’enjeu. Elle est pour le moment expérimentée dans plusieurs départements français. Les élus, associés au collectif, s’engagent à étudier la mise en œuvre des droits culturels dans leur territoire. Afin d’étudier différents secteurs de politiques publiques (social, urbain, culturel, éducatif…), cette démarche d’expérimentation concrète repose sur différentes méthodes et plusieurs niveaux d’analyse. La démarche mobilise trois outils d’analyse : les fiches descriptives, les cartographies d’acteurs et de processus et les indicateurs de connexe. A partir de ces outils, des questions (que nous avons notamment mobilisées dans le premier chapitre de ce travail) relatives à la correspondance entre l’action et l’éthique des droits culturels sont posées.

Les résultats préconisent un basculement de la position d’expert à celui de médiateur considérant que les personnes détiennent un savoir tout aussi riche. Ce glissement opère une modification profonde des cultures professionnelles tant pour les artistes que pour les urbanistes.

Les projets urbains et particulièrement la participation des habitants aux projets de rénovation urbaine sont au cœur des prochains travaux de la démarche Paideia. Il n’est donc pas possible aujourd’hui de présenter une étude de cas concrète sur le sujet qui nous intéresse. Affaire à suivre.

Ces deux démarches cherchent à réintroduire le citoyen au cœur de la conception des politiques publiques urbaines en mobilisant des méthodes alternatives aux outils politiques et institutionnels classiques (concertation, vote, budgets participatifs). Ces outils sont des méthodes

prestations sociales toutes confondues. Philippe Warin, « Le non-recours: définition et typologies » (Odenore, Laboratoire Pacte, 2010), p.3.

6 Philippe Warin, « Le non-recours: définition et typologies » (Odenore, Laboratoire Pacte, 2010), p.6. 7 Philippe Warin, ibid. p.6.

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d’éducation populaire et une prise de recul par les sciences sociales. La démarche Paideia permet de diffuser la notion de droits culturels au sein des institutions et dans la culture professionnelle des agents. Elle-même rattachée à une politique culturelle, elle propose un décentrement du champ culturel comme solution à la frontière qui existe entre les citoyens et leurs autorités publiques. Le risque de ce décloisonnement du champ culturel réside dans le niveau de financement attribué à ce dernier. Ne serait-il pas un prétexte à la baisse de dotation du secteur culturel ?

Conclusion de partie

Les opérateurs présentés en étude de cas sont issus d’une impulsion politique. L’intérêt des institutions pour ces expérimentateurs culturels urbains est donc réel. Cet intérêt prend forme par l’attribution de subventions de fonctionnement qui reconnaissent leur intérêt général. Il est également signifié par les partenariats signés entre des dispositifs institutionnels et ces opérateurs. Néanmoins, à travers un exemple concret, nous avons souligné une faiblesse de ces contractualisations : la construction d’un contre-pouvoir induit par la participation peu maîtrisée par les autorités publiques peut être redoutée par ses dernières. Comme l’explique Didier Desponds au sujet de la participation des habitants dans les projets urbains, « la participation est à la fois

souhaitée et redoutée […] dans le pratique, on lui préfère la concertation. Celle-ci est considérée comme un succédané moins contraignant dans la mesure où elle ne conduit pas à l'expression d'un contre-pouvoir »8. La participation des citoyens dans les dispositifs intégrés et les marges de manœuvre offertes aux acteurs de terrain sont interrogées.

Recyclart a opté pour une position ambivalente entre son travail de militant (et donc de formation d’un contre-pouvoir) et ses relations institutionnelles. Ces dernières permettent de faire évoluer les pratiques professionnelles vers des pratiques alternatives qui s’inscrivent dans le référentiel des droits culturels.

En parallèle de cette approche localisée et de terrain, des démarches innovantes sont développées en France pour faire évoluer l’action publique. Le design des politiques publiques intègre la créativité au cœur de son processus. Tandis que la démarche Paideia évalue et solutionne des dispositifs publics au regard des droits culturels. Leurs méthodologies sont plus ou moins semblables : associer de multiples acteurs dont les acteurs institutionnels et les citoyens dans l’évaluation et l’élaboration des politiques publiques. Leurs objectifs, complémentaires, sont de

8 Didier Desponds, Les habitants: acteurs de la rénovation urbaine? (Rennes: Presses Universitaires de

concevoir une action publique plus adaptée aux citoyens (design des politiques publiques) et de lutter contre les inégalités de participation aux politiques (démarche Paiedeia). Les méthodes mobilisant la créativité et le référentiel des droits culturels sont donc diffusées dans des secteurs cloisonnés tel que celui des politiques urbaines, ce qui participe au décentrement des politiques.

Les enjeux de ces démarches sont éloquents. En effet, les inégalités de participation aux politiques publiques urbaines ont des conséquences fortes sur la fabrication de la ville.

Partie 3

Les opérateurs culturels, dans la situation paradoxale de